Dieu ne peut produire que le Bien. Les lois par lesquelles Il gouverne Sa création sont parfaites. Elles sont l’oeuvre de Sa Sagesse. Elles poursuivent leur cours dans l’espace-temps et atteindront éventuellement leur but. Une destination essentiellement positive en dépit des avatars suscités en chemin par la lutte entre le bien et le mal, dont les conséquences s’étalent depuis le choc des astres dans les lointaines galaxies de l’univers jusqu’à la cohabitation des «justes» et des «injustes» sur la terre.
Dieu fait «lever son soleil sur les bons et sur les méchants», déclare Jésus. L’affirmation implique, en bout d’analyse, que Dieu fait don de l’existence indistinctement à tous. Cet inestimable cadeau constitue un débordement gratuit de Son Amour. Dieu veut tellement créer des êtres libres de L’aimer en retour qu’il prend le risque que la liberté de Sa création fait courir à Son projet.
C’est cette mansuétude désintéressée, cette inconditionnelle générosité dans le don que les chrétiens sont appelés à imiter pour «devenir fils de votre Père qui est aux cieux» (Mt 5, 45). Jésus recommande à ses disciples d’appliquer aux relations humaines un comportement calqué sur celui de Dieu. Il les invite à rayonner imperturbablement de bonté en dépit des conflits et des injustices dont ils peuvent parfois faire les frais, sachant que «tout concourt au bien de celui qui aime Dieu».
Les maladies
Cette philosophie tranche par rapport aux idées reçues du temps de Jésus. Le sens de la justice de ses contemporains réclamait vengeance et représailles contre les pécheurs. C’est pourquoi ils jugeaient les maladies des punitions de Dieu pour les péchés. Et ils croyaient avoir Dieu de leur bord.
Les disciples laissent transparaître ce préjugé à propos d’un infirme. «Qui a péché, lui ou ses parents pour qu’il soit né aveugle?» La réponse du Maître est claire et catégorique. «Ni lui ni ses parents n’ont péché». Et Jésus le guérit pour «que soient manifestées en lui les oeuvres de Dieu» (Jn 9, 2-3).
Or, l’oeuvre de Dieu manifestée en cette occasion n’est pas l’infirmité de l’aveugle mais sa guérison. Le Dieu de Jésus ne distribue pas les maladies à qui mieux mieux, à droite et à gauche: Il guérit. Il ne cause pas la mort: Il redonne la vie. Il ne réduit pas à l’esclavage: Il libère. Il ne condamne pas: Il pardonne.
Bien qu’elles puissent parfois être reliées à des comportements fautifs, les afflictions physiques ne relèvent pas de l’ordre moral. Certes, c’est la condition héritée du péché —et particulièrement du péché originel— qui est responsable de leur existence. Mais ce lien lointain ne suffit pas pour fonder un jugement dans les cas concrets et immédiats.
C’est dans le jeu des causes secondes, dont nous avons déjà parlé au début de cette série d’articles, qu’il faut chercher une explication aux maladies. Mais les contemporains de Jésus ne les connaissaient pas. Ils ignoraient, par exemple, que le bacille de Hansen est responsable de la lèpre et croyaient les victimes de la bactérie punies par Dieu. Assurément, Il devait rétribuer un bien grand crime pour infliger une si terrible maladie.
Ainsi, en raison de l’ignorance de la vraie cause de l’infection, les lépreux étaient injustement frappés par une double exclusion. Celle de la maladie contagieuse et celle du rejet social réservé aux pécheurs.
Les accidents
Cette attitude préjudiciable s’étendait aux victimes d’accidents, de séismes, de guerres et autres malheurs publics. Des événements invariablement interprétés comme des châtiments de Dieu pour les péchés.
Jésus n’était pas d’accord avec cette interprétation. Et il a exprimé clairement sa pensée à ce propos à l’occasion d’un massacre de Galiléens «dont Pilate avait mêlé leur sang à celui de leurs victimes» alors qu’ils offraient des sacrifices dans le Temple de Jérusalem.
«Pensez-vous que pour avoir subi pareil sort, ces Galiléens fussent de plus grands pécheurs que tous les autres Galiléens? Non, je vous le dis, mais si vous ne vous repentez pas, vous périrez tous pareillement. Ou ces dix-huit personnes que la tour de Siloé a tuées dans sa chute, pensez-vous que leur dette fût plus grande que celle de tous les hommes qui habitent Jérusalem? Non, je vous le dis; mais si vous ne voulez pas vous repentir, vous périrez tous de même» (Lc 13, 1-5).
Ce «vous périrez tous de même» ne signifie pas, bien sûr, que ceux qui ne se convertissent pas seront un jour assassinés ou seront entraînés dans la mort par la chute d’une tour! Jésus veut dire par là que tous les hommes partagent la même condition de pécheurs dont ils ne peuvent se relever que par la conversion. Il nie l’existence d’un lien entre le sort des victimes et le péché. Il refuse donc l’interprétation à l’effet que les malheurs soient des châtiments de Dieu.
De tels événements dramatiques peuvent toutefois susciter providentiellement la conversion. Car les fléaux et les accidents obligent à réfléchir sur la condition humaine. Elles confrontent l’homme à sa précarité devant un déferlement des éléments de la nature qui le dépasse.
Les catastrophes sont des points de rupture, des fissures dans le continuum de l’insouciance de l’homme qui oublie trop facilement qu’il est un être mortel. Elles sont une jauge qui l’oblige à s’arrêter pour juger la portée de ses actes et la valeur d’éternité de ses choix.
Eschathologie
Le refus d’associer les malheurs publics au péché, Jésus l’applique aussi au cheminement historique de l’humanité. Dans son discours eschathologique, il décrit les étapes finales de l’aventure humaine. Pourrions-nous, en nous appuyant sur ces prophéties, démontrer que les sombres événements prédits seront causés directement par Dieu?
Certes pas! Car la vision apocalyptique de Jésus est une extrapolation des effets de la condition humaine sur la conclusion de l’histoire. «Par suite de l’iniquité croissante, explique-t-il, l’amour se refroidira chez le grand nombre» (Mt 24, 12). Jésus ne dit pas que son Père va conséquemment susciter des guerres et cribler l’humanité de tribulations. Il compare les événements qui vont survenir aux contractions de plus en plus rapprochées d’une femme sur le point d’accoucher (cf. Mt 24, 8; Jn 16, 21).
La planète va accoucher du «monde nouveau» et il constate: «Il y aura…». Il décrit les douleurs comme des événements d’actualité sans lien avec une décision explicite de Dieu. «Il y aura par endroit des famines et des tremblements de terre… il y aura alors une grande tribulation, telle qu’il n’y en pas eu depuis le commencement du monde jusqu’à ce jour…» (Mt 24, 7.21).
Les tribulations ne surviendront donc pas parce que Dieu les aura voulus pour châtier l’humanité en représailles pour les péchés. Ils seront les conséquences, les effets tant du refroidissement de l’amour et de l’accumulation des péchés que des conditions structurelles dans lesquelles l’évolution a dû se dérouler à la suite de la rupture initiale et fondamentale de l’humanité avec Dieu, rupture qu’on appelle la faute originelle.
Des exemples
On pourrait observer que les deux points de vue —celui qui voit les tribulations comme des châtiments de Dieu et celui qui les voit comme des effets de la condition pécheresse de l’humanité— reviennent à dire la même chose avec des mots différents.
Mais cette disparité de langage est d’une importance capitale. Elle fait toute la différence entre la volonté de l’homme de se redresser pour assumer jusqu’au bout son destin devant Dieu et la passivité résignée et démissionnaire devant le malheur.
En vérité, projeter sur Dieu la cause des tribulations de la terre risque de constituer une fuite des responsabilités humaines. Prétendre que Dieu envoie à la terre à un rythme accéléré tremblements de terre, innondations, famines, feux de forêt, verglas, etc., c’est faire trop facilement l’économie des salutaires remises en cause non seulement de notre conduite personnelle mais de nos choix sociaux, de nos modes de vie. Des remises en question qui ne doivent pas se limiter à l’ordre moral de la conduite individuelle mais concernent aussi la gestion sociale des ressources de la terre que le Créateur a confiée au genre humain (cf. Gn 1, 28).
Selon les météoroloques, la tempête de verglas qui s’est abattu sur une partie du Québec est un phénomène qui survient à tous les cent cinquante ans environ. Mais il y a moins de cent ans, cet incident serait passé inaperçu, personne n’y aurait vu un drame. Que des arbres se soient rompus sous le poids de la glace n’aurait pas constitué une catastrophe majeure. C’est notre très grande dépendance de l’énergie électrique qui a fait de cet accident météorologique une pénible épreuve. Or, Dieu devrait-Il être tenu responsable de la fragilité des pylones d’Hydro-Québec?
Et dans un autre ordre d’idées, si Dieu avait voulu punir les souverainistes du Saguenay par les innondations que l’on sait, comme on a odieusement osé l’affirmer, quelle sorte de justice exercerait-Il puisqu’Il aurait en même temps puni tout autant les fédéralistes qui s’y trouve? Et si Dieu veut châtier les homosexuels par le sida, ne serait-Il pas terriblement injuste envers les hémophiles et les hétérosexuels qui sont contaminés sans qu’il y soit de leur faute?
Si je fûme deux paquets de cigarettes par jour, serais-je justifié de blâmer Dieu pour le cancer du poumon? Si je passe dans la rue et qu’un homme s’avance et me donne sans raison un coup de poing sur la gueulle, devrais-je considérer, tout abandonné que je sois à la Providence, que Dieu m’a frappé?
Dieu a voulu cet homme. Il l’a aimé d’un amour infini et lui a fait le cadeau immence de la vie. Dieu a donné à cet homme l’énergie vitale et la faculté de se mouvoir, la force de son bras et la vigueur de ses muscles. Mais Il n’a pas voulu le mal que son poing m’occasionne sur le nez. Il l’a permis seulement pour que cet homme puisse exercer une liberté dont il demeure le seul responsable.
Il en est de même pour le coup de poing que la planète devra encaisser à la fin des temps. C’est la liberté de l’humanité qui en portera la responsabilité.
Et la Providence?
Certains pourraient croire que cette façon de voir infirme la souveraine Toute-Puissance de Dieu. Mais elle ne contredit en rien la Présence divine d’immencité, immanente à tous les temps et à toutes les dimensions de la création. Rien n’échappe au pouvoir de Dieu, même le mal qu’Il ne veut pas mais permet au nom de la liberté dont Il a doté Ses créatures.
Cette Toute-Puissance fonde l’assurance et le joyeux abandon de tous Ses enfants à Sa paternelle Providence. Une disposition requise pour passer avec succès le test de la fin des temps.
Même si les malheurs frappent les enfants de Dieu, ils ne les atteindront pas vraiment parce qu’ils savent qu’ils sont aimés du Seigneur et Il ne veut pour eux, comme pour tous les hommes sans exception, que le bonheur éternel. Peut-être permettra-t-Il qu’ils soient emportés physiquement par l’une ou l’autre tribulation mais ces tribulations seront alors des occasions qu’Il saisira dans Son incommensurable Bonté pour faire don de la joie sans fin qu’Il a promise à ceux qui croient en Son Amour.
En faisant porter sur Dieu la responsabilité de tous nos malheurs, les chrétiens qui croient ainsi démontrer qu’ils sont du même bord que Lui contre un monde qu’ils voudraient voir réprouvé, préparent en fait le lit dans lequel couchent ceux qui se révoltent et refusent de croire en Lui. Ils fournissent les arguments que les athées utilisent pour mettre le Seigneur au banc des accusés. Dieu est injuste, soutiennent-ils… Non sans raison tant qu’ils en demeurent à la conception du Dieu vengeur que leur projettent ces croyants.
Voilà pourquoi, parvenu à la conclusion de cette série d’articles, j’ai voulu prendre la défense de Dieu à l’encontre de ceux qui L’aiment bien gauchement. Dieu est amour, ai-je voulu démontrer. Je dirais même qu’Il n’est qu’amour si le fait de la négation n’impliquait pas une absence, une privation de quelque chose. Tandis que l’Amour que Dieu EST embrasse Toute la Réalité… sauf le mal.
Je vous le demande: Dieu pourrait-Il à la fois éprouver de la compassion envers ceux qui souffrent et être la cause de leurs malheurs? Pourrait-Il sans se contredire Lui-même, être la cause des guerres et nous demander de Le prier d’intervenir pour qu’elles cessent?
Serions-nous encore justifié d’associer Dieu aux catastrophes de la terre? À ceux qui ne seraient pas encore convaincus de renoncer à une telle vision des choses, je dirai ma crainte, s’ils vont jusqu’au bout de leur logique, qu’ils se retrouvent à la fin en face d’un despote sanguinaire, l’auteur de toutes les horreurs et atrocités de la terre: Satan. Puissiez-vous plutôt, après avoir contemplé la bonté que Dieu a disséminée à profusion dans toute Sa création, vous retrouver face à face avec le Père de toutes les miséricordes de l’univers.
«De Toi, Seigneur, je ne veux savoir rien d’autre que l’Amour! Je ne veux contempler rien d’autre que l’Amour! Je ne veux être comblé par rien d’autre que l’Amour… puisque TU ES l’Amour!»
N. B. Dernier article de la série est tirée du livre Pour discerner l’action de l’Esprit, publié en 1998 aux Éditions Spirimédia.