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…rencontre avec Éric-Emmanuel Schmitt*

C’est au 23e étage du chic Hôtel Hilton de Québec qu’Eric-Emmanuel Schmitt m’avait donné rendez-vous; vue spectaculaire sur le fleuve et la capitale, notre joyau national. J’attends un homme qui possède définitivement plusieurs cordes à son arc. À la fois l’écrivain qu’on dit le plus prolifique de France1, il est aussi docteur en philosophie et pianiste. À l’heure convenue, il arrive: ouvert, souriant et chaleureux. Il est venu au Québec présenter son petit dernier: Quand je pense que Beethoven est mort alors que tant de crétins vivent. Mais ce qui intéresse nos lecteurs, c’est ce qui concerne sa foi et sa façon de l’exprimer dans ses œuvres.

 

Selon Éric-Emmanuel Schmitt, «les gens confondent laïcité et athéisme. Alors que la laïcité c’est justement le cadre qui permet à toutes les spiritualités de vivre. Et non pas l’interdiction de la spiritualité» (photo Catherine Cabrol).

Le NIC: Est-ce qu’Eric-Emmanuel Schmitt est un intellectuel, un émotif ou est-ce qu’entre les deux son cœur balance?

Éric-Emmanuel Schmitt: Oui, entre les deux, mon cœur cherche l’équilibre. Effectivement, je suis tellement émotif, que c’est pour ça que je suis devenu un intellectuel. Dans mon enfance, je pouvais être dévasté, presque détruit par les émotions. Je me suis dit qu’il fallait absolument que je me donne une colonne vertébrale. Et la colonne vertébrale, ça été la philosophie. Je l’ai enseignée à l’Université cinq ans. Malheureusement, je me suis mis à écrire et j’ai tout de suite remporté le succès (rires). Pour moi, c’est très important l’équilibre entre l’émotion et la réflexion. Et dans mes œuvres, j’essaie justement d’allier les deux en racontant des histoires avec des personnages que j’espère attachants ou profondément agaçants, mais de vrais personnages. Je n’ai pas peur de l’émotion parce que je pense que c’est au fond la seule façon de déplacer les frontières intérieures dans un individu. Si vous pratiquez l’empathie, la sympathie, l’émotion, si vous emmenez vraiment quelqu’un, le lecteur, dans une aventure humaine, eh bien! Il va pouvoir s’éloigner de ses préjugés et faire un chemin beaucoup plus grand que s’il n’avait pas cette dimension humaine. C’est une très mauvaise vision de l’intellectualité que de la définir par la non-émotion.

Le NIC: Vous cherchez cet équilibre dans votre vie aussi?

É.E.S.: Oui, c’est ce que raconte mon dernier livre, à savoir ce Beethoven qui m’accompagne dans mon éducation sentimentale, puisque quand je suis adolescent, je découvre tout, la sexualité, l’amour, l’intensité des rapports à autrui. Évidemment, je découvre Beethoven et en même temps le romantisme. Et à 20 ans, croyant que je dois me purger de tout cela, je m’éloigne de Beethoven. Plus tard, il revient dans ma vie justement pour m’aider à former un équilibre, m’aider à habiter la condition humaine en acceptant toutes les émotions, y compris les émotions tristes et celles qui nous dépassent. Ce musicien m’offre cette idée que le bonheur, ce n’est pas la suppression des émotions négatives, du malheur et de la douleur, mais leur intégration à la trame de nos jours. Donc, le bonheur, ce n’est pas être à l’abri, le bonheur c’est s’exposer au maximum et arriver à jouir quand même de toute cette existence.

Le NIC: Vous aimez provoquer, faire réagir?

É.E.S.: J’aime stimuler. Provoquer pour moi, cela a un aspect négatif. D’un autre côté, je n’ai pas besoin d’être politiquement correct, philosophiquement correct, idéologiquement correct, je cultive ma liberté. Et j’essaie de cultiver celle de l’autre, justement en lançant de temps en temps des choses qui peuvent surprendre, qui peuvent déstabiliser. Par contre, quand je trouble l’autre, je ne le laisse pas dans le trouble.

 

La foi, explique Éric-Emmanuel Schmitt, lui est tombée dessus alors qu’il s’était perdu pendant toute une nuit dans le désert du Sahara, à l’âge de 29 ans. «Dans le désert, elle (sa foi) était un petit filet d’eau. Et maintenant, c’est un fleuve. Je le dis en regardant le St-Laurent, ça me touche» (photo Sophie Bouchard).

Le NIC: Donc vous n’avez pas peur de la vérité?

É.E.S.: En effet. Et je n’ai pas peur non plus quand il n’y a pas de vérité. C’est-à-dire que je trouve qu’il y a beaucoup plus de mystère dans la condition humaine que de vérité qu’on peut atteindre. La tâche d’un homme c’est d’arriver à habiter le mystère. Et c’est vrai que ce qui m’aide c’est la foi. Je suis né athée dans un milieu athée. Et maintenant je suis croyant. Donc, il y a un vrai chemin, dont je garde perpétuellement la mémoire. Le mystère de la condition humaine, je l’ai d’abord habité avec angoisse. Et maintenant je l’habite avec confiance, espérance. C’est le même mystère, je n’en sais pas plus. La foi pour moi n’est pas un savoir, mais une grâce et un positionnement dans l’existence. Le problème de la foi c’est qu’elle n’est pas contagieuse. On ne peut pas la donner. J’aimerais être contagieux, rien que pour ça, pas pour mes idées, mais pour la foi, cette confiance dans la vie, dans la mort. Cette confiance absolue tellement précieuse. Elle a des intermittences cette confiance.

Le NIC: N’est-ce pas le cas pour tout le monde?

É.E.S.: C’est une respiration. Cette foi m’est vraiment tombée dessus dans le désert au Sahara, j’avais 29 ans. Dans le désert, elle était un petit filet d’eau. Et maintenant c’est un fleuve. Je le dis en regardant le St-Laurent, ça me touche! Ça commence comme ça, par quelques gouttes.

Le NIC: Comment a réagi votre entourage lorsque vous leur avez raconté votre foi?

É.E.S.: J’ai mis des années à le dire à mes parents et mes proches parce que je n’avais pas les mots: je venais d’un univers tellement opposé! Quand on raconte sa foi, ou quand on raconte une expérience mystique, on témoigne. Quand j’ai compris le statut de témoin et que témoigner ce n’était pas convaincre ou forcer l’autre à penser comme soi, alors, j’ai pu en parler. Ça m’a pris beaucoup de temps. D’autant plus que quelqu’un qui témoigne d’une expérience fondamentale, d’une nuit mystique, d’une nuit de feu comme disait Pascal, ça me mettait hors de moi quand j’étais athée. Je me disais: pourquoi lui et pas moi? La philosophie est démocratique, mais l’expérience est aristocratique, et c’est insupportable. Moi aussi je voudrais que tout soit partageable, démocratique, rationalisable. Or l’expérience, non. Elle est élitiste, aristocratique. C’est une grâce incompréhensible et injustifiée. Mais ça existe. Certains de mes amis m’ont dit tais-toi. En privé et en public. En France, il y a une fausse conception de la laïcité. Les gens confondent laïcité et athéisme. Alors que la laïcité c’est justement le cadre qui permet à toutes les spiritualités de vivre. Et non pas l’interdiction de la spiritualité.

Le NIC: Quel est votre rapport au Christ?

É.E.S.: C’est venu plus tard. Quand j’ai eu l’expérience de l’absolu de Dieu dans le désert, c’est le Dieu d’aucune religion parce que je n’ai pas de cadre religieux qui me prédispose à recevoir cette révélation. Donc, ce n’est ni le Dieu d’Isaac, ce n’est pas le Dieu de Jésus, ce n’est pas le Dieu de Mahomet, ou plutôt c’est ce Dieu-là des trois religions monothéistes. Et après, évidemment, ça déchaîne en moi une vraie curiosité pour les spiritualités. Alors comme je suis un intellectuel français, par snobisme, je commence par le plus exotique: je m’intéresse au bouddhisme. Je pars du plus loin en me disant, ce n’est quand même pas ce dont on parle près de moi qui doit être ça!

Le NIC: Sûrement pas, vous l’auriez vu avant!

É.E.S.: Bien évidemment (rires)! Et donc, je m’intéresse à des spiritualités et je me rapproche progressivement. Et j’ai fini quelques années après par lire, une nuit, les quatre évangiles. Et ça m’a bouleversé. Je ne les avais jamais lus.
Presque tout est là! Et je lis les quatre à la suite et je suis bouleversée par cette mise en avant de la notion d’amour. Ça, c’était nouveau par rapport à ma nuit mystique. C’était ce qu’ajoutait le christianisme, cette promotion de l’amour, cette mise en avant de l’amour. L’amour pour remplacer la peur dans les relations humaines et même dans le rapport à la vie tout court. Ça me bouleverse, parce que c’est un événement complètement inouï et inattendu. C’est de la dynamite pour moi. Dans le bouddhisme ce sera la compassion, dans le judaïsme, le respect, notion très importante et dans le christianisme, c’est l’amour! Et la vie de Jésus c’est une vie d’amour et un sacrifice par amour. Et ça me bouleverse.

Le NIC: Vous avez cru aux témoignages des évangélistes?

É.E.S.: Ce qui me touche aussi profondément c’est de voir que les quatre évangiles ne disent pas exactement la même chose et sont presque contradictoires. Et ça me dit: Ah! Ce ne sont pas de faux témoins! Parce que les faux témoins, ils sont toujours d’accord et tiennent le même discours. Ces divergences du récit me font vraiment sentir qu’il y a quelque chose. À ce moment-là, je deviens obsédé par Jésus. Et au bout de quelques années, je me rends compte que cette obsession est devenue mon christianisme. Aux deux questions qui fondent le chrétien, c’est-à-dire, y a-t-il eu incarnation et résurrection, je réponds oui. C’est ce que j’ai essayé de raconter à ma façon dans mon roman L’Évangile selon Pilate. Pilate, c’est un peu moi, l’homme d’aujourd’hui, pragmatique, rationnel, philosophique, le Romain dans un monde juif mystique exacerbé. Et ce Romain part à la recherche d’un cadavre qui a disparu et qui tout d’un coup est réapparu: il paraît qu’il est vivant. Ce n’est pas possible! Et il mène une enquête. C’est l’enquête d’un esprit rationnel sur un phénomène qu’il pense pouvoir résoudre avec la raison. Il va découvrir qu’il est en face d’un mystère. C’est-à-dire d’une question qui subsiste et qui nourrit. Pilate, c’est moi. Je suis allé plus loin que Pilate, je me suis mis à croire. J’ai raconté tout ce chemin-là sous forme romanesque, car moi j’aime m’exprimer sous forme de fiction, en racontant des histoires.

Le NIC: Et puis par rapport à l’Église? Église peuple de Dieu?

É.E.S.: Moi, j’ai besoin de me sentir partie d’une communauté. J’ai peu besoin de rite. J’ai besoin de la prière. Je ne suis pas un grand ritualiste. La communauté, pour moi, ce n’est pas un endroit, ce sont des gens. Vous savez une forêt, ça peut être une église aussi. Je suis chrétien et je suis passionné par les autres religions puisque j’ai écrit le Cycle de l’invisible: M. Ibrahim et les fleurs du Coran qui est sur l’Islam, L’enfant de Noé qui est sur le judaïsme vu par un prêtre catholique qui fait une synagogue sous la crypte de son Église. Ça me parait important de parler avec respect, voir passion, d’autres religions en disant: ce n’est pas ma maison. Moi ma maison c’est celle-ci, mais j’aime la maison des autres et je respecte la maison des autres. Je pense que mes livres peuvent servir à cela. Il y a un philosophe qui a écrit un livre sur moi en France qui dit que je suis un écrivain de l’espérance dans un monde désespéré. Il dit que paradoxalement, le succès vient sans doute de là. Parce que oui, je n’ai pas renoncé à l’espérance, à la joie, à la confiance dans le mystère. Et, en plus, je pense que c’est une chose que tout le monde connaît, croyant ou pas. Parce qu’enfant, on sait qu’on ne sait pas et on est confiant dans ce mystère, dans cet inconnu. Je pense que c’est important, une fois que l’enfance est quittée et qu’on est vraiment adulte, de cultiver l’esprit d’enfance, c’est-à-dire cette confiance dans le mystère.

Le NIC: Merci Éric-Emmanuel Schmitt.

É.E.S.: C’est gentil, merci beaucoup!

Note:
1- Oscar et la dame rose (récit, théâtre et cinéma), L’enfant de Noé, L’Évangile selon Pilate, pour ne nommer que quelques-unes de ses œuvres.

* Article paru dans Le NIC, 5 juin 2011

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