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Les tables de pierre rapportées par Moïse du sommet de la montagne «étaient l’œuvre de Dieu et l’écriture était celle de Dieu, gravée sur les tables» (Ex 32, 16), peut-on lire dans le livre de l’Exode. «Quand Il eut fini de parler avec Moïse sur le mont Sinaï, Il (Yahvé) lui remit les deux tables du Témoignage, tables de pierre écrites du doigt de Dieu» (Ex 31, 18).

 

Les éruptions volcaniques comptent parmi les catacysmes éprouvants et des plus spectaculaires (photo CNS/Sigit Pamungkas).

Étrange, ce «doigt de Dieu»! Le Seigneur aurait-Il un index dont Il se serait servi comme d’un ciseau pour graver Ses lois dans le roc? Et en quoi des tables de pierre peuvent-elles être dites «l’oeuvre de Dieu»? Dieu serait-Il un scribe de l’âge de pierre? Son œuvre à Lui ne consiste-t-elle pas plutôt à donner l’être à toutes les créatures et à les sauver de la mort?

Ici en­co­re com­me ail­leurs, l’on ne doit pas trop s’arrêter au sens lit­té­ral de la Bi­ble. En­tre au­tres fac­teurs dont no­tre lec­ture doit te­nir comp­te, il faut fai­re une gé­né­reu­se part au re­gard et au lan­ga­ge de la pié­té.

N’est-il pas cou­rant, en­co­re de nos jours, d’entendre une per­son­ne af­fir­mer: «Dieu a fait ce­ci… Dieu m’a dit…» quand tout le mon­de sait très bien que c’est la per­son­ne el­le-mê­me, sans dou­te in­spi­rée par Dieu, qui pen­se et agit ain­si! Moi-mê­me, il m’arrive d’être par­fois si éton­né de ce qui peut res­sor­tir de mes mai­gres ef­forts que, fa­ce aux ré­sul­tats et connais­sant mes li­mi­tes, je doi­ve en at­tri­buer le mé­ri­te à Dieu.

Mais la froi­de rai­son pour­ra convenir que ce sont-là de pieu­ses exa­gé­ra­tions à ne pas pren­dre à la let­tre. D’un point de vue re­li­gieux, pour­tant, ce lan­ga­ge n’est pas né­ces­sai­re­ment abu­sif. Car il est pro­che pa­rent d’un sain aban­don à la Pro­vi­den­ce di­vi­ne, une at­ti­tu­de ver­tueu­se qui contri­bue à la cons­cien­ce de la Pré­sen­ce in­ces­san­te de Dieu dans nos vies.

Il y a sans dou­te un peu beau­coup de cet­te at­ti­tu­de dans les pas­sa­ges ci­tés plus haut. L’on y fait si­gner par Dieu un ou­vra­ge consi­dé­ra­ble qui est l’œuvre d’un hom­me. D’ailleurs, le mê­me li­vre de l’Exode au cha­pi­tre sui­vant at­tri­bue clai­re­ment la ré­dac­tion des ta­bles à Moï­se. «Mets par écrit ces pa­ro­les car se­lon ces clau­ses, j’ai conclu mon al­lian­ce avec toi et avec Is­raël. Moï­se de­meu­ra là, avec Yah­vé, qua­ran­te jours et qua­ran­te nuits. Il ne man­gea ni ne but, et il écri­vit sur les ta­bles les pa­ro­les de l’alliance, les dix pa­ro­les» (Ex 33, 27-28). As­su­ré­ment, Moï­se n’est pas res­té au som­met de la mon­ta­gne pen­dant qua­ran­te jours à ne rien fai­re. Les ta­bles sont bel et bien son oeu­vre à lui, fut-el­le in­spi­rée.

Par les an­ges

Il y a plus en­co­re. Saint Paul se fait l’écho d’une o­pi­nion ré­pan­due dans les mi­lieux juifs de son épo­que se­lon la­quel­le la Loi n’a pas été re­çue di­rec­te­ment de Dieu mais «pro­mul­guée par des an­ges» (He 2, 2), «édic­tée par le mi­nis­tè­re des an­ges et l’entremise d’un mé­dia­teur» (Ga 3, 19). Les Ac­tes des Apô­tres pré­ci­sent mê­me que Moï­se s’est en fait en­tre­te­nu avec un an­ge sur le mont Si­naï, aus­si bien lors de la pro­cla­ma­tion du dé­ca­lo­gue que de l’épisode du buis­son ar­dent.

«Au bout de qua­ran­te ans, un an­ge lui ap­pa­rut au dé­sert du mont Si­naï, dans la flam­me d’un buis­son en feu» (Ac 7, 30; voir aus­si v. 35 et 53). «C’est lui (Moï­se) qui, lors de l’assemblée au dé­sert, était avec l’ange qui lui par­lait sur le mont Si­naï, tout en res­tant avec nos pè­res; lui qui re­çut les pa­ro­les de vie pour nous les don­ner» (Ac 7, 38).

Une no­te de la Bi­ble de Jé­ru­sa­lem (Ac 7, 38) ex­plique que se­lon les concep­tions pri­mi­ti­ves, «l’Ange de Yah­vé» était iden­ti­fié à Dieu et dé­si­gnait Sa ma­ni­fes­ta­tion tan­gi­ble. Plus tard, tou­te­fois, en pre­nant cons­cien­ce de la trans­cen­dan­ce di­vi­ne, la tra­di­tion jui­ve aurait fait va­loir, toujours selon la note, que «Moï­se n’aurait pas été en re­la­tion im­mé­dia­te avec Dieu, mais avec un ou plu­sieurs an­ges».

Ces consi­dé­ra­tions s’appliquent à plus for­te rai­son aux évé­ne­ments mi­ra­cu­leux vé­cus par le peu­ple is­raé­li­te lors de sa pé­ré­gri­na­tion au dé­sert. Une pa­ro­le mise dans la bou­che de Moï­se, qui fait al­lu­sion à la cap­ti­vi­té en É­gyp­­te et à l’exode, le confir­me d’ailleurs. «Nous en avons ap­pe­lé à Yah­vé. Il a en­ten­du no­tre voix et il a en­voyé l’ange qui nous a fait sor­tir d’Égypte» (Nb 20, 16; aus­si Ex 23, 20+;  14, 19).

Les lois de la vie

Voi­là qui ra­mè­ne les ré­cits du Pen­ta­teuque à une plus jus­te per­spec­ti­ve. Il convient en ef­fet que ce soient les an­ges —et non pas Dieu di­rec­te­ment— qui aient in­spi­ré la Loi mo­saïque et opé­ré, par la mé­dia­tion de Moï­se, les mi­ra­cles rap­por­tés dans les cinq pre­miers li­vres de la Bi­ble. Car ils concer­nent le ni­veau de la na­ture (par op­po­si­tion au ni­veau sur­na­tu­rel) dont les dé­ter­mi­nis­mes —nous l’avons dé­jà vu— sont gé­rés par les es­prits an­gé­liques.

Or, si les an­ges ont pour mis­sion d’administrer tou­tes les lois de la na­ture, dont cel­les de la ma­tiè­re, il faut sa­voir qu’ils por­tent une at­ten­tion par­ti­cu­liè­re aux lois de la vie puisque c’est dans cet­te di­men­sion que se joue le des­tin de l’univers. C’est en ef­fet dans la li­gne de crois­san­ce de la vie que se dé­ve­lop­pe de plus en plus —en pas­sant par l’évolution des es­pè­ces jusqu’à l’avènement de l’homme— l’espace de li­ber­té grâ­ce à la­quel­le la créa­tion est ap­pe­lée à par­ti­ci­per à l’œuvre de Dieu. Cet­te œuvre, c’est la vic­toi­re de la vie sur la mort dans un mon­de dont la ten­dan­ce est de se dé­gra­der jusqu’à la dé­chéan­ce de la cor­rup­tion, en­traî­né qu’il est par la ma­tiè­re dans les contin­gen­ces de l’espace et du temps.

Or, sur le mont Si­naï, Moï­se s’est pen­ché sur la vie. In­spi­ré et gui­dé par les an­ges, il a «dé­cou­vert» ses lois au mê­me ti­tre que New­ton a «dé­cou­vert» la loi de la gra­vi­té en se pen­chant sur la ma­tiè­re. Et com­me les sa­vants d’aujourd’hui dé­dui­sent de leurs obs­er­va­tions des connais­san­ces qu’ils met­tent en ap­pli­ca­tion dans des in­ven­tions di­ver­ses, de mê­me Moï­se a rap­por­té de sa re­trai­te au som­met du Si­naï, il y a plus de trois mille ans, un co­de qui don­ne un sens et une orien­ta­tion plus pré­ci­se à l’évolution de la vie au ni­veau hu­main, «lui qui re­çut les pa­ro­les de vie pour nous les don­ner» (Ac 7, 38; cf. Dt 30, 15-20; 11, 26-28; 32, 47). De sor­te que son en­sei­gne­ment a per­mis au peu­ple hé­breu de bat­tre la mar­che de tou­te l’humanité dans sa quê­te d’immortalité.

Le ca­rac­tè­re de Moï­se

Moï­se n’était ni un ora­teur élo­quent (Ex 4, 10) ni un ha­bi­le po­li­ti­cien (Ex 18, 13-18). Mais il était un gé­nie en ma­tiè­re de vie, un «doc­teur-ès-vie». Par son re­gard pé­né­trant, il a su dis­cer­ner la rou­te à sui­vre pour me­ner son peu­ple —et éven­tuel­le­ment l’humanité— sur la rou­te du plein épa­nouis­se­ment de la vie. Son œuvre est sans pré­cé­dent, unique, im­men­se!

Moï­se était aus­si un grand pro­phè­te doué de pou­voirs ex­traor­di­nai­res. Sa per­son­na­li­té était en­ri­chie de dons cha­ris­ma­tiques. Il sem­ble que ces fa­cul­tés aient été é­veillées en lui lors de sa pre­miè­re ren­con­tre avec l’Ange sous la for­me du buis­son en feu (Ex 3, 1). Il ac­com­plit là un pre­mier si­gne en chan­geant un bâ­ton en ser­pent (Ex 4, 1-4).

Pro­di­ge qu’il ré­édi­te de­vant Pha­raon. Ce der­nier ré­agit en convo­quant ses ma­gi­ciens qui «en fi­rent tout au­tant» (Ex 7, 11).

Se­lon les Ac­tes des Apô­tres, Moï­se était «in­struit dans tou­te la sa­ges­se des Égyp­tiens, et il était puis­sant en pa­ro­les et en œuvres» (Ac 7, 22). Il avait donc re­çu une for­ma­tion com­pa­ra­ble à cel­le des ma­gi­ciens du Pha­raon. L’épi­sode des plaies d’Égypte le dé­peint en com­pé­ti­tion avec «les sa­ges et les en­chan­teurs» de la ci­vi­li­sa­tion égyp­­tien­ne. Sa sa­ges­se l’em­portera.

Ain­si, son bâ­ton chan­gé en ser­pent ava­le­ra ceux chan­gés en ser­pents des ma­gi­ciens (v. 12) pour prou­ver que le seul et unique Dieu des Hé­breux était su­pé­rieur en puis­san­ce à l’ensemble des dieux égyp­tiens. Sur­tout, que Yah­vé est le maî­tre d’œuvre des épreu­ves à la veille de fon­dre sur le pays.

No­tons que les plaies sont des fléaux na­tu­rels. Mais el­les ont aus­si une di­men­sion non na­tu­rel­le (ce qui n’en fait pas des in­ci­dents sur­na­tu­rels pour au­tant), en ce sens qu’elles sont sé­lec­ti­ves. Par exem­ple, les taons, la mor­ta­li­té du bé­tail, les ul­cè­res, la grê­le, les té­nè­bres af­fec­te­ront les Égyp­tiens mais pas les Hé­breux, qui se­ront éga­le­ment épar­gnés lors de la dixiè­me plaie (la mort des pre­miers-nés) par la cé­lé­bra­tion de la Pâque.

En dé­pit des in­co­hé­ren­ces (1) du ré­cit fa­bu­leux des plaies d’Égypte, l’on peut re­te­nir du tex­te de l’Exode que Moï­se, as­sis­té par son An­ge, a pu pro­dui­re un cer­tain nom­bre de pro­di­ges «cha­ris­ma­tiques». Car au­tre­ment, com­ment ex­pli­quer qu’il soit par­ve­nu à li­bé­rer son peu­ple de la ser­vi­tu­de égyp­tien­ne et à le fai­re sor­tir du pays?

Fa­ce né­ga­ti­ve

«Moï­se était un très grand per­son­na­ge au pays d’Égypte, aux yeux des ser­vi­teurs de Pha­raon et aux yeux du peu­ple» (Ex 11, 3). «Très grand per­son­na­ge» cer­tes, mais un hom­me tout de mê­me. Avec ses li­mi­tes, ses dé­fauts, ses fai­bles­ses.

Sur la fa­ce né­ga­ti­ve de Moï­se, l’on peut aper­ce­voir un es­prit ex­trê­me­ment vio­lent et do­mi­na­teur. Peut-être fal­lait-il qu’il soit ain­si pour mâ­ter et condui­re le «peu­ple à la nuque rai­de», lan­cé du jour au len­de­main dans l’aventure re­dou­ta­ble du no­ma­dis­me?

Cet­te vi­ru­len­ce du ca­rac­tè­re de Moï­se se ma­ni­fes­te dès le dé­but de sa vie adul­te. Voyant un Égyp­tien mo­les­ter un com­pa­trio­te, il le tue. Cet as­sas­si­nat n’est ni ac­ci­den­tel ni de ca­rac­tè­re pas­sion­nel. Car Moï­se prend le temps de s’assurer de l’absence de té­moins avant d’agir, com­me le pré­ci­se l’Exode: «il se tour­na de-ci, de-là, et voyant qu’il n’y avait per­son­ne, il le tua et ca­cha son ca­da­vre dans le sa­ble» (Ex 2, 12).

Le fait qu’il ait com­mis ce meur­tre par com­pas­sion pour la mis­ère de son peu­ple n’atténue pas la gra­vi­té de son ges­te froi­de­ment cal­cu­lé. Mais lorsqu’il fuit au pays de Ma­diân, il ma­ni­fes­te en­co­re, mais cet­te fois de ma­niè­re plus po­si­ti­ve, son amour pour les fai­bles, en por­tant se­cours aux filles du prê­tre Jé­thro qui de­vien­dra son beau-pè­re (cf. Ex 2, 16-22).

Après sa conver­sion, ra­con­tée au cha­pi­tre trois, Moï­se trans­po­se­ra son zè­le pour son peu­ple sur Yah­vé, son Dieu. Mais il n’a pas de gui­de dans sa dé­mar­che spi­ri­tuel­le. Il en vien­dra à pro­je­ter in­cons­ciem­ment son tem­pé­ra­ment sur la di­vi­ni­té. De sor­te que les nom­breu­ses co­lè­res de Dieu, rap­por­tées dans les pre­miers li­vres de la Bi­ble, se­raient en ré­ali­té cel­les de Moï­se. «En­flam­mé de co­lè­re, il (Moï­se) sor­tit de chez Pha­raon» (Ex 11, 8). «Moï­se s’enflamma de co­lè­re» (Ex 32, 19). «Moï­se en­tra dans une vio­len­te co­lè­re» (Nb 16, 15).

Des co­lè­res qui ne sont pas sans ef­fets. Lors de l’épisode du veau d’or, il or­don­ne le mas­sa­cre par l’épée de trois mille hom­mes (Ex 32, 25-29). À Péor, d’après le li­vre des Nom­bres, il fait em­pa­ler «à la fa­ce du so­leil», pour dé­tour­ner «l’ardente co­lè­re de Yah­vé» (Nb 25, 1-16), vingt-qua­tre mille Is­raé­li­tes. Qu’on ima­gi­ne l’horreur de ce «fléau» (v. 9) at­tri­bué à Dieu… mais exé­cu­té par «tous les chefs du peu­ple» (v. 4)!

Sa co­lè­re contre les en­ne­mis est sans pi­tié. La «guer­re sain­te» qu’il dé­clen­che contre Ma­diân le fait entrer en fu­reur contre les com­man­dants de son ar­mée, qui ont dé­jà pas­sé au fil de l’épée tous les mâ­les adul­tes de l’ennemi: «Pour­quoi a­vez-vous lais­sé la vie à tou­tes les fem­mes?», s’emporte-t-il! «Tu­ez donc tous les en­fants mâ­les. Tuez aus­si tou­tes les fem­mes qui ont connu un hom­me en par­ta­geant sa cou­che. Ne lais­sez la vie qu’aux pe­ti­tes filles qui n’ont pas par­ta­gé la cou­che d’un hom­me et qu’elles soient à vous» (Nb 31, 15-18).

Les «pe­ti­tes filles» li­vrées en pâ­ture aux convoi­ti­ses dé­voyées des mas­sa­creurs, ça ne da­te pas d’hier!

Note

1- Une phrase ponctue à quatre reprises, comme le refrain d’un conte, le récit des premières plaies: «Mais les magiciens d’Égypte avec leurs sortilèges en firent autant» (Ex 7, 22; cf. 7, 11; 8, 14; 9, 11). L’on peut se demander quel intérêt auraient eu les magiciens de changer les eaux en sang pour reproduire le même signe que Moïse, privant ainsi leurs compatriotes d’eau potable pendant sept autres jours. Également, comment la grêle du septième fléau (9, 13 +) et la mort des premiers-nés de la dixième plaie (11, 5; 12, 12) auraient encore pu avoir d’effets sur le bétail puisque «tous les troupeaux des Égyptiens» (9,6) avaient déjà été anéantis par la cinquième plaie! (Lire la suite, huitième article)

 

N. B. Cette série d’articles est tirée de Pour discerner l’action de l’Esprit, publié en 1998 aux Éditions Spirimédia.

 

 

 

 

 

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