Puis-je commencer par m’excuser auprès du lecteur pour le délai de publication du présent article, dû à des contraintes personnelles ? Rappelons que le texte précédent se terminait sur un questionnement à propos du péché originel. Cette expression a été introduite dans la didactique ecclésiale par saint Augustin (354-430). L’évêque d’Hippone n’a toutefois pas créé de toutes pièces la doctrine qui sous-tend ce dogme. Sa démarche théologique, effectuée dans le cadre des controverses de son temps, s’appuyait sur l’Écriture néotestamentaire, principalement le chapitre 5 de la lettre saint Paul aux Romains, dont je reprends ici des extraits pour référence.
De même que par un seul homme le péché est entré dans le monde, et par le péché la mort, et qu’ainsi la mort a passé en tous les hommes, du fait que tous ont péché… Si par la faute d’un seul, la multitude est morte, combien plus la grâce de Dieu et le don conféré par la grâce d’un seul homme, Jésus-Christ, se sont-ils répandus sur la multitude… Ainsi donc, comme la faute d’un seul a entraîné sur tous les hommes une condamnation, de même l’œuvre de justice d’un seul procure à tous une justification qui donne la vie. Comme en effet par la désobéissance d’un seul homme la multitude a été constituée pécheresse, ainsi par la l’obéissance d’un seul la multitude sera-t-elle constituée juste… La Loi, elle, est intervenue pour que se multipliât la faute ; mais où le péché s’est multiplié, la grâce a surabondé : ainsi, de même que le péché a régné dans la mort, de même la grâce règnerait par la justice pour la vie éternelle par Jésus Christ notre Seigneur » (Ro 5, 12.15 ;18-21).
D’autres passages de l’Écriture sont invoqués pour asseoir cette doctrine.
Car la mort étant venue par un homme, c’est par un homme aussi que vient la résurrection des morts. De même en effet que tous meurent en Adam, ainsi tous revivront dans le Christ » (1 Co 15, 21-22).
« Et Yahvé Dieu fit à l’homme ce commandement : “Tu peux manger de tous les arbres du jardin. Mais de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, tu n’en mangeras pas, car le jour où tu en mangeras, tu deviendras passible de mort” » (Gn 2, 16-17).
« Vois, mauvais je suis né, pécheur ma mère m’a conçu » (Ps 51, 7).
Difficultés
La base scripturaire du dogme du péché originel est incontestable. Au second regard, pourtant, l’interprétation des passages en question se heurte à de l’ambigüité.
La difficulté tient de l’imprécision de termes ambivalents. Cette lacune fait attribuer un sens univoque à des mots à double signification. L’interprétation qui s’ensuit passe outre à la prise en compte de la “dualité positive” des antipodes du RÉEL – un critère de discernement proposé depuis le début de cette recherche – : matière – vie, extériorité – intériorité, quantité – qualité, objectivité – subjectivité, corps – âme etc.
Ainsi, lorsque l’Apôtre parle de mort et de vie, de quelle mort et de quelle vie s’agit-il, peut-on demander ? De la mort du corps ou de la mort de l’âme ? De la vie biologique ou de la vie spirituelle ? L’option pour un sens ou pour l’autre peut affecter radicalement l’implication du discours, n’est-ce pas !
De même, lorsque le Créateur avertit l’homme que la manducation du fruit interdit pourra le faire mourir, cela concerne-t-il vraiment la structure biologique formée avec la glaise du sol ? Comme nous l’avons déjà souligné, une réponse affirmative donnerait raison aux arguments du serpent – Pas du tout ! Vous ne mourrez pas ! – puisque la mort physique ne survient pas à la suite de la désobéissance. Et même, la suite du texte laisse plutôt entendre que la faute marque le début de la vie humaine.
Après l’expulsion d’Éden, « l’homme appela sa femme “Ève”, parce qu’elle fut la mère de tous les vivants », non la mère de tous les morts, fussent-ils en sursis. Au chapitre 5, il est précisé qu’Adam a vécu 930 ans, une durée incompatible avec une sentence de mort corporelle. De plus, après que leurs yeux à tous deux s’ouvrirent (Gn 3, 7), le Créateur décrit la condition humaine, la même avant et après la désobéissance : « Tu es poussière et tu retourneras à la poussière. Paraphrasons : Prends conscience que la matière de ton corps est sujette à l’usure et se décomposera un jour, ce qui fait de toi un organisme mortel.
Le péché originel n’est donc pas la cause de la mort physique. Une faute morale produit un effet moral. C’est l’âme et non le corps qui en est affecté. Et dans le cas de la femme et de l’homme de la Genèse, l’effet de leur désobéissance a été l’expulsion immédiate du jardin d’Éden. Ce qui veut dire, comme nous l’avons déjà amplement démontré, qu’en obnubilant le lien de confiance qui les unissait au Créateur, ils se sont aliénés de leur propre intériorité, si bien que la Source divine de la VIE intérieure – l’arbre de vie – leur est devenue inaccessible. C’est cette mort spirituelle que Dieu redoutait pour sa créature et dont, à l’ORIGINE de son projet de création, il aurait voulu exempté l’humanité de tous les temps.
Transmission générationnelle
Et pourtant, pendant des siècles on a cru déduire du verset biblique (Gn 2, 17) que le premier homme avait été créé immortel – supposément dans un espace démiurgique imaginaire – et que sa désobéissance à Dieu l’avait fait chuter sur la Terre dans un corps mortel. Cette interprétation, imprégnée de philosophie platonicienne, a entraîné de déplorables déviations étrangères au récit biblique. Comme le mépris du corps et la culpabilisation de la sexualité. Des tangentes sectaires plus ou moins tributaires de la théologie patristique.
Il était toutefois inévitable que l’énoncé théologique d’Augustin soulève un épineux problème. Celui de la transmission de la faute. La question était de savoir comment un péché commis par un premier couple a pu s’étendre à tous les humains ? Le saint évêque d’Hippone a cru pouvoir répondre que les parents, d’une génération à l’autre, transmettaient à leur progéniture la faute perpétrée au tout début de l’espèce humaine.
Mais l’hypothèse se heurte à une double difficulté que les connaissances positives actuelles font particulièrement ressortir. Car ce qui est transmis d’une génération à l’autre, c’est un héritage génétique. Les gènes combinés des deux parents déterminent l’identité du nouvel être humain. S’il était vrai que le péché originel était transmis à tous les humains par la voie générationnelle, il serait théoriquement possible d’identifier le gène responsable, de le modifier, ou même de l’enrayer.
L’absurdité de cette supposition fait ressortir une évidence : le côté physique de l’enfant relève des parents et de la lignée ancestrale dont ils sont issus mais non la dimension spirituelle. Les parents engendrent le corps, certes, mais c’est Dieu qui insuffle l’âme. Rappelons le récit de la création de l’homme qui symbolise la conception de tout être humain. Le Créateur utilise la glaise du sol, c’est-à-dire qu’il instrumentalise la matérialité pour former le corps, mais c’est par son divin souffle qu’il crée directement, sans intermédiaire, le principe vital, l’haleine de vie, c’est-à-dire l’âme.
Or, indéniablement, c’est l’âme qui est affectée par la tare originelle. Quant au corps, la paléoanthropologie confirme son évolution positive dans le temps. Si l’on peut observer dans l’Histoire une capacité croissante de l’âme humaine à commettre le mal sous toutes ses formes – ce qui est la conséquence du péché originel – le corps humain quant à lui n’a eu de cesse de se perfectionner et de s’affiner esthétiquement depuis les premiers hominidés. Ce constat constitue un désaveu de certaines spiritualités pessimistes qui méprisent le corps et insultent ainsi la beauté et la bonté de l’Agir divin dans la création.
Sexualité litigieuse ?
L’autre volet problématique de la transmission par la voie générationnelle touche à la sexualité. Dans ses conséquences ultimes, l’hypothèse augustinienne jette le discrédit sur l’engendrement des humains comme un pis-aller, un inévitable effet du péché originel sur la nature humaine. L’acte conjugal serait ainsi considéré comme la courroie de transmission d’un mal qui affecterait l’humanité tout entière. Même accompli dans le cadre légitime du mariage, l’union sexuelle s’en trouverait entachée d’une culpabilité viscérale. Le désir d’engendrer un enfant, en dépit de son apparente générosité, serait miné par le plaisir du pécheur donnant libre cours à la concupiscence de la chair.
Cette hypothèse aboutit ainsi à des conclusions on ne peut plus contraires à l’Écriture sainte. Hommes et femmes il les créa, répète la Genèse. L’homme s’extasie en découvrant la femme que Dieu a créée à son côté et s’écrie : Pour le coup, c’est l’os de mes os et la chair de ma chair. Quant à Ève, elle jubile et attribue à Dieu le pouvoir d’avoir enfanté à la suite d’une relation sexuelle avec son mari : L’homme connut Ève, sa femme ; elle conçut et enfanta Caïn et elle dit : J’ai acquis un homme de par Yahvé.
Dieu a créé les sexes. Il a voulu la chair, il a voulu le bonheur et le plaisir sexuel comme tous les autres plaisirs sensoriels, puisqu’en conclusion de son projet de création, il a déclaré que tout ce qu’il avait fait, cela était TRÈS BON.
Au plan anthropologique, le lien forcé entre le coït et l’engendrement d’un nouvel être humain n’est pas justifié. Ce sont deux actes distincts qui ont leur légitimité propre et jouissent d’indépendance l’un de l’autre. L’amour des époux suffit pour légitimer l’union conjugale, même si aucune conception n’en résulte. D’autre part, la fécondation peut se produire plusieurs heures après la copulation. Les époux n’exercent normalement aucun contrôle sur la pénétration de l’ovule par un spermatozoïde, qui serait le moment précis de l’imprégnation du péché originel dans l’âme[1]. Que la fécondation survienne ou non après un laps de temps plus ou moins long indique que la conception ne découle pas directement de la seule relation sexuelle des époux. D’autres facteurs physiques et spirituels entrent aussi en ligne de compte. Dont, selon la foi, la participation de la Providence divine à la conception de chaque être humain particulier.
Propagation
Les Pères du Concile de Trente, qui ont statué sur le dogme du péché originel en réaction à la Réforme protestante (17 juin 1546), ont sans doute été conscients de la regrettable dévaluation que le concept augustinien faisait peser sur la vie matrimoniale. Ils réprouvaient le concept de transmission générationnelle en lui substituant celui de propagation.
Bien que je n’aie trouvé aucun développement théologique explicitant cette terminologie , cette notion implique l’extériorité, contrairement à la première concernée par la vie intra-utérine. Peut-on comprendre de l’enseignement dogmatique de ce Concile, que le péché originel se communique à tous les humains en se propageant… dans le MONDE ? Un peu comme une sorte de virus de l’ordre moral qui affecterait l’état général de l’humanité ? Le Catéchisme de l’Église catholique incline dans ce sens, me semble-t-il.
C’est un péché qui sera transmis par propagation à toute l’humanité, c’est-à-dire par la transmission d’une nature humaine privée de la sainteté et de la justice originelles. Et c’est pourquoi le péché originel est appelé « péché » de façon analogique : c’est un péché » contracté » et non pas » commis « , un état et non pas un acte » (CÉC 404).
Quoi qu’il en soit de cette propagation, elle s’accorde tout à fait aux interprétations avancées jusqu’ici dans la présente recherche. À savoir, pour l’écrire une fois de plus, que le couple originel, trompé par le Tentateur, a développé la conscience humaine en lien avec l’extériorité perçue par les sens au détriment de la relation intérieure à la Divinité. Ce choix a initialisé dans l’humanité la construction d’un MONDE artificiel en rupture de ban avec Dieu et la nature. Ce MONDE-là, auquel aucun être humain ne peut échapper, serait l’inévitable milieu de prolifération des convoitises (l’équivalent spirituel des virus) nées du premier péché.
Mais cette interprétation n’explique pas tout. Plusieurs questions demeurent encore dans le flou du mystère, comme le signale le Catéchisme.
Comment le péché d’Adam est-il devenu le péché de tous ses descendants ? Tout le genre humain est en Adam » comme l’unique corps d’un homme unique » (S. Thomas d’A., mal. 4, 1) Par cette » unité du genre humain » tous les hommes sont impliqués dans le péché d’Adam, comme tous sont impliqués dans la justice du Christ. Cependant, la transmission du péché originel est un mystère que nous ne pouvons pas comprendre pleinement » (CÉC 404).
Nature et surnature
L’opposition entre le péché d’Adam et la justice du Christ renvoie aux extraits cités de l’épître aux Romains. Car c’est en parallèle aux dons de Dieu, répandus sur la multitude par la grâce du Christ, que saint Paul soulève le problème du premier péché comme cause de la mort. Il associe ainsi le “mystère d’iniquité” – initialisé dans l’univers par la révolte de Lucifer et dans le monde terrestre par l’humanité “en Adam” – au “mystère de rédemption” par la croix de Jésus. La mort et la vie dont il parle doivent être comprises ensemble dans le sens spirituel. Elles relèvent de causes supérieures à la nature humaine – l’ordre surnaturel, inaccessible à l’esprit limité au terrestre – où le problème de la morbidité tant biologique que spirituelle se résoudra dans le monde à venir par la résurrection des morts pour la vie éternelle.
Nous sommes situés ici dans un contexte sur-historique. De même que la croix de Jésus a apporté le salut aux humains qui ont vécu aussi bien avant qu’après sa mort, de même la faute s’est répercutée sur l’humanité de tous les temps. Ainsi, le péché et son pardon sont atemporels et s’appliquent au genre humain tout entier.
Ce qui ne veut pas dire que les événements terrestres qui sous-tendent ces réalités surnaturelles n’ont pas existé dans le temps et relèveraient du mythe. La crucifixion de Jésus a vraiment eu lieu hors des murs de Jérusalem, il y a deux millénaires. Bien que de portée sur-historique, la foi en l’Incarnation du Verbe doit nécessairement s’enraciner dans l’Histoire, enseigne l’Église. Sinon, la foi serait vaine et n’aurait aucune efficacité.
Il ne peut qu’en être de même pour l’acte par lequel l’humanité de tous les temps est devenue pécheresse, précise encore l’Épouse du Christ. Et c’est pourquoi elle charge ainsi nos “premiers parents” de la responsabilité morale de l’option litigieuse qui a initialisé le développement de l’humanité tout entière. Elle maintient qu’au tout début historique du genre humain, Adam et Ève se sont détournés de la présence de Dieu pour s’émanciper de l’ordonnance divine de la création.
Choix crédible
Présenté sous l’angle de la surnature, le péché originel fournit une explication pertinente de la prolifération du mal moral sur notre planète. Il n’est nullement nécessaire ou utile de spéculer sur l’époque de sa perpétration ni du degré d’intelligence requis pour en assumer la responsabilité. Tel n’est pas le but de l’enseignement ecclésial.
L’Adam originel n’avait pas besoin d’être un génie selon nos normes actuelles pour tomber dans le piège luciférien. Il avait tous les déterminismes de la vie animale derrière lui – ceux du plus rusé de tous les animaux que Dieu avait faits – pour l’inciter à s’investir dans le monde de l’AVOIR sur lequel s’ouvre les sens plutôt que de miser sur l’ÊTRE auquel il venait de s’éveiller à l’intérieur de lui-même. On peut comprendre son dilemme et lui trouver des excuses si l’on tient compte de l’énorme contrainte biologique de ses antécédents qui a pu faire pencher la balance sur le versant extérieur. Il reste que le choix de l’âme était clair et radical : se développer intérieurement ou extérieurement, vivre en SOI pour ÊTRE plus ou s’imposer au-dehors pour AVOIR plus ?
En optant pour l’extériorisation de la conscience, Adam jetait la base du MONDE humain et devenait une sorte de prophète avant terme qui incitait ses semblables à s’extirper de leur repliement intérieur pour construire, à la périphérie d’eux-mêmes, l’habitat terrestre d’une humanité autonome[2]. La conséquence de cette initiation à l’indépendance a fait que tous les parents humains éduqueront leurs enfants de manière à ce qu’ils développent un MOI basé sur le paraître des valeurs mondaines. L’incontournable objectif de cette construction psychique est de se faire une place dans le monde créé artificiellement par l’humanité en l’absence de Dieu, monde en rupture de ban avec la nature. Monde de la connaissance du bien et du mal, tantôt bon, tantôt mauvais, monde de rivalités et de combats, parfois valeureux, parfois cruels, monde contrôlé par des aspirations – les convoitises – qui n’échappent pas à la mort éventuelle de l’âme et du corps.
Le traumatisme
Dans l’optique du profil psychique de l’humanité, toutefois, la détermination adamique peut se comprendre tout autrement, sinon même se justifier comme un progrès décisif de l’évolution en continuité avec l’essor ascensionnel de la substance vivante[3]. Le scénario originel évoqué par la religion monothéiste référerait à la transition de la conscience animale – le deuxième étage de la Maison de la vie – à la conscience réfléchie – le troisième. Car le bond qualitatif qui a permis à l’humanité d’accéder à la liberté du comportement suppose l’éclatement de l’instinct animal (voir l’illustration graphique ci-dessous]).
Ce déracinement a laissé une séquelle psychique dont a pu émerger la faculté autorisant les délibérations comportementales du libre arbitre. Dans l’histoire de l’évolution de la vie sur notre planète, le passage de l’instinct à la rationalité ne se sera pas effectué aisément. Il aura été un douloureux enfantement qui laisse encore un traumatisme lors de la naissance de chaque être humain particulier et fait obstacle à la pleine jouissance de la conscience réfléchie, le niveau vital propre du genre humain.
Ce serait ce traumatisme de l’âme qui serait évoqué par saint Paul en lien avec la Rédemption par la croix de Jésus. Paradoxalement, l’événement douloureux de la crucifixion guérit l’âme de la blessure originelle en ouvrant un nouveau passage, cette fois du troisième au quatrième étage de la Maison de la vie. Là encore, la douloureuse transition s’effectue dans la continuité de l’essor ascensionnel de la VIE. Car c’est au niveau de la conscience unifiée que se résout enfin la tension de la substance vivante visant l’Organisme apte à se maintenir perpétuellement au Présent. Cet objectif est déjà en vue puisque l’immortalité est assurée pour l’humanité rachetée, la résurrection de Jésus en est la garantie. Ce que l’Église célèbre au matin de Pâques en entonnant l’Exultet : Ô heureuse faute qui nous a valu un tel Rédempteur.
Saint Paul a pressenti intuitivement ces deux phases fondamentales de l’évolution humaine, l’une menée par Adam, l’autre par Jésus. Comme en témoigne particulièrement la première lettre aux Corinthiens, sa distinction séquentielle entre corps psychique et corps spirituel en fait foi.
Toutes les chairs ne sont pas les mêmes, mais autre est la chair des hommes, autre est la chair des bêtes, autre est la chair des oiseaux, autre celle des poissons… On est semé corps psychique, on ressuscite corps spirituel. S’il y a un corps psychique, il y a aussi un corps spirituel. C’est ainsi qu’il est écrit : Le premier homme, Adam, a été fait âme vivante ; le dernier Adam, esprit vivifiant. Mais ce n’est pas le spirituel qui paraît d’abord ; c’est le psychique, puis le spirituel. Le premier homme, issu du sol, est terrestre, le second, lui, vient du ciel. » (1 Co 15, 39.44-45).
Le premier Adam, même s’il a généré beaucoup de souffrances et de morts spirituelles dans l’Histoire, n’a pas mis en échec le projet du Créateur. L’humanité n’est pas perdue à jamais. On peut observer qu’elle est actuellement en transition vers le meilleur. Son essor l’a mené jusqu’au seuil du Divin. C’est ce résultat glorieux qu’il faut attendre de l’Histoire. Le saint Apôtre osait espérer que la divinisation s’accomplisse en lui par-dessus le corps mortel, de manière à ce que l’humain, sans rien perdre de sa beauté, soit absorbé par le divin.
Nous savons en effet que si cette tente – notre maison terrestre – vient à être détruite, nous avons un édifice qui est l’œuvre de Dieu, une maison éternelle qui n’est pas faite de main d’homme, dans les cieux. Aussi, gémissons-nous dans cet état, ardemment désireux de revêtir par-dessus l’autre notre habitation céleste… » (2 Co 5, 1-2).
Le mot final
C’est ici que le scandale de la croix fait voir la tragique beauté du drame originel de l’humanité, cause de tant de misères morales dans l’Histoire. Car en dépit de la terrible croix des siècles que Jésus a portée avec amour, l’éblouissant projet de création de l’univers se poursuivra jusqu’à son bienheureux accomplissement, celui de la VIE immortelle dans un océan d’AMOUR infini !
[1] Ce ne peut être qu’à l’instant précis où un spermatozoïde pénètre dans l’ovule maternel pour la féconder que l’âme est créée. Cette âme est de nature spirituelle. C’est-à-dire que sa substance n’est pas soumise au temps et à l’espace. Toute immatérielle et immortelle qu’elle soit, elle est contrainte, par la volonté du Créateur, de devenir le principe vital du corps ; un organisme de chair certes mortelle mais qui, selon le projet originel du Créateur, est en marche vers l’immortalité. Pour ce faire, elle doit faire volte-face, par rapport à Dieu, pour s’incarner et s’investir dans la formation organique. L’âme amorce ainsi une descente vers la matière terrestre. À cause du traumatisme de la naissance, ce mouvement spirituel descendant aura des répercussions sur la vie hors du sein maternel – contrairement portée par le courant ascendant de la substance vivante vers la perpétuelle Présence – sous la forme d’une inclination au laisser-aller sur une pente qui mène à la dégradation vitale.
[2] Dans le langage de la spiritualité, Adam peut être dit le premier homme en tant qu’il est l’initiateur du “monde” particulier des humains. Mais au plan biologique, il ne serait pas forcément le premier de l’espèce d’hominidés dont l’humanité actuelle est issue.
[3] Pour un rappel du sens de ces expressions, revoir l’illustration graphique du 20e article à https://www.ac3m.org/?p=10973.