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Chers messieurs Germain et Perron. À la suite de vos récents commentaires —qui sont trop abondants pour être publiés intégralement sur ce blogue—, j’ai bien saisi la pensée de l’abbé Frédéric Marlière, que vous m’avez exposée maintes fois, concernant la création. C’est précisément parce que je l’ai comprise et que j’ai pressenti les dangereuses conséquences (pour vous-mêmes) qui en découlent, que je rejette ces conceptions doctrinales avec la dernière énergie.

La nébuleuse Hélix que certains astrophysicien ont baptisé «L'oeil de Dieu»

La nébuleuse Hélix que des astrophysiciens appellent «L’oeil de Dieu»

Si vous souhaitiez comprendre pourquoi je les réprouve avec autant de véhémence, il vous faudrait les mettre provisoirement entre parenthèses, le temps de me lire jusqu’au bout et de me communiquer votre réaction. Sous le couvert de la métaphysique, en effet, vos justificatifs relèvent d’un système de pensée circulaire, fermé hermétiquement en boucle sur lui-même. Les concepts marliérains, comme vous les appelez, ne peuvent guère contribuer à une communication positive entre nous et à une compréhension mutuelle, car pour que leur usage soit utile dans nos échanges, il faudrait les avoir étudiés et acceptés comme vrais. Ce qui n’est évidemment pas mon cas.

C’est pourquoi je ne suis pas rejoint dans mon intelligence lorsque vous les utilisez pour exprimer vos convictions, de sorte que vos commentaires, qui peuvent être pertinents à votre point de vue, le sont peu ou prou à mon sens. Car je ne peux faire autrement que de les recevoir comme des affirmations gratuites non démontrées que je devrais cependant accepter sans discussion pour la simple raison que vous les affirmez avec une belle assurance, “ex cathedra” en quelque sorte, depuis votre hauteur spirituelle d’initiés à laquelle je n’ai pas accès, étant par nature rationnellement limité et vivant dans une réalité que vous pouvez juger plutôt terre à terre comparée à la vôtre.

Pour communiquer efficacement et sincèrement entre nous, qu’est-ce qui nous empêcherait de revenir à un vocabulaire plus familier, par exemple à la distinction entre le corps et l’âme, en place et lieu de «personne» – «personnage»; «de création» «de pro-création»; «gratuité» «non-gratuité»; «de volonté divine» «de volonté humaine»; etc.? De telle manière qu’en utilisant les concepts classiques —qui ont l’avantage d’être compris par tout le monde, enracinés qu’ils sont dans la réalité humaine depuis que l’humanité accède à la rationalité—, je puisse vous atteindre dans votre for interne pour efficacement «rendre compte de l’espérance» (1 Pi 3, 15) de ma foi au Créateur de l’univers visible et invisible, sans prétention, avec clarté et simplicité.

 Création de l’âme et du corps

Je crois que mon âme a été créée directement par Dieu (ex nihilo). Mon âme, selon le deuxième récit de la création de la Genèse, est cette «haleine de vie» provenant de la “bouche” même de Dieu: «il insuffla dans ses narines une haleine de vie et l’homme devint un être vivant» (Gn 2, 7). Ce souffle divin anime mon corps et fait de moi un être humain vivant, conscient d’exister. En créant mon âme, le Créateur l’a pourvue de qualités et de dons particuliers, lui attribuant ainsi une “couleur d’être” unique dans toute la création.

Quant à mon corps mortel et vulnérable, je crois fermement qu’il a été façonné par les “mains” de mon Créateur à partir de la matière, la «glaise» selon la Genèse. «Alors Yahvé Dieu modela l’homme avec la glaise du sol». Les “mains” par lesquelles mon Père céleste —qu’on peut aussi appeler Providence divine— a créé mon corps, ce sont les causes efficientes ou secondes qui forment le tissu de la réalité tangible de l’univers.

Dieu donc demeure la Cause première de mon corps mais cette primauté est manifestée, “monnayée” au travers des causes secondes qui, en l’occurrence, ont d’abord été mes parents. Eux-mêmes ont reçu la vie corporelle de leurs parents, qui l’ont reçu de leurs parents, etc. De sorte que si je recule, disons 100 000 ans dans la chaîne de transmission de la vie qui a produit mon corps, j’arrive à l’humanité préhistorique, plus loin encore aux diverses espèces de pluricellulaires qui ont précédé l’émergence de l’humanité, beaucoup plus loin encore au monde des unicellulaires qui a été la seule forme vivante, pendant 2 milliards et demi d’années, au départ de la vie sur notre planète. Finalement, un dernier recul et je me rattache à la première et unique cellule vivante qui a servi de déclencheur à cet immense projet divin, ce déploiement de tissu vivant qui a pu produire mon corps après 4 milliards et demi d’années de labeur, d’efforts, de générosité, de dons, de réussites, de peines, d’obstacles héroïquement surmontés, d’enfantements douloureux de la nature terrestre.

Donc, mon corps résulte d’un extraordinairement long parcours de la vie. Ce qui me fait prendre conscience rétroactivement qu’il n’y a jamais eu de discontinuité, jamais de rupture dans cette admirable chaîne vivante. Car la moindre petite interruption, même d’un milliardième de seconde, aurait fait que je n’aurais jamais vécu, je n’aurais jamais existé. Toute la chaîne des causes secondes vivantes, des plus proches au plus lointaines, ont été essentielles à mon existence corporelle. Comment ne pourrais-je pas rendre grâce au Seigneur pour le miracle du corps qu’il m’a ainsi formé pour que je puisse vivre et parvenir à Le connaître et à L’aimer? Mon corps avec ses organes, son cerveau, ses viscères, ses sens, sa beauté, ses fonctions, ses aptitudes, n’est-il pas l’une des éblouissantes merveilles de la création, l’un parmi les plus époustouflants chefs d’œuvre de Dieu? Comment exprimer cette beauté et cette bonté, sinon par l’exclamation jubilante du psalmiste: «Merveille, Seigneur, que je suis à tes yeux!»

Pour la liberté

Et ce n’est pas tout! Car mon corps est fait de matière: des protéines, des acides, des liquides, des graisses, toutes sortes de substances patiemment et mystérieusement agencées dans une complexité inimaginables pour être aptes à porter la vie. Ces atomes et molécules ne se sont pas retrouvés sur la Terre par hasard. Certains de ces éléments essentiels à la formation du tissu vivant de ma chair ont été produits dans le cœur d’étoiles qui, en explosant en supernova, les ont projetés dans l’espace intersidéral. Ces particules ont voyagé jusqu’à notre petite planète perdue dans l’incommensurable immensité cosmique où se balancent des milliards de galaxies formant en leur sein des milliards d’étoiles. Et si je rebrousse le chemin parcouru par ces galaxies qui en s’éloignant les unes des autres ont crées de plus en plus d’espace pour un univers en constante expansion comme un ballon qui n’a pas fini de se gonfler, je me retrouve à un infime point d’énergie d’une concentration et chaleur extrêmes, l’atome initial du grand ballet universel qui, «Au commencement…» a exécuté son “big bang” sous l’impulsion du Verbe Créateur: «Que la lumière soit!» (Gn 1, 1.3). Et voilà que notre univers était lancé par la Parole divine pour éventuellement donner à mon âme, en “attente” dans l’éternité de Dieu, un corps à animer. Sublime mariage que celui-là. Il fait de moi non pas deux entités mais une personne unique nommée Paul. Et ce que Dieu a uni, nous dit Jésus, nous ne devons jamais le séparer, ni en pensée, ni en parole, ni en acte!

Ce corps que Dieu a créé, Il l’a voulu parce qu’Il m’aime. C’est son cadeau de Père pour que j’existe. Il l’a façonné pour que je puisse prendre du temps à Le chercher, à Le découvrir et à L’aimer au risque même que je me détourne de Lui et que j’en abuse pour me faire une vie à moi sans Lui, sans Le reconnaître, une vie sans joie et sans amour. Et c’est bien ce que j’ai fait pendant un trop grand nombre d’années de ma vie. Mais parce que je ne suis pas comme un ange qui, lorsque créé, doit décider une seule fois pour l’éternité d’aimer ou de haïr Dieu, tant que je vis dans mon corps, je peux à chaque instant, à chaque fraction de seconde, changer mon orientation, me repentir et me tourner vers mon Créateur. Mon corps dans l’espace et le temps autorise cette étonnante liberté. Bienheureuse liberté qui m’assure la possibilité d’aimer Dieu infiniment pour Lui-même!

Voilà ce que signifie mon corps et l’univers tout entier qui l’a produit en exécutant l’édit du Verbe divin ordonnant aux réalités matérielles et vivantes d’exister dans l’espace et le temps: «Dieu dit : “Qu’il y ait des luminaires au firmament du ciel pour séparer le jour et la nuit; qu’ils servent de signes, tant pour les fêtes que pour les jours et les années, qu’ils soient des luminaires au firmament du ciel pour éclairer la terre” et il en fut ainsi». Encore, le sixième jour: «Que la terre produise les être vivants…» Et ce même jour de la création du règne animal: «Faisons l’homme à notre image, comme notre ressemblance» (Gn 1, 14-15, 24.26).

En toute simplicité, voilà bien ce que je crois et témoigne avec une fervente ardeur religieuse à propos de mon corps et de mon âme dans le contexte de création de l’univers visible et invisible. Bien sûr, ces énoncés valent pour tous les humains en particulier, dont vous-mêmes. Je les ai personnalisées pour court-circuiter les dangers d’errements que les concepts abstraits, désincarnés de la vérité concrète de nos vies, peuvent générer. Car nous risquerions de juger le corps humain et l’univers tout entier qui le produit comme des projections illusoires ou comme ressortant d’un principe mauvais à leur racine (le péché originel) pour expliquer la présence de la souffrance et du mal.

Non! S’il est assez évident pour tout le monde que le mal existe dans la création, ce ne peut être en raison du corps et de l’univers visible car Dieu les a voulus et les a déclarés bons. Le mal ne provient pas du fait de l’existence des réalités physiques et objectives. Il ressort de l’autre volet de la composante humaine, soit l’âme. C’est la liberté de l’âme intérieure, invisible, spirituelle qui a introduit le mal dans l’existence humaine. C’est l’âme qui est responsable du péché et non le corps.

Si bien que les seuls changements à l’ordre de la création que le mal moral a introduit dans l’univers visible depuis le péché originel, ce sont les effets des péchés perpétrés par l’humanité. S’il en était autrement, comment la Vierge Marie aurait-elle pu être exemptée de la tare originelle. C’est son âme qui en a été exemptée. Son corps a été en tout point formé de la même manière que le mien et le vôtre et produit par le même univers qu’elle-même et nous percevons par nos sens. Et à la fin de sa vie, c’est ce même corps qui a été “aspiré” par le Ciel. De même pour Jésus. Le Fils de Dieu se serait-il incarné dans un corps qui serait une conséquence du péché originel? Non! Il n’a pas été d’aucune façon affecté par quelque péché que ce soit! Car il n’aurait pu opérer la Rédemption avec un corps impur produit par un univers illusoire? C’est aussi ce corps en tous points semblable aux nôtres qui est ressuscité et a par la suite subi les inévitables transformations —préfigurées lors de la Transfiguration— pour entrer au Ciel où Il règne avec le Père.

Conclusion

Pour conclure, voici ce que je vous propose à tous les deux: que vous me disiez si oui ou non, sans plus d’explications, l’exposé ci-dessus vous convient et si vous y retrouvez l’expression de votre foi! Êtes-vous disposés à endosser l’esprit de ces énoncés dont je témoigne? Si oui, je m’en réjouirai ardemment et en rendrai grâce à Dieu. Car nous pourrons alors comprendre que nos différends ne sont qu’une question de vocabulaire et n’atteignent pas la profondeur de l’engagement de la foi de sorte que nous pourrons alors conclure nos échanges en respectant les chemins particuliers de chacun vers le Père.

Je dois pourtant préciser que je n’accepterai pas comme une réponse valable et authentique toute allusion à la «tunique de peau» signifiant «notre monde existentiel spatio-temporel». Dans ma Deuxième lettre à un ami métaphysicien, j’ai démontré que l’interprétation que vous en faites n’est pas fondée car elle ne relève pas «d’une herméneutique rigoureuse» réclamée par Jean-Paul II. Il semble que vous n’en ayez pas pris connaissance ou que vous l’ayez oublié puisque vous m’êtes revenus plusieurs fois depuis avec cette irrecevable interprétation. Pour votre commodité, je reproduis ci-dessous une partie de cette réfutation.

Le sens de la «tunique de peau»

(Extrait de la Deuxième lettre à un ami métaphysicien) «Mais là, vous voudrez m’arrêter dans ma lancée pour me signaler que [je vous cite] «le corps de l’homme, sa “tunique de peau”, son « vêtement de peau », a été façonné par Dieu lui-même en Éden tel que le raconte la Genèse, en 3, 21 : “et Yahweh Dieu fit à Adam et à sa femme des tuniques de peau et il les en revêtit” (il ne les a pas créés cependant !)». Selon l’interprétation que vous donnez à ce verset à la suite de Frédéric Marlière, la «tunique de peau» correspond au corps, avec ses sens et ses organes, que le Créateur aurait fabriqué (mais non créé, ajoutez-vous paradoxalement pour ne pas entrer en contradiction avec votre plus que douteuse conception de création ex nihilo) pour le couple après l’avoir chassé de la «création d’origine» immatérielle. Cette conception est fréquemment invoquée sur votre site pour colmater les brèches d’incohérence qui surgissent à chaque détour de votre discours entre la «vraie» «création d’origine» et le «faux» et «illusoire» univers physique dans lequel nous serions contraints de vivre à cause du péché originel.

 «Un petit problème toutefois avec ce commode concept bouche-trou: il ne colle pas à une juste interprétation du verset biblique dont il se réclame. Pour le comprendre, on doit se mettre dans la peau (c’est le cas de le dire) de l’auteur du récit pour bien comprendre ce qu’il veut nous communiquer par son récit. Cette méthode de lecture est préconisée par Jean-Paul II. Dans son discours à l’Académie pontificale des sciences en 1996, il a insisté sur «la nécessité, pour l’interprétation correcte de la parole inspirée, d’une herméneutique rigoureuse. Il convient de bien délimiter le sens propre de l’Écriture en écartant des interprétations indues qui lui font dire ce qu’il n’est pas dans son intention de dire.»

«Donc, demandons-nous si l’auteur a voulu, par la «tunique de peau», signaler le corps physique! Une lecture complète du récit (le deuxième Gn 2, 4b à 3, 24) ne permet pas du tout de le conclure. Au contraire, à chaque fois que l’auteur fait allusion au corps, que ce soit dans l’Éden ou après la chute, il fait référence à sa provenance de la glaise du sol: «Alors Yahvé Dieu modela l’homme avec la glaise du sol..». (Gn 2, 7); «À la sueur de ton visage tu mangeras ton pain jusqu’à ce que tu retournes au sol dont tu fus tiré. Car tu es glaise et tu retourneras à la glaise» (Gn 3,19). «Et Yahvé Dieu le renvoya du jardin d’Éden pour cultiver le sol dont il avait été tiré» (Gn 3, 23). De plus, lors de la création d’Ève avant la chute, Adam s’écrie en s’éveillant de sa torpeur: «Pour le coup, c’est l’os de mes os et la chair de ma chair» (Gn 2, 23).

 «Ces versets contredisent clairement votre prétention que l’Éden, auquel vous greffez le concept de «création d’origine», exclut le corps physique ainsi que les organes qui le composent, sens, sexe, fonctions biologiques, matérialité. Il serait donc incohérent et illogique de supposer qu’après avoir tant insisté dans un aussi court texte, sur la provenance matérielle du corps, l’auteur aurait infirmé sa thèse en identifiant «la tunique de peau» au corps physique. Son intention est donc très éloignée d’une telle interprétation. Elle vise plutôt à démontrer la sollicitude miséricordieuse du Créateur qui assure ainsi une protection à ses créatures vulnérables confrontées au monde matériel. Tant qu’ils vivaient dans leur Éden intérieur, leur conscience était protégée par la Présence de Dieu des chocs et aléas inévitables de la matérialité. Mais après être sorti de leur contemplation intérieure pour s’approprier l’objet extérieur, ils se sont livrés de ce fait aux dangers du monde physique dont Dieu pouvait antérieurement les protéger en absorbant toute leur conscience.»

16 réponses à Lettre adressée à mes frères “marliérains”

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