Le président Thein Sein a approuvé un ensemble de projets de lois très controversés, imposant des restrictions sévères aux mariages interreligieux ainsi qu’aux conversions du bouddhisme à une autre confession, et visant également à restreindre les naissances au sein de la population musulmane.Mercredi 3 décembre, le président birman, après avoir donné son accord, a soumis les projets législatifs au Parlement, qui en débattra à la prochaine session parlementaire, déclenchant une pluie de critiques des défenseurs des droits de l’homme.
Cet ensemble de quatre lois a été élaboré par une coalition de bonzes radicaux proche du pouvoir, regroupés sous la bannière de l’Organization for the Protection of Race, Religion, and Belief (OPRRB).
Présentés pour la première fois en juin dernier sous la forme d’une pétition qui avait réuni 1,3 million de signatures, ces projets de loi font suite à une campagne de haine et de violence contre les musulmans, orchestrée par les bonzes nationalistes du « mouvement 969 » dirigés par le moine Wirathu.
Les chiffres officiels, très sous-estimés selon les ONG, estiment que les heurts entre les communautés bouddhistes et les musulmans – en particulier l’ethnie très persécutée des Rohingyas en Arakan (État Rakhine) –, depuis 2012 ont fait plus de 200 morts et environ 140 000 déplacés.
Selon les thèses défendues par le mouvement extrémiste qui a récemment gagné en popularité dans le pays, la nation birmane et bouddhiste, qui représente plus des deux tiers de la population du pays, serait menacée par une poussée démographique et religieuse des musulmans venus du Bangladesh voisin.
Le projet de loi a pour but avoué de mettre fin à l’augmentation numérique des adeptes de l’islam en Birmanie. Parmi les mesures préconisées par les bonzes, figure en première ligne, la limitation des naissances dans « certaines régions du pays », où les musulmans sont majoritaires (les Rohingya de l’Etat de Rakhine ont déjà interdiction d’avoir plus de deux enfants par couple (1)).
« C’est une honte pour tous les citoyens du Myanmar que ce genre de question soit examinée par le Parlement », s’indigne Ni Ko, conseiller juridique de la Ligue nationale pour la démocratie (LND). Quant à Aung Myo Min, directeur exécutif du groupe de défense des droits de l’homme Equality Myanmar, il a déclaré qu’alors que « le contrôle des naissances devrait être une décision familiale, [selon cette loi], les êtres humains ne sont considérés que comme des machines ».
Si elle était définitivement adoptée, la loi exigerait également de tout citoyen de Birmanie qui désirerait changer de religion, d’obtenir l’autorisation préalable de l’administration (2), sous peine de sanctions pouvant aller jusqu’à deux ans d’emprisonnement. Seraient considérées comme des violations de la loi, la « conversion avec intention d’insulter ou de porter atteinte à une religion », la conversion forcée, ou celle, très vague, décrite comme ayant été « obtenue par des moyens de persuasion, quels qu’ils soient ».
Les ONG de défense des droits de l’homme, mais aussi tous les représentants des religions minoritaires en Birmanie, y compris ceux des communautés chrétiennes, généralement très discrets, ont plaidé en vain pour que cette loi ne soit pas présentée devant le Parlement. En avril dernier, Mgr Charles Bo, archevêque catholique de Rangoun, avait rappelé que la conversion étant « un acte relevant de la liberté individuelle, nul ne pouvait contraindre quelqu’un à embrasser ou à quitter une religion (…), pas même ses parents, l’Etat ou des moines. »
Outre la limitation des naissances, la limitation des conversions, la loi vise également la limitation des mariages interreligieux, autres vecteurs de « contamination » par la foi musulmane. Si la loi est validée par le Parlement, toute femme bouddhiste souhaitant convoler avec un homme d’une autre religion devra obtenir au préalable, l’autorisation de ses parents, de sa (future) belle-famille et des autorités locales. Il sera également demandé au futur époux de se convertir au bouddhisme.
En raison de son aspect doublement discriminatoire (envers les musulmans et envers les femmes), c’est la loi qui semble avoir suscité le plus de réactions en Birmanie, y compris parmi les bouddhistes. Elle aura même fait sortir de son silence Aung San Suu Kyi, qui, depuis le début du conflit entre bouddhistes et musulmans, avait refusé « de prendre parti », une attitude qui lui avait été beaucoup reprochée. Pour la première fois depuis les troubles interreligieux, l’opposante s’est élevée contre « ces mesures discriminatoires et ces violations des droits de l’homme ainsi que des droits des femmes ».
Depuis l’approbation par le président des lois de l’OPRRB, les critiques et les condamnations de la communauté internationale ainsi que de nombreuses ONG se multiplient. « Ces lois n’ont été élaborées que dans le but de discriminer ouvertement l’ethnie et la religion », a dénoncé auprès de Radio Free Asia le 4 décembre dernier, Khun Jar de Kachin Peace Network, une organisation humanitaire basée à Rangoun, qui aide les civils déplacés par le conflit dans le nord de la Birmanie.
En novembre, un rapport de novembre de la Commission américaine sur la liberté religieuse dans le monde avait déjà condamné fermemement l’ensemble des projets de lois les qualifiant de « gravement discriminatives ».
Quant à l’ONG Human Rights Watch (HRW), elle a averti que la validation de ces lois auraient pour conséquences d’augmenter la violence en encourageant la répression à l’encontre des musulmans et des autres minorités religieuses, tout en aggravant les violations des droits de l’homme, de ceux des femmes ainsi que de la liberté religieuse. L’organisation avait prié dès mars dernier le président Thein Sein ainsi que le Parlement de rejeter les propositions de l’OPRRB, soulignant que les « avancées de la démocratie » récemment saluées par la communauté internationale risquaient d’être anéanties par la mise en place d’« une discrimination aussi flagrante ».
(eda/msb)
(1) Cette loi concernant les Rohingyas, une ethnie de religion musulmane, a été mise en place à l’époque de la junte, et réactivée en 2013 dans l’Arakan.
(2) Le requérant, âgé(e) d’au moins 18 ans, devra fournir des renseignements détaillés sur sa famille, la religion de ses proches ainsi que les raisons personnelles qui l’ont amené à vouloir se convertir. Le Bureau d’enregistrement des conversions devra le soumettre ensuite à plusieurs interrogatoires, lesquels pourront durer trois mois, afin de juger de sa sincérité et déterminer si sa conversion est volontaire. Ces membres, précise encore le texte du projet de loi, devront être choisis parmi les fonctionnaires du ministère de l’Immigration, des Affaires religieuses ou de la Condition féminine.