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L’heure est enfin venue de boucler les articles publiés périodiquement sur Internet sous le titre La Genèse revisitée. Je tiens d’abord à exprimer ma reconnaissance à Dieu. Compte tenu de mon ignorance viscérale et de mes limites de tous ordres, je confesse que je ne serais jamais parvenu au bout de cette quête de sens sans l’aide constante de son Esprit.

Paul Bouchard

Mais le présent commentaire conclusif ne marque pas encore la fin de ce projet. La prochaine étape s’effectuera toutefois en privé. Elle consistera à ordonner, réviser et compléter ces textes de premier jet pour les réunir en un volume.

À cet égard, je me dois de constater que le titre utilisé jusqu’ici pour les articles ne conviendrait pas tout à fait au livre qui résultera, je l’espère, de mon travail d’édition. La raison en est que ce n’est pas la Genèse au complet qui a été revisitée au cours de cette recherche. Elle a porté principalement sur les deux récits de la création qui chapeautent la Bible et donnent le ton à la lecture inspirée de l’Écriture sainte dans son ensemble. Le nouveau titre devra refléter plus précisément la trame de cet essai autour des questionnements sur l’origine et le devenir universels. Il s’agit d’une recherche de cohérence entre foi et raison – une exigence plus que jamais d’actualité – qui marie, ou confronte parfois, rigueur rationnelle et intuition religieuse.

Sur plusieurs sujets, cette cible a été atteinte à ma satisfaction. Mais, en regard de la culture laïque ambiante et d’une pensée religieuse renouvelée, d’autres points demeureront ombragés d’incertitude. Je me propose ici, en guise de conclusion, de passer en revue quelques propos laissés en suspens et concédés pour l’heure au flou du mystère.

La création de l’univers

La grande vérité qui se dégage du premier récit, c’est l’existence d’un Dieu créateur de l’univers. Dans le cadre culturel du polythéisme, cette proclamation d’un petit peuple en marge des grandes puissances de l’Antiquité a révolutionné la pensée humaine. Cette révélation n’a pas qu’affecté la connaissance de la Divinité, elle a aussi renversé une conception du monde physique qui a encore la vie dure de nos jours, celle d’un univers figé, stationnaire, statique.

Le récit des six jours révèle en effet que l’univers n’est pas éternel et qu’il n’a pas été tout donné instantanément à l’origine comme par un coup de baguette magique. L’Acte créateur s’étale dans l’espace et le temps. Dans tous les temps et non uniquement au début du temps. De la lumière jusqu’à l’homme, le Créateur a élaboré les réalités les unes successivement aux autres, les nouveautés à partir des antécédentes. Il s’ensuit que la création n’est pas encore achevée. Aujourd’hui encore, l’Agir créateur façonne l’humanité de manière à ce qu’elle parvienne à une perfection digne de la vie éternelle. Cet accomplissement surviendra à la fin des temps, prédit l’Apocalypse à l’autre bout de la révélation biblique.

Une telle conception de la création, qui était étrangère à la pensée à l’époque de la rédaction du récit, correspond tout à fait au modèle évolutif mis de l’avant aujourd’hui par les scientifiques. Mais ce que les sciences ne peuvent pas savoir et que le récit révèle encore, c’est le but du déploiement du monde physique dans l’espace temporel : le phénomène global de la VIE. Plus précisément, la VIE divine en passant par la vie humaine. Cette finalité fait toute la bonté et la beauté de l’univers visible et invisible.

L’origine du mal

Mais si tout ce que Dieu fait est jugé très bon par le Créateur lui-même, d’où vient le mal ? C’est le problème auquel le deuxième récit s’attaque. Il clamera haut et fort que Dieu n’a pas créé le mal. Non seulement ne veut-il pas le mal mais il le réprouve farouchement. Le personnage caché sous la figure du serpent est donné comme le grand responsable de sa prolifération dans toute la création et pas seulement sur notre planète. Cet esprit rebelle est parvenu à séduire l’humanité encore dans l’enfance en l’incitant à opter pour les valeurs passagères et souvent illusoires que propose le monde matériel extérieur au détriment de la relation intérieure à la Source divine de la VIE.

Il importe de bien saisir que cette séduction par l’ennemi de Dieu et des hommes est actuelle et englobe tous les temps. Pour en comprendre les arcanes, on doit considérer l’humanité sous l’angle de la conjugalité. Homme et femme il les créa. Ce n’est pas la femme et l’homme isolés l’un de l’autre qui tombent dans le piège du Séducteur mais le couple dont la complémentarité sexuelle détient la faculté d’engendrer.

On peut comprendre que l’homme et la femme dans le couple puissent être enclins naturellement à sortir d’eux-mêmes pour entrer en relation avec l’autre et, éventuellement, assumer la charge d’une progéniture. Ainsi se forme la famille, la structure sociale de base voulue par le Créateur.

Mais en tournant le dos à la Source intérieure de l’ÊTRE pour développer une conscience fondée exclusivement sur l’extériorité – et c’est ici que l’homme et la femme de la Genèse commettent le péché dit “originel” en optant pour le fruit interdit –, le couple jette la base d’une société artificielle, étrangère aux valeurs de VIE. C’est le MONDE de la connaissance du bien et du mal ; MONDE où s’entendent pleurs et cris, où se vivent souffrance et mort ; MONDE, soumis aux lois de la MATIÈRE, qui aliène l’homme de sa propre nature ; MONDE dévoyé par les convoitises du pouvoir, de la richesse et des plaisirs ; MONDE en rupture de ban avec la Divinité ; MONDE au pinacle de l’orgueil qui prétend se diviniser lui-même.

Des mythes

Voilà en substance le contenu divinement inspiré des récits de la création que les scribes vétérotestamentaires ont eu pour mission de révéler à l’humanité de tous les temps. Pour articuler en mots leurs intuitions, ils étaient toutefois très limités. En ce temps-là, le seul moyen d’expression disponible pour traiter les questions de fond sur l’existence de la réalité universelle, c’était la figure du mythe.

Personne, pas même les grands philosophes de l’Antiquité grecque, n’avait alors la possibilité technique dont nous disposons aujourd’hui pour faire enquête sur le déroulement de la réalité spatiotemporelle. Aussi, dans les cultures archaïques, l’élaboration des mythes ressortait le plus souvent d’un imaginaire délirant.

Les mythes de la Bible se distinguent nettement des mythes païens par l’illumination spirituelle qui en émane. Recevons-les donc comme des courroies de transmission de la Parole divine. Il importe toutefois de les décanter de leur inévitable forme accidentelle pour saisir l’inspiration divine qui les sous-tend. En tant que croyant, il nous est crucial de prendre appui sur le côté véritablement spirituel de ces textes, qui peut seul nourrir notre foi.

Ce discernement permet encore d’éviter le piège fondamentaliste, dénoncé par l’aphorisme de saint Paul : la lettre tue, l’esprit vivifie. L’acception littérale risque en effet de détourner l’attention de l’authentique Parole divine en mettant le phare sur des aspects du texte qui n’ont aucune incidence sur l’enseignement inerrant (sans erreur) que la Bible prodigue à l’humanité.

L’historicité

L’un de ces traquenards consiste à réduire la portée des récits de la création à une interprétation “historique”. Il faut dire que pendant des siècles de christianisme, ces textes ont été reçus littéralement – particulièrement celui de la “chute” de l’humanité – comme le reportage d’événements qui se seraient déroulés dans un lointain passé. Des événements dont le présent – notre présent – subit les effets sans pourtant y participer de manière responsable.

Mais aujourd’hui, en raison des connaissances objectives acquises sur la nature physique de l’univers, il est devenu impensable de maintenir une acception naïve de ces récits et indispensable de les scruter pour découvrir leur profond sens figuré.

Par exemple, en projetant sur un premier couple présumé “historique” la responsabilité de la chute originelle, on occulte la complicité de plus en plus manifeste de notre MONDE contemporain avec l’Ennemi de Dieu. Vous serez comme des dieux. N’est-ce pas là l’exacte description de l’Homme arrogant actuel qui ambitionne de s’asseoir sur le trône de la divinité dans le sanctuaire (cf. 2 Th 2, 3-5) d’un humanisme athée ? Dans un certain sens, c’est maintenant, plus que par le passé, que le “péché originel” est commis et maintenant que la “chute” de l’Homme s’accélère vers la catastrophe finale.

Autres exemples. En regard du progrès spirituel des croyants, est-ce utile d’associer les “jours” de la création à une durée précise de 24 heures, ou encore de mille ans ? N’est-il pas plus édifiant d’induire de leur succession la gradualité d’un Acte créateur qui a cours au PRÉSENT de tous les temps, incluant le nôtre ? Et la “semaine” créatrice n’a-t-elle pas plus de signification si elle réserve pour le monde à venir le repos sabbatique du Créateur lorsque l’image et la ressemblance de Dieu en l’humanité aura atteint la perfection de l’immortalité ?

“Premiers parents”

Quant à la création d’un premier homme, est-il raisonnable de croire que Dieu l’aurait formé pleinement développé – physiquement et intellectuellement – à partir du sol et d’emblée apte à prendre une décision qui produira la mort chez tous les membres de l’espèce ? Et que dire de la création d’une première femme à partir de l’une de ses côtes ou de son côté, au choix ?

De toute évidence, Dieu n’a pas créé un premier homme et une première femme de la manière décrite dans le récit. Depuis les quelque 14 milliards d’années que l’univers existe, il n’y a jamais eu un seul être particulier qui ait surgi spontanément de rien. Ce n’est pas ainsi que Dieu crée. Et pourtant, il est le Créateur de tous les êtres sans exception, ceux d’hier, d’aujourd’hui et de demain.

Toute vie commence par une cellule fécondée qui se multiplie pour construire les divers organes du corps. Même le Fils de Dieu, pour s’incarner, s’est développé dans un utérus maternel pendant neuf mois de gestation avant de naître en ce monde comme un tout petit bébé impuissant et totalement dépendant de ses parents pour sa survie. Un enfant qui devra continuer, pendant plusieurs années, à croître « en sagesse, en taille et en grâce, devant Dieu et devant les hommes » (Lc 2, 52).

Il est donc clair que ni l’auteur du récit ni le Saint Esprit n’ont pu vouloir référer, par le mythe de la création de l’homme et de la femme, aux premiers spécimens du genre humain. La description biblique ne vise pas des individus particuliers qui seraient au départ de la lignée humaine mais à révéler de quoi est faite l’humanité : un alliage de matière et d’esprit. Comme nous l’avons déjà mentionné, l’auteur du récit fait lui-même cette nuance en attribuant les noms d’Adam et Ève seulement après l’expulsion d’Éden. Ce détail est d’autant plus significatif qu’il relève d’une intention explicite du rédacteur.

D’autre part, Adam n’a pas été créé à l’âge adulte comme on a pu se le représenter en recevant littéralement le récit. Car il est dit au chapitre 5 : « Quand Adam eut cent trente ans, il engendra un fils à sa ressemblance, comme son image » (5, 3). Cet âge implique qu’il serait né 130 années plus tôt, après sa gestation dans le sein d’une mère (non humaine puisqu’il s’agirait du premier humain). Pour l’auteur biblique, cet homme qu’il nomme Adam est historique dans le sens large du terme. Tandis que l’homme modelé par Dieu à même le sol et animé par le souffle divin ne l’est pas. C’est le prototype intemporel de l’humanité.

Ne pourrait-on pas induire de ce constat que ce n’est pas Adam et Ève qui désobéissent au Créateur mais le prototype des deux sexes de l’Éden ? Et si l’existence de ce modèle archétypal dans les hauteurs céleste de la Pensée créatrice était transposée, suite à l’incarnation sur la Terre, au niveau de l’agir humain, ne devrait-on pas incomber au genre humain de tous les temps la succombance à la tentation du serpent ? L’hypothèse autoriserait alors d’avancer que la collectivité humaine imposerait l’extériorisation de la conscience chez les individus pour émanciper l’être humain de la Volonté créatrice et exercer un pouvoir absolu sur l’extériorité, sans l’interférence de l’ordre moral et religieux !

Et le péché originel ?

Si telle était l’implication du deuxième récit, ne faudrait-il pas conclure que le genre humain tout entier, que la Bible évoque sous la figure d’un premier couple intemporel, est responsable du “péché originel” ? Tant et si bien que l’humanité serait globalement prédéterminée à se faire complice de la révolte luciférienne contre Dieu !

Mais cette audacieuse explication suffit-elle ? L’Église enseigne que tous les humains sont individuellement marqués dans l’âme par le “péché d’Adam”. Selon la doctrine traditionnelle, la chute de nos “premiers parents” détermine que tout être humain à sa conception est réprouvé par Dieu. Avant même d’avoir commis un péché personnel, l’être humain nait en rupture de ban avec son Créateur pour l’éternité. Seul le baptême peut rétablir la communication rompue par Adam en donnant accès au salut par Jésus Christ.

Formulée ainsi, cette doctrine semble difficilement conciliable avec la Genèse dont elle tire pourtant sa source. Mais il ne s’agit pas ici de nier la tendance innée au péché qui se manifeste dans la vie de chaque être humain. Il suffit de considérer l’Histoire de la collectivité humaine pour constater les effets de cette propension au mal, qualifiée de mystère d’iniquité par saint Paul. Que des humains puissent être acculés à commettre des atrocités démentielles, des massacres insensés, des guerres meurtrières, des exterminations d’une cruauté sans bornes ne fait pas de sens par rapport aux lois de la nature. La doctrine surnaturelle du péché originel demeure la seule explication pouvant rendre compte de l’extrême morbidité contre-nature dans l’humanité.

Il reste que ce concept doctrinal ne peut pas se déduire directement du deuxième récit de la création de la Genèse. Car s’il est vrai que Caïn est réprouvé par Dieu après avoir tué son frère, la descendance de Seth entretient une relation féconde avec la Divinité après la chute. Si l’être humain de la Genèse peut parfois tomber dans la méchanceté, il peut encore faire le bien et marcher avec Dieu comme Hénok, Noé, Abraham, Moïse, et même, comme le roi David, le meurtrier repentant.

D’après la Genèse, Dieu n’a pas abandonné l’humanité après le premier péché et l’expulsion d’Éden. Au contraire. Il compatit à sa misère par les dons de sa Providence et continue de façonner l’homme en sa Présence, comme le signale plusieurs passages, et particulièrement au chapitre 5.

« Le jour où Dieu créa Adam, il le fit à la ressemblance de Dieu. Homme et femme il les créa. Il les bénit et leur donna le nom d’“Homme”, le jour où ils furent créés. Quand Adam eut cent trente ans, il engendra un fils à sa ressemblance, comme son image, et il lui donna le nom de Seth » (Gn 5, 1-3).

L’alternance du singulier et du pluriel dans ce passage est significative. Le nom d’Adam désigne l’humanité puisque sa création englobe les deux sexes. Homme et femme il les créa. Une humanité créée à la ressemblance de Dieu qui est transmise à Seth sous la forme de la ressemblance et de l’image de son géniteur. Ce qui indique que la ressemblance de Dieu, et non le péché, se communique dans l’humanité par la voie générationnelle.

Écriture néotestamentaire

Mais alors, si le concept du “péché originel” est étranger au récit de la Genèse, d’où vient-il ? N’ayant aucun antécédent théologique pour répondre à cette question, j’ai effectué une recherche sur l’Internet. Il semble que ce soit saint Augustin d’Hippone (354-430) qui ait buriné cette expression. Sa démarche ne s’est toutefois pas effectuée dans un vide théologique. Elle prenait sa source de l’Écriture (Gn 2, 16-17 ; Rm  5, 12-21 ; 1 Co 15, 21-22 ; Ps 51, 7),  principalement le chapitre 5 de la lettre aux Romains.

De même que par un seul homme le péché est entré dans le monde, et par le péché la mort, et qu’ainsi la mort a passé en tous les hommes, du fait que tous ont péché… Si par la faute d’un seul, la multitude est morte, combien plus la grâce de Dieu et le don conféré par la grâce d’un seul homme, Jésus-Christ, se sont-ils répandus sur la multitude… Comme en effet par la désobéissance d’un seul homme la multitude a été constituée pécheresse, ainsi par la l’obéissance d’un seul la multitude sera-t-elle constituée juste… Ainsi, de même que le péché a régné dans la mort, de même la grâce règnerait par la justice pour la vie éternelle par Jésus Christ notre Seigneur » (Ro 5, 12.15.19.21).

Est-il possible de concilier ces fortes affirmations du Nouveau Testament et les implications plus positives du Premier Testament en regard de la condition humaine ? Notre quête de réponses à ce présumé conflit devra attendre un deuxième article de conclusion au présent essai.

À suivre : Que conclure ? (2) 

  

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