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Le parcours “ordinaire” d’un journaliste pas ordinaire

Il a cherché et il a trouvé (Mt 7, 7). Son itinéraire est exemplaire. Jean- Claude Guillebaud a plus d’une fois fait le tour du monde. Littéralement! Le tour de la planète, et plus encore, celui de la culture sans frontières! L’exploration  de l’univers de la pensée l’a finalement ramené au christianisme. Un périple intellectuel dans la lignée des grands écrivains français du dernier siècle. Les Claudel, Bloy, Bernanos, Mauriac, Frossard, Guitton —et j’en passe— qui ont marqué l’Église universelle. Comme eux, il a appris à délester l’Institution ecclésiale des accidents d’un parcours bimillénaire. Et encore, à  décanter les archaïsmes donnant prise aux préjugés et aux critiques redondantes dont il a pu autrefois se faire l’écho.

Jean-Claude Guillebaud était de passage à Montréal à la mi-novembre. Essayiste récipiendaire de nombreux prix —dont le prix du journalisme Albert Londres, l’équivalent du Pulitzer américain—, il était l’invité vedette au Déjeuner de la prière. Un événement périodique fréquenté par l’élite chrétienne de la métropole québécoise.

Modeste, il introduisait son témoignage par le titre de la chanson de Robert Charlebois: «Je suis un gars bien ordinaire». Mais personne dans l’auditoire n’a été dupe de l’euphémisme. «Il m’est arrivé une drôle d’histoire, pour vous dire la vérité, a-t-il enchaîné, mine de rien pour faire passer la litote. Je pense à ce retour au christianisme. Je ne sais toujours pas si cette chose s’est faite par hasard ou si j’ai été guidé sans le savoir. En rétrospective, je m’aperçois que si c’est Dieu qui m’a guidé, il est drôlement malin.»

Tout au cours des différentes étapes de sa vie, a-t-il expliqué, «il y a eu un petit signal lumineux, une petite lampe qui clignote comme ça que je n’ai pas vue sur le coup». Une balise qui aide à maintenir la proue sur le cap bonne espérance, quoi!

Donc, rien de très spectaculaire dans ce cheminement de foi! Au point qu’il hésite à parler dans son cas de conversion du genre vécu par Paul Claudel, foudroyé par la grâce derrière un pilier de l’église Notre-Dame de Paris. Ou encore, celle d’André Frossard, un confrère journaliste issu d’une famille communiste, l’auteur de Dieu existe, je l’ai rencontré.

«Ces convertis m’impressionnent beaucoup parce qu’ils sont revenus à Jésus par l’ascenseur. Moi je suis revenu par l’escalier. Donc, ça m’a pris plus de temps et ça ne s’est pas passé d’une manière aussi subite.»

Petite histoire

Jean-Claude Guillebaud est né en Charente, en 1944, dans une famille où l’on vivait «un catholicisme de routine sans poser de questions». Sa mère est pratiquante mais son père, un militaire, ne met jamais les pieds à l’église.

Il est baptisé et devient même enfant de chœur. «C’est à cette occasion que j’ai commis mes premiers vrais péchés», avoue-t-il en blague. Il aurait recensé cinq ou six détournements de l’argent que lui donnait sa mère pour la quête pour s’acheter des friandises.

Au lycée, il maintient les contacts avec le clergé. «Je n’ai jamais eu le sentiment d’avoir des comptes à régler avec l’Église.» Il garde au contraire de ces années de très bons souvenirs. «Quand j’étais gosse, j’ai associé le clergé au judo», lance-t-il, provoquant l’hilarité de l’auditoire. Très actif dans le scoutisme à cette époque, il éprouve beaucoup d’admiration pour l’aumônier. Le prêtre est Ceinture noire. «C’est quelqu’un qui nous impressionnait beaucoup parce qu’il ne nous apparaissait pas du tout archaïque ou ringard. Au contraire, on avait autant d’admiration pour lui que pour une rock star.»

Après le bac, il s’inscrit à l’Université de Bordeaux. Il rêve de devenir professeur de droit. Il obtient un doctorat en droit privé, un autre en sciences criminelles. Et là, «première petite lumière qui a clignoté et que je n’ai pas vue, dit-il, il se trouve que mon professeur de doctorat avec qui je me suis énormément lié, un grand juriste français, était en même temps un grand théologien».

Le journaliste

Mais c’est ici que le chemin du quêteur de vérité bifurque. Guillebaud l’explique par son appartenance générationnelle. Les baby-boomers ont vécu en France l’équivalent québécois de la Révolution tranquille, explique-t-il. «Sauf que chez nous, ça été plus bruyant». Genre barricade étudiante de 68.

«J’appartiens à une génération qui s’est lentement détachée du christianisme. Pour certains, ça été avec rigueur. Moi, ça été plutôt un chemin vers l’indifférence. Ces choses-là ont cessé de m’intéresser.»

Marié jeune, il doit travailler pendant ses études. Il trouve un emploi à Sud-Ouest, un journal régional où il assumera éventuellement diverses fonctions «sauf passer l’aspirateur» et fera ses premières armes comme reporter.

Son travail le passionne. Tant et si bien qu’après quelques tergiversations dans la foulée du désordre universitaire de 68, il suspend ad infinitum ses études. Son patron le «récompense» de cette décision en lui assignant son premier reportage de guerre. «En 68, au lieu d’être sur les bancs de la faculté, j’étais au Biafra où la guerre venait de commencer. Moi qui n’avais jamais pris l’avion de ma vie, qui n’avais jamais vu mourir personne, je me suis retrouvé en enfer.»

Bien qu’il travaille en collaboration avec une équipe médicale, il est accusé d’espionnage et arrêté. «Ils m’ont annoncé que j’allais être fusillé. J’ai eu quelques journées un peu difficiles.» Le moins qu’on puisse dire! En France, sa séquestration fait la Une des actualités. Si bien que de retour à Paris après sa libération, il est déjà «un peu célèbre avant même d’avoir écrit une ligne.» On lui commande des articles dans les grandes publications françaises. Son patron jubile et le nomme officiellement grand reporter de guerre.

C’est le début d’une carrière de «préposé aux catastrophes», qui marquera éventuellement son entrée au prestigieux journal Le Monde et lui fera courir, partout sur la planète pendant 20 ans, les guerres, les famines et les révolutions. Celles du Proche-Orient, d’Asie et d’Afrique orientale. Le Biafra, le Vietnam, la guerre du Kippour, la révolution iranienne, la guerre du Liban, la révolution en Éthiopie, la guerre du Pakistan, la création du Bengladesh, etc.

Le chercheur

Dans un autre ordre de faits, il s’intéresse aux développements scientifiques. Le Monde le commissionne en Amérique pour des reportages sur les nouvelles technologies. Il rend compte, entre autres, de la révolution informatique naissante «au moment où Bill Gates travaillait encore dans son garage».

Au début des années 80, il pressent des changements gigantesques à venir dans l’humanité. «Vous savez, les journalistes ne sont pas plus malins que les autres mais ils sont comme des vaches dans la prairie qui sentent venir l’orage avant les autres. Quand vous êtes sur le terrain un peu partout dans le monde dix mois sur 12, vous sentez venir les choses avant les copains qui sont restés pharmaciens ou exercent une profession à Paris.»

Son flair journalistique lui fait anticiper une mutation profonde dans tous les domaines: géopolitique, économique, informatique, bioéthique, spirituelle, religieuse. «J’ai couvert les débuts de la révolution iranienne et c’est vrai que le régime du Shah a été renversé par un mouvement venu des mosquées et non pas d’ailleurs. Tout ça a fait que j’ai eu le sentiment qu’on allait vivre une mutation anthropologique, un basculement du monde, un moment axial dans l’Histoire.»

Notre homme ne laissera pas passer le train les bras croisés. Il veut comprendre ce qui se passe. Il veut lire, réfléchir, chercher, discuter. «Je me sentais un peu nul en anthropologie. Je m’étais intéressé aux sciences politiques, aux neurosciences, à la cybernétique et j’avais besoin de faire un recyclage intellectuel. J’ai donc fait cette chose incroyable.» Journaliste le plus envié de France au dire de son patron, parvenu au sommet de sa carrière, il démissionne du quotidien Le Monde «où je me sentais pourtant bien chez moi».

L’éditeur

C’est qu’aux Éditions du Seuil, on lui proposait le poste de directeur littéraire des publications en sciences humaines. «C’est exactement ce que je cherchais. J’avais le goût de lire et j’avais trouvé un job où on me payait pour lire. Je ne pouvais pas trouver mieux.»

Nouvelle petite lumière clignotante. «Une ruse de Dieu», s’exclame-t-il. Les Éditions du Seuil ont été fondées comme on le sait par un bon catholique. «J’ai été tiré progressivement dans un paysage plus chrétien que celui dans lequel évoluaient mes copains.»

Pendant plus de dix ans, il est «embarqué» dans une grande aventure intellectuelle. Non seulement a-t-il la possibilité de frayer avec des auteurs et prendre connaissance de leurs œuvres à la fine pointe de la culture moderne mais il a aussi la chance de participer à de grands colloques internationaux réunissant des chercheurs de toutes les disciplines: prix Nobel, mathématiciens, chimistes, biologistes, ethnologues, psychologues, sociologues, anthropologues, philosophes, etc.

Il se lie d’amitié avec des sommités françaises du monde intellectuel. Des Michel Serres, René Girard, Edgar Morin et autres. Ce sont eux qui l’incitent à se mettre au travail. Face à la fragmentation du savoir en de multiples disciplines spécialisées, on l’enjoint de chercher, à partir de son expérience journalistique, des voies de synthèse au plan de la pensée pour rendre l’état des connaissances accessibles à un vaste public.

L’essayiste

«Jusque là, j’avais écrit des livres de journalistes. Là, je me suis mis au boulot d’écrire des livres plus ambitieux qui n’étaient plus tout à fait du journalisme mais une recherche au plan de la pensée.» Il entreprend de lire «de manière effrénée et passionnée» des ouvrages dans toutes les disciplines de la connaissance. «C’est là où tout a commencé à mon insu. Parce que plus je lisais, plus j’approfondissais mes recherches, plus m’apparaissait évidente la pertinence du message évangélique. Je découvrais des choses qu’on ne m’avait jamais enseignées. Je découvrais par exemple que la plupart des valeurs de la modernité, y compris celles que vantent nos athées flamboyants, viennent du judéo-christianisme.»

Il prend en même temps conscience que dans sa recherche personnelle, les valeurs qui le propulsent vers l’avant sont chrétiennes. «J’ai beaucoup lu les livres du philosophe canadien Charles Taylor, qui démontre que la liberté individuelle, c’est une invention du christianisme. C’est-à-dire que cette liberté individuelle qu’on retourne aujourd’hui contre le christianisme, elle vient de lui.»

Dans son livre intitulé Comment je suis redevenu chrétien (Albin Michel 2007), Jean-Claude Guillebaud consacre un long chapitre aux sources judéo-chrétiennes de la modernité. Il met toutefois en garde contre une interprétation apologétique de sa démarche. «Je ne partais pas en me disant qu’il faut que je retrouve la foi de mon enfance, a-t-il expliqué lors de la conférence. Je m’en foutais. Je partais en quête de compréhension!»

Le catéchumène

Dans le sillage de ses recherches, Jean-Claude Guillebaud publie plusieurs essais volumineux qui lui valent des prix prestigieux et la reconnaissance de la valeur de ses travaux pour l’avenir. Quelques titres: La trahison des lumières (1995), La Refondation du monde (1998), Le principe d’humanité (2001), La Force de conviction (2005), Le commencement d’un monde (2008).

Un jour, il constate que ses livres sont lus aux réfectoires des monastères en France. «J’étais sidéré! Et comme j’étais invité à parler dans des associations chrétiennes ou juives, je me trouvais dans cette situation bizarroïde… J’avais envie de leur dire, moi qui n’étais qu’un galopin: Vous ne savez pas que vous êtes assis sur un trésor et que vous y êtes trop habitués. Vous n’avez pas réfléchi jusqu’à quel point vous avez des clefs, dans la tradition évangélique, dans le message du Christ, des clefs pour aider le monde d’aujourd’hui. Pas le monde d’hier. Ça faisait assez bizarre d’avoir l’air de dire aux chrétiens, moi qui ne l’étais pas encore: vous n’êtes pas assez chrétiens… Je m’en gardais bien, d’ailleurs. Mais je me suis aperçu que ça leur faisait plaisir de se faire dire que croire, ce n’est pas seulement bien, c’est intelligent!»

À la suite de ces rencontres, sa démarche de conversion plus ou moins consciente s’accélère. Il se lie d’amitié avec son évêque. Ce dernier lui dédicace un livre de réflexions chrétiennes: «À Jean-Claude Guillebaud, l’un de nos meilleurs prophètes de l’extérieur». Flatté, l’essayiste réagit pourtant en se demandant: «Qu’est-ce qu’il en sait si je suis de l’extérieur». Il en vient finalement à prendre conscience que la foi n’est pas «une affaire strictement intellectuelle, la foi c’est pas seulement adhérer à des valeurs, c’est aussi une relation, c’est aussi une rencontre. Je me suis progressivement aperçu que j’étais bien dans le milieu chrétien, que c’était ma famille, que j’y nouais des amitiés fortes. La foi, ça ne se conjugue pas à la première personne du singulier mais à la première personne du pluriel.»

Le saut décisif

Mais tout n’était pas encore gagné. Il lui restait un pas à faire pour demeurer cohérent et conséquent. «J’étais comme un plongeur qui avance sur le tremplin. Tout ce qui avait précédé, c’était comme si j’étais monté par l’échelle. Puis j’avais marché jusqu’au bout de la planche. Je me disais: est-ce que tu sautes ou si tu ne sautes pas?»

Il consulte encore une fois certains auteurs. Des théologiens et des penseurs juifs qui insistent sur l’aspect décisionnel de la foi. «La foi, ce n’est pas simplement quelque chose qui vous tombe dessus, c’est un choix, c’est un engagement. Ce que Newman appelle un assentiment.»

Mais il n’y a pas que les lectures qui aient façonné finalement son adhésion. Son chemin «a été jalonné par la rencontre de théologiens vivants et de chrétiens vivants dont l’influence et la présence m’a beaucoup aidé. Et là, je pense que c’est ce qui a achevé de me convaincre. Je me suis dit: Tu parles toujours du caractère décisionnel de la foi. Hé bien! Tu es au bout du plongeoir, alors saute. J’ai sauté. Et comme vous le voyez, je ne me suis rien brisé.»

Rien de brisé et beaucoup d’acquis. La foi véritable, propose-t-il en guise d’aphorisme, est un territoire qui permet au dialogue et à l’amitié de se nouer plus profondément qu’ailleurs. «Je suis redevenu chrétien, a-t-il professé en conclusion. Mais est-ce que je suis devenu un bon chrétien? Ça, j’en suis encore loin! C’est-à-dire que le parcours que je viens de décrire, ce n’est que la première étape. Il faudra voir la suite.»

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