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Que symbolise « l’arbre de la connaissance du bien et du mal » que « Yahvé Dieu fit pousser » dans l’Éden et qu’il interdit ensuite de manger sous peine de mort ? De toute évidence, un arbre qui procure la connaissance morale n’est pas un végétal et le jardin dans lequel il pousse n’est pas non plus un lieu géographique. Le bien, le mal et la connaissance ne se trouvent pas parmi les réalités extérieures perçues par les sens. Ce sont des concepts invisibles, acquis par la faculté exclusive à l’humanité : la rationalité.

 

Cet arbre illustre bien le symbole de «l’arbre de la connaissance du bien et du mal», «séduisant à regarder» par son côté visible mais mort à l’intérieur.

L’interdiction d’ingérer le fruit de l’arbre n’a donc rien à voir avec un tabou imposé à une réalité objective. Elle concerne la subjectivité rationnelle de l’être humain et conditionne sa vie intérieure.

 La femme vit que l’arbre était bon à manger et séduisant à voir et qu’il était, cet arbre, désirable pour acquérir le discernement » (Gn 3, 6).

Principe d’action

Mais alors, pourquoi la femme, stimulée par les sens de la vue et du goût, estime-t-elle l’arbre « désirable » ? Et que faut-il entendre par le « discernement » qu’elle convoite ?

Il ne peut s’agir de la connaissance rationnelle puisqu’elle est déjà acquise, en connivence avec le Créateur, lors de la nomenclature des espèces animales (cf. Gn 3, 19-20).

La version TOB (Traduction Œcuménique de la Bible) [1] de ce verset fournit un indice éclairant à ce propos. « La femme vit que l’arbre était bon à manger, séduisant à regarder, précieux pour agir avec clairvoyance ». La traduction « agir avec clairvoyance » plutôt que « acquérir le discernement » confirme que l’interdit ne frappe pas la raison en elle-même mais touche à l’activité dans le monde extérieur. C’est donc à la charnière de la pensée et de l’action conséquente que s’enclenche le débat provoqué par le serpent dans l’intériorité humaine.

La connaissance  

Dans ce contexte, le terme « connaissance  » utilisé par les deux traductions ne devrait pas être compris dans le sens restrictif des concepts, des idées, de la pensée. Pour la culture hébraïque, la connaissance inclut le vécu, l’expérience intime de ce qui est appréhendé. Par exemple, lorsqu’il est dit plus loin que « l’homme connut sa femme » (Gn 4, 1), c’est d’une relation conjugale qu’il est question et non de la simple connaissance civile de l’autre.

C’est pourquoi l’on peut estimer avantageux, pour une meilleure intelligence du texte, de le paraphraser par l’expérience « du bien et du mal » ou, selon la traduction TOB, l’expérience « du bonheur et du malheur ».

Le milieu intérieur

Ce qui ramène la question formulée au départ. Que signifie cet arbre procurant l’expérience du bien et du mal, du bonheur et du malheur ?

Lorsque la femme rectifie l’insinuation mensongère du serpent à l’effet que tous les arbres du jardin sont défendus (cf. Gn 3, 1), elle ne précise pas que l’arbre frappé d’interdit est celui du bien et du mal. Elle dit simplement que c’est l’arbre « au milieu du jardin ».

Nous pouvons manger du fruit des arbres du jardin. Mais du fruit de l’arbre qui est au milieu du jardin, Dieu a dit : Vous n’en mangerez pas, vous n’y toucherez pas, sous peine de mort » (Gn 3, 1-3).

Cet arbre est « au milieu du jardin », c’est-à-dire qu’il est au centre des virtualités de l’âme humaine. Le fait qu’il se trouve au  cœur de l’intériorité tout en étant interdit n’est pas dû à une décision arbitraire du Créateur. Il est “planté” là, en tant que composante centrale de la structure humaine, pour permettre l’exercice d’une faculté précieuse, une virtualité étonnante : la liberté.

Deux énigmes

La liberté est une aptitude à faire des choix déterminants pour la conscience. Mais qu’y a-t-il ici à choisir ?

En ce lieu central de l’intériorité, il n’y a pas que « l’arbre de la connaissance du bien et du mal ». Dieu « fit pousser » aussi « l’arbre de vie » (Gn 2, 9). Ce dernier n’est nullement interdit[2]. Tant que l’être humain demeurait dans le « jardin en Éden », peut-on avancer, il pouvait sans restriction manger de son fruit pour vivre « toujours » (Gn 3, 22).

Dans l’Éden – n’oublions pas que c’est toujours de la vie intérieure qu’il s’agit ! –, il y a donc deux énigmes : l’une procure l’immortalité, « l’arbre de vie », l’autre cause la mort, « l’arbre de la connaissance du bien et du mal ».

Mais encore, qu’impliquent ces images ? Pourquoi et comment des arbres peuvent-ils symboliser la vie et la mort ?

L’arbre de vie

Ce qui caractérise le mode vital des végétaux, c’est l’enracinement. Le développement du végétal dépend de la nourriture absorbée par les racines. Pour savoir ce que ces arbres représentent en définitive, il n’y a qu’à identifier le milieu nourricier dont ils tirent leur croissance.

Quel est donc le terreau d’enracinement de « l’arbre de vie » ?

La vie est de nature céleste. Elle provient directement de Dieu. C’est l’âme, cette « haleine de vie » que le Créateur insuffle dans l’être humain pour rendre vivante la matière dont il est formé. Ce souffle vital produit « l’image et la ressemblance de Dieu », non au plan physique, bien entendu, puisque Dieu est Esprit, mais invisiblement, dans l’intériorité humaine.

Tant et si bien que l’être humain, en prenant conscience de son existence propre, peut connaître Dieu intimement. Il participe en effet à l’Identité de son Créateur lorsqu’il proclame en toute lucidité : JE SUIS ! Car la prise de conscience de soi – une expérience qui ne s’explique que par la composante spirituelle de l’être humain – dépend d’un JE SUIS[3] ultime et infini. Les humains n’ont pas le pouvoir de se donner l’ÊTRE à eux-mêmes. Ils le reçoivent nécessairement comme un don gratuit de l’ÊTRE Suprême. Il s’ensuit que la multitude des créatures dépend d’un unique Créateur

Voilà comment « l’arbre de vie »,  “planté” au cœur de la conscience humaine, fait que le PRÉSENT ponctuel de l’être humain – le JE SUIS ! – peut coïncider au PRÉSENT perpétuel de la Divinité, rendant ainsi possible la communication entre la créature et son Créateur. La racine de « l’arbre de vie », c’est donc le JE de l’ÊTRE qui se nourrit de la PRÉSENCE divine, garante d’immortalité (cf. Gn 3, 22)[4].

Le passage interdit

Quant à « l’arbre de la connaissance », contrairement à « l’arbre de vie » enraciné dans le divin, il tire de la matière terrestre les nutriments dont il a besoin pour croître et donner son fruit doux-amer. L’expérience « du bien et du mal », « du bonheur et du malheur » se rapporte nécessairement à l’extériorité et relève d’événements heureux ou malheureux vécus DANS LE MONDE sur lequel s’ouvrent les sens.

Ce milieu extérieur est régi par les édits du Créateur. Ce sont les lois qui conditionnent l’existence de la matière et président tant à la formation des astres du cosmos qu’à l’écosystème planétaire.

Or, dans le monde terrestre, toutes les structures vivantes doivent combattre pour maintenir leurs organismes au PRÉSENT de la vie. Cette exigence découle du fait que la substance vivante doit inévitablement inscrire son développement à contre-courant de la chute entropique[5] de la matière, responsable de la  déstructuration éventuelle des unités biologiques. Le dynamisme vital tend à déjouer cette fatalité mortifère en s’élevant au-dessus des embuches et des accidents générés par la trajectoire de la matière dans l’espace et le temps, depuis la lumière éblouissante du « commencement » jusqu’aux lourds ténèbres de la “fin”[6]. De sorte qu’en surmontant les résistances provenant de la matérialité, la substance vivante peut, par le truchement de l’évolution des espèces, défricher son chemin ascensionnel jusqu’à la conscience humaine, dont l’axe de développement vise la vie au perpétuel PRÉSENT[7].

Voilà pourquoi Dieu avait interdit aux premiers humains de manger du fruit de cet arbre-là. Son plan d’origine visait à épargner à l’humanité les affres d’une évolution vécue au travers des chocs dus à la matérialité.

Non pas que la structure humaine pouvait esquiver le combat contre l’inexorable dégradation entropique. Mais en étant ancrée en la Présence perpétuellement agissante de la Providence divine, elle aurait alors pu court-circuité les épreuves de passage du terrestre au céleste, de la vie transitoire dans un corps mortel à la vie éternelle dans un corps immortel.

Le symbolisme du jardin préparé par Dieu pour y mettre  « l’homme qu’il avait modelé » (Gn 2, 8) indique que le projet originel de Dieu visait à assurer à l’humanité un contexte idéal d’évolution sous la protection de la Présence créatrice. Le Créateur faisait ainsi montre d’un grand amour pour l’humanité. Non seulement l’avait-il élevée à une dignité sans précédent dans le monde terrestre mais dès sa naissance, sa Providence l’avait généreusement dotée de privilèges et de richesses de telle manière qu’elle puisse affronter sereinement les détours et aléas de son évolution dans le MONDE matériel.

La liberté

Car Dieu se complait depuis toujours dans l’humanité, sa créature de pointe, le chef-d’œuvre de sa création. De toute éternité, il en attend la reconnaissance et un retour d’amour. C’est pourquoi il l’a voulue libre.

La liberté est une composante essentielle de l’amour, n’est-ce pas ? Il ne peut y avoir de contrainte en amour puisque l’amour est un don libre de soi à la personne aimée. Sans liberté, l’adoration serait un culte d’esclave non agréé par un Dieu d’Amour, réprouvé par les anges et méprisé par les hommes.

Les sens ou la raison ?

Mais la liberté ne va pas sans risque. Celui de mal choisir parmi les options proposées à la conscience. D’autant plus si le mauvais choix est « séduisant à voir ».

De fait, l’univers créé est tellement beau qu’il en est quasi irrésistible. Cette beauté provient de l’ÊTRE que les réalités créées détiennent de leur source originelle en Dieu. La beauté transpire en quelque sorte au dehors et apparaît aux sens, notamment celui de la vue.

Or, on se souviendra que les sens ont été développés par le Créateur à l’étage sous humain de la Maison de la vie : le  niveau des espèces animales (voir l’illustration graphique, intitulée Courbe V  de l’article précédent). Sur le palier réservé à l’humanité, le troisième, les sens sont dépassés par la rationalité, une faculté qui permet de saisir, au-delà des apparences sensorielles, la vérité essentielle de la réalité.

Donc, déterminer son choix sur la base de la beauté perçue par les sens plutôt que sur la raison, constitue un retour en arrière, un recul de l’évolution vers le palier animal.

La tentation

C’est ici qu’est démasqué le mensonge du serpent. Son argumentaire fait valoir au contraire que le choix de « l’arbre de la connaissance du bien et du mal » représente un pas en avant. « Vos yeux s’ouvriront », promet-il.

Quels yeux ? Les yeux physiques de la femme n’étaient-ils pas déjà ouverts puisqu’elle était séduite par la beauté de l’arbre ? Le tentateur soutient qu’ils s’ouvriront à l’étage au-dessus de la nature humaine, soit le quatrième palier de la Maison de la vie. « Vous serez comme des dieux qui connaissent le bien et le mal ».

En d’autres mots, non seulement vous vous élèverez à une conscience supérieure à l’actuelle mais vous deviendrez autonomes et serez en mesure de décider par vous-même de vos expériences de vie. Vous pourrez alors assumer le développement de vos potentialités en synergie avec le monde matériel qui vous entoure.

Mais Dieu, proteste la femme, nous a interdit cette option sous peine d’expérimenter la mort. C’est bien ce que Dieu vous a fait accroire mais il n’en est rien, réplique le serpent. « Pas du tout ! Vous ne mourrez pas ! »

Et c’est ici que le Père du mensonge se permet d’accuser Dieu de mentir. Dieu est jaloux de sa primauté, fait-il entendre. C’est un despote qui ne tolère pas de rivaux. Il sait très bien « que le jour où vous en mangerez…– et tôt ou tard dans le temps, vous succomberez inévitablement à la tentation – …vous serez comme des dieux », c’est-à-dire que vous vous hausserez au niveau divin. Vous deviendrez alors autonomes et serez en mesure de développer votre personnalité, c’est-à-dire votre MOI, afin de régner en seigneur et maître sur votre propre domaine : le MONDE.

Le JE ou le MOI

Le MOI ! Telle est la racine de « l’arbre de la connaissance du bien et du mal » Le MOI est le roi du MONDE ! Plutôt, l’esclave des apparences, faut-il s’empresser de rectifier.

Mais ici, il faut porter une attention particulière pour éviter de jeter le bébé avec l’eau du bain. Le MOI est partie prenante du projet créateur de l’humanité. Il est une structure nécessaire d’interaction entre la conscience et le monde physique, une interface qui articule ensemble l’esprit et la matière.

La construction du MOI est donc légitime tant qu’elle demeure subordonnée au JE de l’ÊTRE, c’est-à-dire au lien d’amour qui unit la créature à son Créateur. À l’origine, l’interdiction de l’arbre faisait office de cette subordination.

En passant outre à l’interdit, le MOI se trouve donc à rompre son lien de dépendance du JE. Il claque ainsi la porte de la Source de l’ÊTRE. Le MOI se meut alors en EGO. En se libérant de la contrainte imposée par la structure même de la création, il entraînera dans le sillage de son autonomie tout un cortège de dérives égocentriques.

Alors, on peut commencer à comprendre les conséquences désastreuses produites dans la conscience par l’option du MOI au détriment du JE. C’est le choix de l’AVOIR plutôt que l’ÊTRE, du terrestre à l’exclusion du céleste, de la vie mortelle au grand dam de la vie éternelle.

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Notes

[1] Sauf indication contraire, les citations bibliques de cette série d’articles sont tirées de la Bible de Jérusalem.

[2] Il le deviendra après la chute (cf. Gn 3, 22-24). Nous y viendrons dans un prochain article.

[3] Ce JE SUIS fait allusion au Nom de Dieu et réfère à la traduction la plus courante du tétragramme hébreu YHWH : « Je suis celui qui est » Dieu est l’Être par excellence, dont dépendent tous les êtres créés sous lui.

[4] L’arbre de vie, rendu inaccessible par le péché à l’origine de tous les péchés, est devenu l’arbre de la Croix, qui a redonné à l’humanité l’accès à la vie éternelle.

[5] L’entropie est la deuxième loi thermodynamique qui détermine la tendance de la matière à la dispersion de son énergie au prorata de son expansion dans l’espace et le temps. Cette perte graduelle de chaleur est parfois décrite comme une chute désordonnée vers le chaos.

[6] Allusion à l’apocalypse finale du monde alors que s’accomplira la séparation définitive de la lumière et des ténèbres, une séparation éventuelle pressentie par la Genèse au tout début de l’univers. « Dieu dit : “Que la lumière soit” et la lumière fut. Dieu vit que la lumière était bonne, et Dieu sépara la lumière et les ténèbres » (Gn 1, 3).

[7] Pour un exposé plus détaillé de cette présentation en raccourci, revoir le 16e article de cette série qui résume la thèse présentée dans L’évolution de l’Alpha à l’Oméga, ouvrage disponible en format papier et numérique sous le lien.

La suite : Évolution biaisée

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