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Blogue de Paul

Cet article fait suite aux discussions amorcées sur ce blogue par messieurs Germain et Perron (tyjaro) autour de la théologie de l’abbé Frédéric Marlière versus mon ouvrage L’évolution de l’Alpha à l’Oméga. En conclusion de la «Deuxième lettre à un ami métaphysicien», j’ai fait part de ce projet-ci de «présenter d’autres aspects de la question» qui influencent grandement nos points de vue divergents «en exposant les contextes différents au départ de nos recherches respectives (l’abbé Marlière et moi) qui expliquent en partie l’orientation et l’objectif de nos ouvrages.»

Thomas d'Aquin, le «docteur angélique» de l'Église.

Thomas d’Aquin, le «docteur angélique» de l’Église.

Recherche de la vérité

Mais avant d’amorcer cette présentation, je tiens à citer un passage de la première lettre de Paul aux Corinthiens qui relativise l’importance de toute quête de connaissances, qu’elles soient scientifiques, métaphysiques, philosophiques ou théologiques.

«Quand je parlerais les langues des hommes et des anges, si je n’ai pas la charité, je ne suis plus qu’airain qui sonne ou cymbale qui retentit… Quand je connaîtrais tous les mystères et toute la science…, si je n’ai pas la charité, je ne suis rien… La charité ne se réjouit pas de l’injustice mais elle met sa joie dans la vérité… La charité ne passe jamais… La science? elle disparaîtra. Car partielle est notre science. Mais quand viendra ce qui est parfait, ce qui est partiel disparaîtra… Nous voyons, à présent, dans un miroir, en énigme, mais alors ce sera face à face. À présent, je connais d’une manière partielle; mais alors je connaîtrai comme je suis connu. Maintenant donc demeurent foi, espérance, charité, ces trois choses, mais la plus grande d’entre elles, c’est la charité» (1 Co 13, 1-13).

J’induis de cet admirable texte de saint Paul que la connaissance objective de la vérité ne garantit pas le salut. Les connaissances de tous ordres peuvent être utiles, nécessaires mêmes, mais elles ne sauvent pas l’être humain parce qu’elles ne peuvent pas circonscrire toute la vérité à partir des seules notions abstraites. Elles peuvent certes constituer diverses approches de la vérité mais elles ne sont pas la vérité elle-même. La raison en est que la vérité n’est pas uniquement objective. Elle englobe nécessairement le sujet connaissant. Inévitablement donc, elle interpelle le quêteur de connaissances. De sorte que pour produire le salut, la vérité doit être vécue. Elle ne se limite pas à la cérébralité rationnelle, elle requiert l’adhésion du cœur et l’humilité du disciple. Lorsqu’elle atteint son but, la vérité prend donc la forme de la foi, de l’espérance et de la charité. Et, nous dit saint Paul, la plus grande des trois, c’est la charité.

Ce constat oblige à relativiser toute démarche d’écriture visant à rendre compte de la vérité. Les ouvrages de haut niveau intellectuel, comme ceux de Thomas d’Aquin, de l’abbé Frédéric Marlière et de combien d’autres, ne sont pas la vérité dans l’absolu. (Bien que de calibre modeste comparativement aux œuvres géniales que l’histoire a retenues, mon ouvrage ne fait pas exception). Ils peuvent certes être considérés comme divers chemins pouvant mener le disciple à «la vérité tout entière» (Jn 16, 13) par l’engagement de tout l’être et l’approfondissement de la foi, de l’espérance et de la charité.

C’est un truisme de comparer la quête de sagesse dans l’humanité à une montagne dont l’escalade peut être entreprise à partir de divers versants. Les connaissances de tout ordre, ce sont des sentiers à emprunter pour partir à la conquête du sommet. Plusieurs chemins, sans doute, peuvent y mener. Mais il en est de plus ou moins faciles. Certains sont ardus et réclament des prouesses d’héroïsme. D’autres se heurtent à des murailles imprenables ou à des abîmes infranchissables de sorte que les escaladeurs devront faire marche arrière pour chercher une meilleure piste. Mais pour ceux déjà parvenus au sommet —ceux qui ont trouvé la vérité—, l’itinéraire emprunté n’aura plus d’autre utilité que d’indiquer à ceux d’en bas les balises du parcours victorieux.

L’itinéraire de l’abbé Marlière

Ce préambule fait ressortir l’importance du témoignage dans la recherche de la vérité. Il permet en outre d’identifier le rôle déterminant du contexte au départ de la démarche d’un auteur. Car c’est son itinéraire personnel, en définitive, qu’il consigne dans son œuvre, quelle que soit la forme adoptée pour l’exposer.

Ce qui m’amène à mettre le phare sur le parcours de l’abbé Frédéric Marlière. Une intention qui pourra être jugée téméraire vu mon ignorance de ses ouvrages et vu que ma recherche de son histoire personnelle sur l’Internet n’a pas donné grand chose. Mais ce que je peux induire de son expérience humaine relève de généralités contextuelles bien connues.

Je n’ai pas de doute que l’abbé Marlière a pu être un homme juste et de bonne volonté, un serviteur de Dieu et de l’Église, un honnête chercheur de la vérité et un brillant érudit. Né en 1911, il décède en 2012 à l’âge vénérable de 101 ans. Son ordination sacerdotale à 23 ans marque le début d’une longue carrière d’enseignant en France, notamment dans des institutions catholiques d’Aras, de Lens et de Lille. Il se retire de l’enseignement autour de 1980 et entreprend de rédiger son œuvre métaphysique et théologique, qui sera publiée en sept volumes chez l’éditeur québécois Anne Sigier.

Comme tous les professionnels des années précédant de peu la Deuxième guerre mondiale, l’abbé Marlière a certainement bénéficié d’une solide formation classique largement basée sur la philosophie d’Aristote et la théologie de saint Thomas d’Aquin. À cette époque dans l’Église, on ne jurait que par le «docteur angélique». La théologie thomiste était considérée comme la pierre angulaire de l’enseignement magistériel de l’Église et l’expression pratiquement infaillible de la doctrine catholique.

Mais l’essor des sciences positives au cours des siècles précédents n’en finissait plus de secouer l’édifice culturel érigé sur la base de cette métaphysique du Moyen-âge, elle-même bâtie sur une cosmogonie remontant à l’Antiquité grecque. Lors de la formation théologique de l’abbé Marlière, l’Église ne s’était pas encore remise du traumatisme causé par l’«affaire Galilée». On devra attendre l’admission de l’erreur par Jean-Paul II (en 1992) pour digérer le traumatisme subi à la Renaissance par la condamnation du scientifique.

Et d’autant plus que de nouvelles ondes de choc étaient infligées à certaines conceptions traditionnelles sur la création, conceptions relevant davantage de spéculations philosophiques basées sur des notions dépassées (comme la cosmogonie ptoléméenne des neuf sphères translucides circulant autour d’une terre établie au centre de l’univers) que sur les textes inspirés de l’Écriture Sainte. Entre autres, l’hypothèse de l’évolution biologique portait un coup fatal à l’interprétation littérale des récits de la création de la Genèse. Mais en dépit des pressions exercées sur le Magistère par nombre de fidèles, l’Église ne tombait pas cette fois dans le piège d’une condamnation sans appel. Sous Pie XII, la théorie était prudemment acceptée en autant qu’elle concerne l’origine du corps humain, la création de l’âme étant réservée à Dieu.

L’une des conséquences de cet accueil positif du regard scientifique sur la réalité a fait ressortir la nécessité d’une reformulation globale de la pensée catholique pour maintenir sa crédibilité face aux avancées culturelles de l’humanité. C’est pour adapter la pastorale de l’Église à la modernité que Jean-XXIII convoquait le concile Vatican II. Dans la foulée de cet aggiornamento, des théologiens et des pasteurs ont ouvertement remis en question l’utilisation abusive de la théologie thomiste qu’ils estimaient abstraite et désincarnée. Ils favorisaient plutôt une approche pastorale davantage collée à la source évangélique. Plutôt que de recourir aux notions métaphysiques, on préconisait de rejoindre l’homme contemporain dans son vécu de manière à répondre à ses questionnements. Un très légitime retour aux sources, porteur et suivi d’un réel renouveau postconciliaire de la catholicité.

Mais ce coup de barre de l’Église provoquait toutefois deux réactions aux antipodes: à l’extrême droite du balancier, le repli traditionnaliste rejetant la démarche pastorale du Concile, jugée comme une trahison de la “vraie” doctrine catholique; à l’extrême gauche, la réduction de l’Évangile à l’économie sociale par une certaine théologie de la libération d’inspiration marxiste.

Il semble que l’abbé Marlière a su échapper à ces extrémismes. Il a même pu vouloir les réconcilier. Il demeure pourtant que son œuvre semble principalement marquée par un attachement au thomisme traditionnel qu’il aura voulu renouveler et dont il ambitionnera de prolonger les spéculations par un «nouveau regard» sur les récits de la création de la Genèse.

Donc, l’abbé Marlière a pour point de départ de sa démarche les hautes spéculations mystico-spirituelles du Moyen-âge et il adresse son discours à l’élite déjà évangélisée des érudits de la vie interne de l’Église. S’il se questionne à propos du nouveau contexte amené dans l’humanité par le développement des sciences, c’est pour insister sur l’autonomie du point de vue de la foi révélée que les sciences ne sont pas en mesure d’aborder et de juger. Et il critique comme un “concordisme” de mauvais aloi les tentatives de conciliation par certains intellectuels entre les récits de la Genèse et les données des sciences. Selon lui, foi et science n’auraient jamais dû s’affronter pour la simple raison que ces domaines ne peuvent pas cohabiter sur un plan commun et ne peuvent donc pas se rejoindre en pratique. Même s’il reconnaît prudemment une certaine légitimité de la démarche scientifique, il en sous-estime l’importance en regard de la destinée vers laquelle la foi guide l’humanité. Il développera ainsi une conception de la création sans référence aux données de la paléontologie et de l’archéologie, un «nouveau regard» au-delà du physique (métaphysique) de facture exclusivement spirituelle. Ainsi, loin de combler le fossé entre la foi et la perception objective, il en amplifiera l’abîme au nom de l’autonomie de la Révélation et au risque même d’abandonner la perception de l’univers physique au délire de l’irréalité et de l’incohérence.

Mon itinéraire personnel

Je ne saurais trop accentuer le contraste extrême qui existe entre la démarche noétique de l’abbé Marlière et mon itinéraire personnel.

Je suis né dans la région du Lac-St-Jean au Québec en 1935. Je viens tout juste d’avoir 12 ans lorsque mes parents “émigrent” dans une région très reculée du nord de l’Alberta pour y défricher des terres, espérant ainsi améliorer la condition économique familiale. J’en subis un choc profond et refuse de m’adopter à la culture anglophone ambiante. Car j’ai le goût de la littérature française et des arts. Mais la condition de pauvreté et de dénuement de ma famille est telle que je dois abandonner tout idée de poursuivre des études.

Bien qu’assoiffé de connaissances, je me retrouve dans un vide culturel total, sans livres et sans maîtres pour guider mon développement. Ce qui m’incite à la révolte. À 15 ans, je me déclare athée. Je justifie cette position par la prise en considération des découvertes scientifiques, notamment de l’évolution biologique, qui me semblent discréditer irréversiblement la vision religieuse traditionnelle sur l’origine de l’univers. Stimulé par l’esprit de rébellion, mon athéisme a pour effet d’exacerber encore plus ma quête de vérité.

Je développe comme je peux, en autodidacte, des exutoires esthétiques pour exprimer mon angoisse. J’écris poèmes et chansons. Un jour, je suis tellement désespéré que je renonce à toute idée d’accéder à la culture par les livres ou à quelque école. Je me jure alors que je ne chercherais plus jamais dans les livres qui m’étaient de toute façon inaccessibles, que la vie serait désormais mon maître, que la vie m’apprendrait tout. Je ne suis pas conscient qu’en choisissant la vie comme maître, je devrai inévitablement rencontrer au détour du chemin Celui qui s’est décrit lui-même comme étant «la voie, la vérité et la vie».

Mais à 18 ans, je ne suis pas encore là. Je quitte le milieu familial et reviens au Québec. Je me lance à corps perdu dans une vie de bohème qui m’a effectivement beaucoup enseigné… surtout la souffrance et le mal. À 25 ans, j’écris un poème —ce sera le dernier— constitué d’une seule phrase. Je constate après coup que c’est une très concise description de l’enfer. Bien que j’aie une tendance romantique à cultiver le désespoir, je décide que l’enfer, ce n’est pas la vérité que je cherche et chercherai encore.

Cette prise de conscience m’amène à un premier revirement d’orientation qui m’incite à bâtir une vie plus ordonnée, plus équilibrée, plus rangée. Je réalise que j’ai droit au bonheur et que j’ai toutes les dispositions requises pour le vivre. Je me marie. J’assiste à l’accouchement de mes deux enfants et j’en demeure très marqué. Sans en être encore pleinement conscient, je découvre, dans le “mystère de la naissance”, une clef pour comprendre la réalité. Pendant quelques années relativement heureuses, les obligations concrètes liées aux responsabilités familiales atténuent ma quête de sens. Mais le douloureux éclatement de mon mariage la ramènera vivement à la surface.

Je suis alors tenté d’explorer du côté métaphysique et ésotérique. Mais je ne suis pas long à abandonner ces pistes. Je perçois qu’elles relèvent plus d’un imaginaire déguisé en spiritualité qu’enracinées dans la réalité. D’instinct, je me méfie de ces systèmes qui prétendent accéder à des connaissances au-delà de la condition humaine. Je crains de m’y égarer à tout jamais.

Plus tard, j’en découvrirai la raison. «Revêtez l’armure de Dieu, écrit saint Paul, pour pouvoir résister aux manœuvres du diable. Car ce n’est pas contre des adversaires de sang et de chair que nous avons à lutter, mais contre les Principautés, contre les Puissances, contre les Régisseurs de ce monde de ténèbres, contre les esprits du mal qui habitent les espaces célestes» (Ép 6, 10-12). En exerçant notre intelligence pour scruter le monde céleste invisible, nous nous confrontons à un adversaire autrement plus intelligent que nous et qui met tout en œuvre pour nous faire tomber, notamment dans le piège de l’orgueil.

Donc, je n’aspire pas à une vérité imposée d’en haut, qu’elle soit bouddhiste, hindouiste, théosophique ou chrétienne. Je cherche une vérité qui me rejoint là où je suis, c’est-à-dire en bas sur cette terre, une vérité de chair et de sang qui me concerne dans mes questionnements et ma souffrance. Je ressens un tel non-sens en moi, un tel vide, une telle totale ignorance de tout que j’ai un viscéral besoin de la vérité même au prix qu’elle me perde à jamais (au contraire, elle me sauvera).

Au plus fort de mon angoisse, j’ai une vision. Non une image sensible perçue par les yeux, non une scène spectaculaire produite par l’imagination. Plutôt, une vision dans l’intelligence. Un “flash” instantané d’une telle profondeur que je ne pourrai jamais en épuiser le sens. Dans un éclair, je vois comment et pourquoi le «Fils de l’homme» est le glorieux Terme de l’évolution biologique et humaine. Et cette vision comble l’abîme jusque là infranchissable entre nature et surnature, entre terrestre et céleste, entre évolution et création, entre humain et divin, entre raison et intuition, entre sciences et foi. En bref, cette vision réconcilie toutes les oppositions et contradictions que notre appréhension de la réalité peut susciter. J’observe une heureuse continuité, une parfaite cohérence, une sublime harmonie entre le présent et le devenir de l’univers tout entier. Et pour participer à ce devenir, je comprends qu’il me faut passer par le Fils de l’homme, celui que ses disciples ont appelé Fils de Dieu.

Après le flash de la vérité dans l’intelligence, je devais donc vivre la vérité dans le coeur. Et c’est ainsi qu’à genoux au pied de mon lit je rencontre Jésus. Il me fait d’abord ressentir mon état sous l’image d’un bélier rétif et crotté caché dans les sombres dédales de ma caverne intérieure. En dépit de mes tentatives de fuite pour L’éviter, Lui, le Frère divin, Il me rattrape. Et après m’avoir mis le nez dans la boue de mes péchés pour que j’apprenne l’humilité, il me prend sur ses épaules et me sort de mon antre infect pour m’amener à la lumière éblouissante de Son univers.

Le message à transmettre

Dans les jours et les mois qui suivent, je comprends que je n’ai pas vécu un tel parcours pour moi seul. Ma faim antérieure de la vérité se meut en faim de témoigner de ce qui m’est révélé et qui peut en sauver d’autres qui cherchent. Mais lorsque je tente de communiquer ma vision dans mon entourage, personne ne semble comprendre ou même s’intéresser à mes découvertes. Je les estime pourtant cruciales pour le devenir de l’humanité. Ma parole n’a pas l’efficacité de réaliser chez les autres les transformations que la vérité produit en moi.

Je saisis alors que cette révélation personnelle a besoin d’être entourée de “chair” pour être intelligible. Cette “chair”, c’est le contexte culturel dans lequel elle doit s’inscrire pour être comprise et assimilée en vue du devenir (l’évolution à venir) de l’humanité. Au début de ma conversion, je comprends que je n’ai pas encore ce qu’il faut pour incarner mon témoignage dans la réalité vécue concrètement par mes frères humains. L’heure n’est pas encore arrivée. Mais plus que jamais, je fais confiance à la Vie pour assurer ma formation.

Pendant plus de deux décennies, les éléments de cette formation m’ont été providentiellement apportés sans que je fasse le moindre effort pour les obtenir par les livres ou la fréquentation de maîtres à penser. C’est la Vie en moi qui a fait tout le travail de me préparer à rédiger l’œuvre de ma vie. Dieu a voulu que ce soit Lui seulement qui ait formé ma pensée pour que mon ignorance de tout ce que l’humanité peut trouver par elle-même confonde la sagesse des intelligents qui refusent encore de Le reconnaître dans Ses œuvres.

«Je te bénis, Père, Seigneur du ciel et de la terre, d’avoir caché cela aux sages et aux intelligents et de l’avoir révélé aux tout-petits. Oui, Père, car tel a été ton bon plaisir» (Mt 13, 25-26).

6 réponses à Recherche de la vérité : deux démarches divergentes

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