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« L’œuvre réalisée par Mère Teresa aurait pu être bonne, mais elle était menée dans un but précis : convertir au christianisme les personnes à qui elle venait en aide. » Tels sont les propos qu’a tenus Mohan Bhagwat, chef du Rashtriya Swayamsevak Sangh (RSS – Corps national des volontaires), le 23 février dernier au Rajasthan. Des propos mettant en cause la fondatrice des Missionnaires de la Charité et qui ont amené les responsables de l’Église catholique en Inde à réagir vivement.
17 février 2015, Delhi: le Premier ministre N. Modi allume une lampe avant de s'adresser à un rassemblement de catholiques syro-malabars (photo DR).

17 février 2015, Delhi: le Premier ministre N. Modi allume une lampe avant de s’adresser à un rassemblement de catholiques syro-malabars (photo DR).

Le chef de l’organisation nationaliste hindoue s’exprimait à Bajhera, village situé près de Bharatpur, au Rajasthan, où l’ONG Apna Ghar (‘Notre maison’) inaugurait deux centres, l’un pour enfants pauvres et l’autre pour femmes isolées. « La question n’est pas au sujet de la conversion, mais si celle-ci est obtenue au moyen du service offert, alors la valeur même de ce service est en cause, a affirmé le leader du RSS. Mais, ici Apna Ghar], le but poursuivi est purement et uniquement le service aux pauvres et aux déshérités. »

La mise en cause de la religieuse catholique (1910-1997) a entraîné une réaction quasi immédiate de la Conférence des évêques catholiques d’Inde (CBCI). Par un communiqué en date du 24 février, l’épiscopat indien dénonce avec « douleur » et « inquiétude » le fait que « la réputation d’une personne aussi sainte que Mère Teresa » soit mise en cause en « attribuant des motifs cachés » à une vie « toute entière consacrée à l’aide humanitaire apportée aux pauvres et aux malades ». « Mère Teresa n’a jamais eu d’ordre du jour caché, pas plus qu’elle n’a utilisé son œuvre pour couvrir des conversions. Elle a toujours affirmé que son principal souci était d’apaiser les souffrances des gens et d’aider les pauvres et les souffrants à mener une vie digne et apaisée. A la question sans cesse répétée des motifs qui la poussait à offrir un service si effacé aux pauvres et aux souffrants, elle a toujours répondu qu’elle voulait aider un hindou à vivre en meilleur hindou, un musulman à vivre en meilleur musulman et un chrétien à vivre en meilleur chrétien, dans le respect de la dignité d’être humain de chacun. (…) », peut-on lire dans le communiqué, qui rappelle le prix Nobel de la paix (attribué en 1979) et le prix Bharat Ratna, décoration civile la plus prestigieuse d’Inde, attribuée en 1980 à celle qui sera déclarée bienheureuse en 2003 par le pape Jean-Paul II.

L’Église catholique n’a pas été la seule à prendre la défense de la mémoire de Mère Teresa. Le tout récemment élu ministre-président de Delhi, Arvind Kejriwal, a tweeté le 24 au matin les mots suivants : « J’ai travaillé quelques mois avec Mère Teresa à l’ashram Nirmal Hriday de Kolkata [Calcutta]. C’était une noble personne. Je vous en prie, épargnez-la. » Chef du parti anti-corruption Aam Aadmi Party (Parti de l’homme du people, AAP), Arvind Kejriwal vient d’infliger, le 7 février dernier aux législatives de l’État de Delhi, un cinglant revers au BJP, le parti de la droite hindouiste au pouvoir depuis mai dernier au plan fédéral.

La « sortie » du chef du RSS sur Mère Teresa interroge. Elle intervient en effet au moment où le Premier ministre Narendra Modi et certains de ses ministres multiplient les déclarations d’apaisement en direction des minorités religieuses. Après une série d’attaques contre des églises chrétiennes, à Delhi et dans sa région, ainsi que des cérémonies de « re-conversion » à l’hindouisme de musulmans dénoncées par les organisations musulmanes comme « frauduleuses », le Premier ministre s’était vu reproché son silence. Au plan international, le président américain Barack Obama, en visite officielle dans le pays fin janvier, n’avait pas hésité à le mettre en garde contre « les divisions religieuses » qui mine la démocratie indienne.

Narendra Modi n’était sorti de son silence qu’après l’échec électoral essuyé le 7 février à Delhi. Le 17 février, il assistait à un rassemblement national de catholiques syro-malabars et déclarait, en présence du cardinal George Alencherry : « Nous ne pouvons accepter aucune violence contre aucune religion sous aucun prétexte que ce soit et je condamne fermement de telles violences. Mon gouvernement agira avec fermeté à cet égard. » Sans toutefois jamais évoquer les attaques contre les églises ou les institutions chrétiennes – lesquelles se sont multipliées depuis que le BJP a accédé au pouvoir fédéral en mai dernier –, il affirmait encore : « Mon gouvernement sera un gouvernement qui témoignera d’un égal respect envers toutes les religions », et il appelait l’ensemble des groupes religieux « à agir avec mesure, dans le respect mutuel et la tolérance ».

Deux jours plus tard, le 19 février, son ministre du Développement urbain, Venkaiah Nadu, déclarait au magazine India Today que « si les conversions forcées [étaient] une erreur, les re-conversions l’[étaient] aussi ». Sans citer directement les cérémonies de « Ghar Wapsi » (‘Retour à la maison’), par lesquelles ces derniers mois des groupes hindouistes affiliés au RSS ont « reconverti » en masse des chrétiens et des musulmans à l’hindouisme, le ministre précisait que le gouvernement central ne pouvait être tenu pour responsable de ce qui se faisait dans chacun des États de l’Union. Il indiquait aussi que le gouvernement n’avait pas dans ses projets de présenter une loi anti-conversion au plan fédéral, sur le modèle des lois en ce sens qui existent dans six des Etats de l’Union.

Pour les observateurs, les déclarations au plus haut niveau gouvernemental d’apaisement à l’intention des minorités religieuses peuvent signifier que Narendra Modi a entendu l’avertissement donné par les électeurs de Delhi : pour rassurer les investisseurs étrangers, pour contenter les milieux urbains pour qui la priorité est la lutte contre la corruption et le développement économique, la politique d’hindouisation des institutions et de la société indiennes va être mise en veilleuse. Mais la mise en cause de Mère Teresa par le chef du RSS peut aussi signifier que le Premier ministre devra continuer de compter avec l’aile la plus militante du mouvement hindouiste.

Dans l’immédiat, les chrétiens affichent leur volonté de rester vigilant. Le 6 février dernier, à l’issue de leur assemblée plénière, qui se tenait à Bangalore, les évêques catholiques de rite latin (1) avaient pris l’initiative, inédite, de descendre dans la rue pour une procession aux bougies afin de dire leur inquiétude face aux menaces pesant sur l’harmonie intercommunautaire en Inde. Le 28 février prochain, à Chennai (Madras), des organisations chrétiennes et musulmanes ont appelé à une grande manifestation pour dénoncer « les attaques contres les églises » et « les cérémonies de ghar wapsi » ; tous les partis politiques ont été invités à y participer, à l’exception du BJP et de ses alliés.(eda/ra)

Notes

(1) Les évêques catholiques de rite latin en Inde se réunissent au sein de la CCBI (Conference of Catholic Bishops of India). La CBCI (Catholic Bishops’ Conference of India) rassemble quant à elle les trois rites de l’Église catholique en Inde : le rite latin, le rite syro-malabar et le rite syro-malankar.

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