Au début de l’Église, les Pères ont vu dans le Nouveau Testament une clef donnant accès au sens véritable, caché derrière la lettre, de l’Ancien Testament. C’est à la lumière du mystère chrétien que les textes rédigés sous la Première Alliance révèlent leur signification profonde. Avant le Christ, la Parole de Dieu visait des réalités qui étaient à venir. Mais le futur des prophètes est devenu pour nous le présent puisque nous possédons désormais le Messie. Le Christ est le Sujet par excellence de la Parole divine passée, présente et à venir. Il est le Rédempteur annoncé dès la Genèse. Par l’Évangile, Il est actuellement présent au cœur du monde. Et lors de la Parousie, Il accomplira définitivement le devenir de l’humanité en rassemblant dans l’unité l’univers visible et invisible. La Parole de Dieu, c’est donc le Christ… Et rien d’autre!
C’est pourquoi j’ose avancer, au risque de bousculer un peu la «foi du charbonnier», que les actes et paroles attribués à Yahvé dans l’Ancien Testament ne reflètent pas parfaitement le Dieu véritable. Ils n’en sont qu’un écho plus ou moins lointain. Nous avons déjà dit qu’ils témoignent d’une approche graduelle de Dieu par l’humanité et non de la connaissance de Dieu en Lui-même.
Pour connaître Dieu, il faut écouter Sa Parole vivante. C’est-à-dire contempler Son Verbe incarné. Jésus n’a-t-il pas dit: «Qui m’a vu a vu le Père» (Jn 14,9)?
En Jésus, Dieu s’est manifesté authentiquement à l’humanité. Si nous voulons savoir vraiment qui est Dieu, regardons Jésus. N’est-Il pas l’être le plus doux, le plus humble, le plus aimant, le plus miséricordieux, le plus compatissant que la terre ait jamais porté?
Posons alors quelques questions sur Son comportement. Le Verbe incarné a-t-Il manifesté sa Puissance divine par des séismes? Au contraire, Il a calmé la tempête. A-t-Il stigmatisé les pécheurs? Non, Il a mangé avec eux et S’est associé publicains et prostituées. A-t-Il envoyé des maladies pour châtier ses contemporains? Plutôt, Il a guéri toutes sortes de lèpres. A-t-Il écrasé la foule anonyme par la foudre ou le feu du ciel? Certainement pas puisqu’Il a pleuré sur elle et enseigné aux pauvres les secrets du Royaume.
Conséquemment, l’image du dieu terrible d’où qu’elle vienne, le dieu cruel qui condamne et damne, qui fomente les tempêtes et planifie les catastrophes, le dieu assoiffé de vengeance qui réclame la peine de mort, ordonne des massacres et extermine les païens, ce n’est pas le Père de Jésus. Ce dieu-là est une projection anthropomorphique du sentiment de culpabilité collé viscéralement à l’âme humaine depuis la chute originelle.
Il a fallu que Jésus accepte une mort infamante pour libérer l’humanité de cette fausse conception de Dieu. Par la croix, Dieu s’est révélé non pas comme un dieu qui se venge du péché sur le pécheur mais comme un Dieu qui se rend vulnérable jusqu’à l’extrême pour ouvrir les yeux des humains à Son Amour. Un Dieu blessé à mort par l’impitoyable dureté de Ses créatures. Un Dieu qui meurt du mal de l’homme.
Nature et surnature
C’est en gardant ce drame de Dieu bien à vif dans le cœur que nous pouvons relire les récits de cataclysmes et autres massacres rapportés dans l’Ancien Testament. À la question que nous posons depuis le début de cette série d’articles, à savoir s’ils ont été DIRECTEMENT produits par Dieu —ce qui tendrait à démontrer que les actuels sont pareillement causés par Lui—, nous sommes maintenant en mesure de répondre. Assurément par la négative mais non sans nuancer nos propos et y joindre quelques commentaires.
Rappelons d’abord une distinction capitale, déjà précisée, entre phénomènes naturels et surnaturels. Nous avons dit que les premiers s’expliquent par les lois de la nature tandis que les seconds surviennent à la suite de la suspension des lois naturelles et peuvent être l’œuvre de Dieu (ou des puissances occultes).
Contrairement aux interventions miraculeuses de Jésus rapportées dans le Nouveau Testament et qui ressortent clairement de la dimension surnaturelle, les phénomènes extraordinaires recensés dans l’Ancien Testament se rattachent plus généralement mais non exclusivement à l’ordre de la nature. Ce qui implique en bout de ligne que, pour la plupart, ils auraient été attribués à Yahvé par les auteurs bibliques en raison de leur ignorance des causes naturelles.
Ce n’est pas le lieu ici pour faire un inventaire exhaustif des séismes de tous genres rapportés dans l’Ancien Testament. Quelques exemples suffiront pour préciser ma pensée.
Le déluge
D’abord le déluge (Gn 6,5 +). Des cultures précolombiennes (les civilisations amérindiennes avant l’arrivée des Européens) en perpétuaient un souvenir fabuleux. Plusieurs autres civilisations antiques, dont celle de Babylone, en faisaient état dans leur mythologie. Ces récits de diverses origines réfèrent sans doute à une même catastrophe de grande ampleur qui aurait marqué l’humanité en ses débuts.
La Genèse évoque le souvenir de ce désastre d’une manière plus sobre et «réaliste» que les autres fables sans pourtant échapper au genre littéraire de la légende, qui caractérise la transmission orale de génération en génération. L’auteur tire de cette tradition un enseignement pertinent sur l’homme et sa responsabilité de gestionnaire de la création. Ce qui confère à son récit une certaine saveur prophétique que nous sommes aujourd’hui en mesure d’apprécier, peut-être plus qu’à tout autre époque passée.
Le déluge est un cataclysme naturel puisque ce sont des éléments de la nature qui sont en jeu: les pluies torrentielles et le débordement des nappes d’eau terrestres. Quelle a été la cause de cette inondation majeure? La chute d’un météore? Des changements brutaux de climat à la fin de l’époque glaciaire? Peu importe la cause naturelle.
Me semble moins naturel, cependant, le fait que Noé, selon le récit biblique, ait été le seul homme de son temps à être averti de l’imminence de la catastrophe. Ce qui lui a valu d’être épargné avec toute sa famille.
Vraisemblablement, Noé n’avait aucun moyen technique pour prévoir le cataclysme. Il a pu en être informé, selon ce que l’on peut extrapoler du récit, parce qu’il était attentif à la voix de Dieu qui résonnait dans son cœur. Contrairement à ses contemporains qui étaient dévoyés et violents, c’est-à-dire entièrement superficiels et tournés exclusivement vers la conquête de la matière extérieure, «Noé marchait avec Dieu» (Gn 6,9). Ce qui veut dire que dans la conduite de sa vie, il était ouvert à la dimension du cœur. La relation qu’il entretenait avec son Dieu avait creusé en lui un puits jusqu’à la Source de vie. Là où l’Esprit jaillit pour animer d’une vie sans cesse renouvelée les créatures qu’Il guide vers la Plénitude.
C’est donc l’Esprit prophétique, qui souffle en ceux qui sont attentifs à la vie intérieure, qui a sauvé Noé du déluge. Ici, Dieu se révèle déjà comme Celui qui sauve…
Et de toutes sortes maux. Entre autres des cataclysmes qui peuvent s’abattre sur l’humanité comme conséquence des péchés. Lorsque les humains défient les lois de la vie, l’effet du mal se répercute jusque dans la nature, qui se trouve ainsi perturbée dans son harmonie originelle. Elle en subit alors des soubresauts, des secousses qui n’épargnent pas les êtres vivants terrestres, tant les animaux que les hommes.
Le «repentir» de Dieu
C’est bien, me semble-t-il, ce que l’on peut tirer du récit biblique lorsqu’on l’a expurgé des nombreux anthropomorphismes qu’il contient. «Yahvé vit que la méchanceté de l’homme était grande sur la terre et que son cœur ne formait que de mauvais desseins à longueur de journée. Yahvé se repentit d’avoir fait l’homme sur la terre et il s’affligea dans son cœur. Et Yahvé dit: “Je vais effacer de la surface du sol les hommes que j’ai créés —et avec les hommes, les bestiaux, les bestioles et les oiseaux du ciel—, car je me repens de les avoir faits”» (Gn 6,5-8).
L’auteur du récit biblique imagine Yahvé comme un maître d’œuvre qui fait un constat d’échec. Ce qui l’amène à détruire tout ce qu’il a accompli jusque-là pour recommencer son œuvre autrement.
Mais il est si peu certain de faire mieux la deuxième fois qu’il se promet à lui-même de ne plus jouer à faire et à défaire. On dirait même qu’il éprouve des remords de s’être laissé aller. «Yahvé respira l’agréable odeur (des holocaustes de Noé au sortir de l’arche) et il se dit en lui-même: “Je ne maudirai plus la terre à cause de l’homme, parce que les desseins du cœur de l’homme sont mauvais dès son enfance; plus jamais je ne frapperai tous les vivants comme je l’ai fait”» (Gn 8,21).
Voilà un langage bien humain! Bien entendu, —nous le savons maintenant—, Dieu n’a que faire de «l’agréable odeur» des holocaustes d’animaux. Le sacrifice de Son Fils Lui suffit. Pas plus qu’Il a eu besoin de reprendre haleine après avoir créé le monde, comme l’affirme un passage de l’Exode. «En six jours Yahvé a fait les cieux et la terre, mais le septième jour il a chômé et repris haleine» (Ex 31,17).
D’autre part, —et c’est là le point le plus important—, est-il possible que Dieu ait pu se repentir d’avoir créé les animaux et les hommes? Si Dieu pouvait éprouver des regrets, Il ne serait pas parfait en tout. Il ne serait pas un Créateur Tout-Puissant.
C’est d’ailleurs là une objection soulevée par un écrivain sacré. Le scribe auquel je fais allusion a ajouté un commentaire dans le texte original du premier livre de Samuel. Cette glose est intercalée dans un passage où il est dit que Yahvé s’est «repenti d’avoir fait Saül roi sur Israël» (1 Sa 15,34; voir aussi v. 11). Le commentaire s’inscrit en faux contre cette interprétation: «Pourtant, la Gloire d’Israël (c’est-à-dire Dieu) ne ment pas et ne se repent pas, car il n’est pas un homme pour se repentir» (1 Sa 15,29). Cet ajout paraphrase un passage du livre des Nombres où le prophète Balaam déclare: «Dieu n’est pas un homme, pour qu’il mente, ni fils d’Adam, pour qu’il se rétracte» (Nb 23,19).
On le constate, la Bible elle-même corrige les conceptions de Dieu qui relèvent plus de l’humanité de l’homme que de la Réalité divine en Elle-même.
Conséquemment, il faut comprendre, en dépit des affirmations de la Genèse, que Dieu n’a pu vouloir exterminer sa création à cause des péchés des hommes mais plutôt, qu’en raison de la structure de la réalité existentielle, les péchés des hommes et des anges ont créé les conditions d’un cataclysme qui a englouti le monde tel qu’il subsistait avant Noé. Lire la suite, cinquième article
N. B. Cette série d’articles est tirée de Pour discerner l’action de l’Esprit, publié en 1998 aux Éditions Spirimédia.