Face à la montée de l’extrémisme hindou et aux menaces de plus en plus grandes pesant sur la liberté religieuse, le cardinal syro-malankar Cleemis Thottunkal, au nom de l’Église catholique, a rencontré le Premier ministre Narendra Modi.
Lundi 18 août dernier, à Delhi, le cardinal Cleemis Thottunkal, archevêque majeur de Trivandrum et président de la Conférence des évêques catholiques de l’Inde (CBCI), a été reçu à New-Delhi par Narendra Modi, Premier ministre de l’Inde.
Le cardinal Baselios Mar Cleemis (Isaac) Thottunkal, chef de l’Église catholique syro-malankare de l’Inde (1), s’est entretenu avec Narendra Modi pendant près d’une demi-heure, a rapporté l’agence Ucanews dans une dépêche datée du 20 août.
A la veille de la commémoration, le 24 août prochain, des massacres des chrétiens de l’Orissa par les hindouistes en 2008, l’Église catholique effectue donc ici une démarche très symbolique, pour faire connaître son inquiétude face à la politique pro-hindoue menée par le leader BJP (Bharatya Janata Party), aujourd’hui à la tête de l’Inde.
Cette rencontre, organisée à la demande de la CBCI, a suivi de peu les déclarations des évêques catholiques réagissant, lors de leur assemblée annuelle début août, aux récentes attaques antichrétiennes et antimusulmanes par des hindous extrémistes, qui se sont produites dans plusieurs Etats de l’Inde depuis l’arrivée au pouvoir de Narendra Modi.
A l’issue de leur rassemblement du 6 au 8 août dernier, les évêques catholiques de l’Inde ont en effet publié une déclaration commune dans laquelle ils font part de leur inquiétude concernant les « mouvements de violence à l’égard des chrétiens » ainsi que les projets pro-hindous affichés par de nombreux membres du gouvernement Modi.
Le texte de la CBCI débutait en réaffirmant le soutien de l’Eglise catholique au gouvernement de coalition NDA [Alliance démocratique nationale, menée par le BJP], et en adressant les félicitations des évêques au Premier ministre Narendra Modi qui « ne ménageait pas ses efforts pour mener la nation vers une nouvelle ère de paix et de prospérité pour tous ».
Mais, après ces félicitations d’usage, la déclaration épiscopale rappelait des incidents récents et graves qui ont entaché les premiers mois de gouvernance de Narendra Modi. Etait citée, entre autres, l’affaire du Chhattisgarh, où, dans une cinquantaine de villages, les Gram Sabha, assemblées de villageois, avaient interdit l’entrée de leur territoire aux prêtres chrétiens, avant que l’administration du district ne les oblige à annuler leur décision.
Suite à ces regrettables incidents, la Conférence des évêques demandait donc « au gouvernement central ainsi qu’à ceux des différents États, de rester vigilants face à d’éventuels mouvements de même nature, qui pourraient ébranler une Constitution fondée sur des principes laïques et démocratiques ».
Enfin, la déclaration épiscopale exprimait une « profonde inquiétude » concernant certaines déclarations qui avaient été faites par de hauts responsables selon lesquelles une religion particulière (l’hindouisme) pourrait être favorisée parmi les autres et ses livres sacrés donnés à étudier à tous les élèves des écoles.
« Nous [l’Église], pensons qu’il est de la responsabilité du Premier ministre et du parti au pouvoir de faire respecter la Constitution, laquelle reconnaît la diversité des religions et permet à chacun d’exprimer et de vivre sa foi », a déclaré Mar Cleemis Thottunkal, le lendemain de sa rencontre avec Narendra Modi, mardi 19 août, lors d’une conférence de presse à New-Delhi.
« J’ai assuré [Narendra Modi] que l’Église de l’Inde apporterait son soutien à son gouvernement, comme elle l’a toujours fait, dans les domaines de l’éducation, de la santé et de la lutte contre la pauvreté », a ajouté le cardinal, assurant que « l’ entretien avait été très cordial ».
Preuve en est le cadeau offert par le chef de l’Église syro-malankare, – un petit bas-relief représentant la Cène –, que le Premier ministre a accepté chaleureusement… Un geste qui mérite en effet d’être souligné, Narendra Modi ayant scandalisé la presse indienne en refusant, lors de son élection, la calotte traditionnelle musulmane qui lui avait été offerte en présent.
Assurant que « le Premier ministre n’avait pas tari d’éloges sur le travail de l’Église notamment dans la reconstruction des villages détruits par le tremblement de terre qui avait ravagé son Etat natal du Gujarat », Mar Cleemis Thottunkal a appelé, au nom de l’Église de l’Inde, tous les citoyens à mettre de côté leurs différends religieux pour œuvrer ensemble au développement du pays.
Le cardinal a également rapporté aux médias avoir suggéré à Narendra Modi de mettre davantage l’accent sur les programmes de développement en faveur des chrétiens dalits (intouchables), particulièrement discriminés en Inde. « Je lui ai suggéré de chercher un autre moyen d’aider les ‘plus pauvres parmi les pauvres’, et de le faire sans aucune discrimination religieuse. »
Depuis des dizaines d’années, la situation dramatique des dalits chrétiens est régulièrement dénoncée par l’Église auprès des différents gouvernements qui se succèdent à la tête de l’Inde. Lors du dernier « Black Day », observé tous les 10 août depuis 2010 par les dalits chrétiens et musulmans pour protester contre les discriminations dont ils sont victimes, la CBCI s’est jointe au National Council of Churches in India (NCCI) ainsi qu’au National Council of Dalit Christians (NCDC) pour lancer un appel au nouveau gouvernement et lui demander de permettre enfin aux dalits de religion chrétienne et musulmane d’accéder aux mêmes droits que les dalits de religion hindoue. (eda/msb)
Notes
(1) L’Église syro-malankare est l’une des trois composantes de l’Église catholique en Inde (avec celles des rites latin et syro-malabar). Elle est issue d’un groupe de « jacobites » (chrétiens de St Thomas séparés de Rome depuis le XVIIème siècle) qui a rejoint l’Église catholique en 1930. Élevée à l’archiépiscopat majeur en 2005, l’Église syro-malankare rassemble, essentiellement au Kerala, un peu plus de 400 000 fidèles dans sept diocèses (dont un aux États-Unis), près de 600 prêtres, autant de séminaristes, et 2 000 religieuses.