Dieu planifie-t-Il les catastrophes? Est-Il l’auteur des cataclysmes qui s’abattent un peu partout sur la planète? La question m’a été posée à plusieurs reprises. Un signe que l’inquiétude tenaille particulièrement les consciences, à l’abordage du troisième millénaire. Pour certains, la tempête de verglas qui s’est abattue sur une partie de l’Amérique du Nord a été l’événement déclencheur du questionnement.
Chez d’autres, le cas est réglé depuis déjà un bon bout de temps. Ils ne doutent pas que le sida, les massacres en Afrique et ailleurs, les tornades, les tremblements de terre, les conflits violents qui éclatent de toutes parts sont des fléaux orchestrés par un Dieu en colère pour châtier l’humanité.
Par exemple, concernant les inondations au Saguenay, le bruit a couru dans certains groupes, sans doute plus fédéralistes que charismatiques, que Dieu avait voulu punir cette région parce qu’elle avait voté massivement OUI au référendum sur la souveraineté québécoise. À croire que le Créateur de l’univers serait un partisan du pouvoir fédéral… N’est-ce pas Le rapetisser un petit peu trop en le rabaissant au niveau de nos mesquins intérêts politiques? Celui qu’on appelle «le Bon Dieu» serait-Il un vilain politicien assoiffé de vengeance qui frapperait aveuglement et sans distinction, bons et méchants, justes et injustes.
Si Dieu avait voulu punir les souverainistes du Saguenay, comme on a odieusement osé l’affirmer, quelle sorte de justice exercerait-Il puiqu’Il aurait en même temps puni tout autant les fédéralistes qui s’y trouvent? Et si Dieu veut châtier les homosexuels par le sida, ne serait-Il pas terriblement injuste envers les hémophiles et les hétérosexuels qui sont aussi contaminés sans qu’ils aient eu de rapports avec des personnes du même sexe?
D’emblée, j’affirme que de telles représentations ne correspondent en rien au Dieu que je connais. Celui que Jésus Christ m’a fait découvrir et aimer est un Dieu de bonté qu’aucune trace ou volonté de mal, fut-elle la plus infime, ne parvient à effleurer. Un Dieu d’amour et de tendresse qui, loin d’infliger de cruels châtiments à sa créature, a plutôt choisi de se punir Lui-même, en quelque sorte, en prenant sur Lui, en Son Fils unique, tout le mal de l’homme pour l’en libérer et partager avec lui Sa vie et Sa joie.
Reste tout de même, lorsque le malheur vous atteint, qu’il est normal et légitime de se poser des questions. Pourquoi? D’où vient le mal? Mais devrions-nous aller jusqu’à conclure comme cet homme à la télévision à propos du verglas: «Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu pour qu’un tel désastre nous frappe?»
Réaction promitive. Elle tient plus d’une vision superstitieuse de la réalité que de la foi authentique. Pour y voir plus clair, je tâcherai, dans ce premier article, de faire une distinction fondamentale entre nature et surnature.
Dieu, Cause première de la nature
La nature est ce lieu de la matière, de l’espace et du temps dans lequel se développent les diverses formes de vie animale, végétale et humaine. Elle comprend aussi bien le cosmos, où se balancent les galaxies comme d’immenses toupies, que les plus infimes cellules au fond des mers, en passant par l’homme dont le regard peut embrasser les unes et les autres.
Derrière ce monde visible, le croyant peut saisir la présence du Seigneur. La nature porte la signature du Créateur. Les philosophes païens de l’Antiquité ont pu y lire l’existence de Dieu en tant que Cause première de tout ce qui existe. Dieu est le Moteur immuable qui donne l’impulsion fondatrice de l’être à tout ce qui est doué d’existence. Les choses existent parce que l’Être suprême leur donne l’être. C’est un grand mystère qui se renouvelle à chaque instant comme la source d’où jaillit une eau toujours nouvelle.
La création n’a donc pas été accomplie une fois pour toute dans le lointain passé de l’univers. C’est à chaque instant que Dieu crée. Il est maintenant, dans son Présent perpétuel, le Créateur de tous les êtres passés, présents et à venir. Il soutient dans l’existence toutes les créatures ensemble et chaque être en particulier. Sans son soutien constant et ininterrompu, rien ne pourrait subsister.
Les causes secondes
Si toutes les choses ont Dieu pour Cause première parce qu’elles tiennent l’ÊTRE de Lui, elles existent en même temps au niveau des contingences. C’est-à-dire qu’elles sont un «effet» produit par des «causes» antérieures.
Un exemple: le mouvement de la pierre que je lance est un «effet» «causé» par l’impulsion que lui donne mon bras; sa vélocité et son altitude diminuent lorsqu’une autre «cause» intervient, soit la force de la gravité terrestre, et dépasse en puissance mon impulsion initiale pour ramener la pierre sur le sol. Autre exemple: mon existence personnelle est un effet produit par l’union gamettes de mes parents, qui eux aussi ont été engendrés par leurs parents et ainsi de suite.
En théorie, je pourrais remonter la chaîne des «effets» et des «causes» jusqu’à Adam. Plus encore, jusqu’au «Big Bang» initial. Selon la thèse scientifique la plus accréditée, le «Big Bang» est l’événement cosmique à l’origine de l’espace et du temps. Une formidable explosion d’énergie que la Genèse semble évoquer sous la figure de la première « Parole »: «Que la lumière soit!».
Eh bien! le jeu de causes et d’effets, auquel rien de ce qui existe dans le contexte du monde matériel ne peut se soustraire, c’est ce que les philosophes classiques appellent les «causes secondes».
En étudiant les causes secondes, l’humanité, au fil du temps, a appris peu à peu à connaître de plus en plus son habitat universel. De sorte que l’homme a pu étendre son empire sur une portion de plus en plus vaste et complexe de la réalité, obéissant ainsi à l’injonction du Créateur: «Soyez féconds, multipliez, emplissez la terre et soumettez-la» (Gn 1, 28).
Même lorsqu’ils ne reconnaissent pas l’existence de Dieu en tant que Cause première, les scientifiques expliquent donc légitimement les conditions d’existence de la matière. En observant les causes secondes, ils parviennent à identifier les lois immuables auxquelles elle est soumise.
L’autosuffisance de la nature
Or, nous devons comprendre que Dieu n’intervient pas DIRECTEMENT —je souligne le mot— à ce niveau. Une intrusion divine dans le jeu des causes secondes constituerait en effet une brèche dans l’ordre existant. Elle opérerait une trouée catastrophique qui ébranlerait l’équilibre des lois et compromettrait l’existence même du tissu serré des réalités matérielles. Elle introduirait à la base de l’édifice une faiblesse qui finirait par causer l’écroulement de toute la structure.
Dans l’univers, tout se tient. Et c’est précisément cette cohérence, cet entrelacement, cette interdépendance de causes et d’effets qui manifeste dans la nature la toute-puissance du Seigneur. Dieu n’est pas comme l’homme un être inconstant et inconséquent. Il ne défait pas aujourd’hui ce qu’Il a construit hier. Il ne modifie pas en cours de route les enjeux de Son projet pour l’accommoder au caprice de l’heure. Il ne pipe pas les dés qui déterminent Sa création.
Les lois naturelles ne pourraient être modifiées, même par Dieu, sans provoquer la destruction de l’univers. Tant que l’univers subsistera, elles régleront le cours des choses. Elles sont le principe, le fondement de l’autonomie de la nature. Ce sont elles qui créent en quelque sorte le milieu des contingences et fournissent le contexte nécessaire à l’enchaînement des effets et des causes secondes de la réalité.
Conséquemment, les cataclysmes, de quelque sorte qu’ils soient, ne tirent pas leur origine d’une volonté explicite de Dieu. Puisqu’ils se manifestent dans la nature, ils surviennent dans le cadre des lois qui la gouvernent.
Des météorologues ont pu expliquer la catastrophe du verglas par le phénomène «El niño». Des écologistes ont quant à eux attribué le sinistre à l’effet de serre, causé par la pollution atmosphérique, qui modifierait le climat de la planète.
À l’aube de l’humanité, les humains croyaient entendre dans le tonnerre la voix de Dieu. Aujourd’hui, nous savons que ce phénomène est causé par la décharge électrique de l’éclair. Ceux qui étaient menacés par une éruption volcanique croyaient que leur dieu, personnifié par le volcan, était en colère et voulait les exterminer. Aujourd’hui, nous savons que ce sont les mouvements du magma sous la croûte terrestre qui en sont la cause.
Attribuer à Dieu le sinistre du verglas ou d’autres catastrophes naturelles relève d’une mentalité semblable. On ne fait pas honneur au Seigneur à Le faire passer odieusement pour une cause de malheur. L’on démontre ainsi qu’on ne Le connaît pas ou très mal.
La vertu de prudence réclame donc de ne jamais attribuer à Dieu ce qui peut ou pourrait trouver une explication dans l’ordre naturel. Devant tout phénomène et tout événement, d’abord chercher, avant d’invoquer une intervention divine, l’explication naturelle.
La base d’un tel discernement, c’est la raison. Un magnifique cadeau du Créateur à l’homme qui fait toute sa noblesse et qui est ordonné à l’analyse des causes naturelles.
Les interventions surnaturelles
Mais si Dieu a créé un univers gouverné par des lois immuables, est-ce à dire qu’Il est Lui-même assujetti à ces lois? Certes non! Sans entrer en conflit avec elles, Il peut en suspendre l’application, comme bon Lui semble. Ce qu’Il fait en passant au-delà de leurs déterminismes.
Ici, toutefois, nous entrons dans une perspective dite « surnaturelle ». Les phénomènes surnaturels réfèrent à des réalités situées au-dessus de la nature, qui échappent conséquemment à ses lois. Les guérisons merveilleuses, les apparitions, les miracles, etc., sont classifiés miraculeux précisément lorsque ces phénomènes ne peuvent s’expliquer par les lois de la nature.
C’est dans cette dimension que des événements peuvent être attribués DIRECTEMENT à Dieu. J’ai bien écrit qu’ils «peuvent». C’est que le Seigneur peut accomplir Ses desseins en passant par des intermédiaires. Comme les saints ou les anges.
Il y a aussi que les phénomènes surnaturels peuvent avoir une autre origine. Ils peuvent être l’initiative des anges qui se sont révoltés contre Dieu. Même s’ils sont perdus à jamais, les esprits mauvais conservent un certain pouvoir surnaturel qui leur permet de simuler parfois l’action divine ou de se manifester dans l’intériorité des humains, notamment par les possessions diaboliques.
Raison suffisante pour inciter à la vigilance afin de discerner, dans toute manifestation surnaturelle, entre la présence de Dieu et de ses serviteurs ou celle de Satan et de ses suppôts.
L’appareil requis pour opérer un tel discernement surnaturel, c’est l’Esprit Saint. Il s’exprime de deux manières complémentaires: par le ministère du Magistère de l’Église qui a reçu de Jésus le mandat de guider les croyants dans leur pérégrination terrestre et par l’exercice du charisme du discernement des esprits qu’Il prodigue dans le peuple de Dieu. (Lire la suite, deuxième article)
N. B. Cette série d’articles est tirée de Pour discerner l’action de l’Esprit, publié en 1998 aux Éditions Spirimédia.