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Sur la défensive en Irak et en Syrie, Daesh est à l’offensive en Libye pour en faire un nouveau fief du « Califat » ainsi qu’une base opérationnelle avancée face à l’Europe.
L’attaque la plus meurtrière commise sur le sol libyen depuis la chute de Mouammar Kadhafi, en 2011, s’est produite au matin du jeudi 7 janvier, dans la ville de Zliten, à 170 km à l’est de Tripoli. Un kamikaze s’est fait exploser au volant d’un camion-citerne contre le centre de formation de la police : il y aurait plus d’une soixantaine de morts et une centaine de blessés. Le soir, un autre attentat suicide a fait six morts, dont un bébé, et huit blessés à un point de contrôle à l’entrée de la ville pétrolière de Ras Lanouf (L’Express).
Des cibles bien choisies
Ces attaques ont été revendiquées par l’Etat islamique. Elles visaient le « croissant pétrolier » situé dans le nord de la Libye (qui dispose des réserves pétrolières les plus importantes d’Afrique). « En une journée, l’organisation terroriste a prouvé qu’elle était capable de s’en prendre en même temps aux deux autorités rivales qui se disputent le pays : Ras Lanouf pour le pouvoir de Tobrouk et Zliten pour le gouvernement de Tripoli » (RFI). Les cibles étaient bien choisies : à Zliten une école de formation des gardes-côtes – appelés à intercepter les cargaisons d’armes destinées à Daesh et les bateaux de migrants dont l’État islamique a annoncé qu’il allait submerger l’Europe ; à Ras Lanouf, l’un des principaux terminaux pétroliers du pays.
« Une guerre de l’EI contre tous les Libyens »
À Tripoli et à Tobrouk, les deux gouvernements qui se disputent la direction du pays ont chacun condamné ces attentats de l’Etat islamique qui disposerait de quelque 3.000 combattants en Libye. Déjà solidement implanté à Syrte (450 km à l’est de Tripoli) dont il a fait sa « capitale », l’État islamique a étendu sa « wilaya » (province) sur 250 km de côtes aux alentours. Il a également poussé vers le Sud vers les champs pétroliers de Mabrouk et de Jofra.
L’EI veut s’emparer de tout le pays en profitant de la division et du chaos qui y règnent depuis la chute de Kadhafi. À Benghazi, deuxième ville du pays, les affrontements sont quotidiens entre factions rivales : les 8 et 9 janvier, des tirs d’obus ont fortement endommagé la centrale électrique qui alimente une grande partie de l’est libyen. Un camp de déplacés a été touché (un mort, neuf blessés). « Les combattants visaient un stade à proximité du camp, où se déroulait un match de la paix, entre une équipe locale et une autre venue de Tripoli » (RFI).
Daesh intensifie ses attaques pour fragiliser l’instauration d’un gouvernement d’union nationale qui devrait entrer en fonction à la fin du mois selon le plan optimiste des Nations unies. Le Conseil présidentiel désigné du gouvernement d’union nationale a dénoncé dans un communiqué « une guerre ouverte de l’EI contre tous les Libyens pour (…) les obliger à accepter la tyrannie des obscurantistes » (L’Orient-le Jour).
Quelle stratégie politique ?
Il est urgent d’intervenir sur le sol libyen, estime Philippe Bonnet, officier en retraite (Boulevard Voltaire) :
Si la détermination à détruire l’État islamique existe, il nous faut combattre Daesh en Libye, empêcher le contrôle d’un pays que l’on a contribué à détruire. La Libye est stratégique. Elle est une porte aux hordes de migrants qui déferlent sur l’Europe dès que la mer le permet. Elle peut déstabiliser l’Égypte et la Tunisie, et permet de rejoindre par le désert les islamistes qui déstabilisent le Sahel. Enfin, le contrôle des zones pétrolifères permettrait à l’organisation État islamique de se refaire de la pression subie en Syrie et en Irak. (…) seuls les Anglais, les Français et les Italiens sont en capacité d’agir, mais toute l’Europe doit payer. »
Cependant, observe Alain Rodier, ancien officier supérieur des services de renseignement français et directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R), il faut avant tout rétablir un état failli : « Le problème n’est pas tellement la puissance de Daesh en Libye (réelle…) mais l’impossibilité des forces qui devraient s’y opposer à s’unir pour mener un combat cohérent. (…) Bien qu’un gouvernement d’union nationale ait théoriquement été formé sous l’égide de l’ONU (…) le pays est toujours divisé entre deux gouvernements, celui de Tobrouk reconnu jusqu’ici par la communauté internationale et celui de Tripoli soutenu en sous-main par une alliance qataro-turque qui défend les intérêts des Frères musulmans » (Atlantico).
L’Union européenne commence à prendre la mesure des périls auxquels l’expose le chaos libyen. Le 8 janvier, Federica Mogherini, chef de la diplomatie européenne, a rencontré Fayez el-Serraj, le Premier ministre du futur gouvernement d’union nationale et d’autres acteurs politiques libyens favorables à l’accord politique proposé par l’ONU pour leur promettre argent et soutien militaire aussitôt le gouvernement d’union nationale mis en place.
Vers une intervention militaire sous commandement américain
Mais union nationale ou pas, l’intervention militaire est planifiée, annonce le géographe et géopolitologue italien Manlio Dinucci (Boulevard Voltaire) : « Des forces spéciales SAS (…) sont déjà en Libye pour préparer l’arrivée d’environ 1 000 soldats britanniques. L’opération — “en accord avec les États-Unis, le Royaume-Uni, la France et l’Italie” — impliquera 6 000 soldats et Marines états-uniens et européens avec l’objectif de “bloquer environ 5 000 extrémistes islamistes, qui se sont emparés d’une douzaine des plus grands champs pétrolifères et (…) se préparent à avancer jusqu’à la raffinerie de Marsa-el-Brega, la plus grande d’Afrique du Nord”. (…) Pour bombarder en Libye le Royaume-Uni envoie des avions supplémentaires à Chypre (…) tandis qu’un contre-torpilleur se dirige vers la Libye. Sont aussi déjà en Libye (…) certains groupes de Navy Seal états-uniens ».
Cependant ne nous leurrons pas, ajoute Manlio Dinucci : si formellement l’opération se fera « sous conduite italienne », « le commandement effectif de l’opération (…) sera en réalité exercé par les seuls États-Unis à travers leur propre chaîne de commandement et celle de l’Otan, toujours sous commandement états-unien ».