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Cher monsieur Germain, lorsque vous avez assisté au lancement de mon ouvrage L’évolution de l’Alpha à l’Oméga dans la ville de Québec, vous avez admis que votre participation à l’événement visait —comme vous me l’avez confirmé par la suite lors de nos échanges privés— à «confronter mes croyances métaphysiques à vos croyances évolutionnistes» pour dénoncer «la fausseté de l’évolution» et démontrer qu’on ne peut «se dire catholique et croire en l’évolution». Or, dans l’un de vos commentaires antérieurs, vous citez l’abbé Marlière: «La science et la foi n’auraient jamais dû s’affronter, notamment en ce qui concerne les premiers chapitres de la Genèse». “Affronter”, n’est-ce pas exactement ce que vous faites ici?

 

Galilée en procès avec l’Inquisition. L’astronome affirmait que Dieu avait écrit deux livres : la Bible et la nature. Et il disait aux inquisiteurs : « Dites-nous comment aller au ciel et laissez-nous vous dire comment va le ciel. »

Galilée en procès avec l’Inquisition. L’astronome affirmait que Dieu avait écrit deux livres : la Bible et la nature. Et il disait aux inquisiteurs : « Dites-nous comment aller au ciel et laissez-nous vous dire comment va le ciel. »

Je constate toutefois, dans votre dernière intervention, que vous semblez atténuer quelque peu la radicalité de vos propos antérieurs. C’est un progrès qui m’encourage à espérer vous convaincre que l’évolution biologique et humaine n’est pas incompatible avec la foi, comme vous continuez de le soutenir, ici et sur votre site internet. Et ceci, en dépit du fait que je vous ai envoyé le 3e chapitre de mon ouvrage intitulé L’Église et l’évolution, qui prouve hors de tout doute que le Magistère admet et approuve l’évolution —«plus qu’une hypothèse» scientifique— comme un fait démontré objectivement.

D’autre part, dans l’Introduction, j’anticipe sur l’une des conclusions de mon ouvrage en affirmant que le constat d’une évolution bien interprétée confère à la doctrine catholique «une dimension époustouflante», pouvant assurer au christianisme, à notre époque où il est fortement remis en cause, «un second souffle assez puissant pour inspirer toute une civilisation de progrès fantastiques, tant spirituels que scientifiques». Je me dois pourtant de préciser que le terme évolution que j’utilise ici et dans mon ouvrage ne fait pas référence à des hypothèses scientifiques matérialistes ni à l’interprétation biaisée et caricaturale de ce concept que vous proposez sur votre site.

Le sens de l’évolution

L’évolution de la matière, appelée entropie, ainsi que l’évolution biologique et humaine sont démontrées objectivement et unanimement par diverses sciences, dont la physique, la géologie, la paléontologie, la biologie, la génétique, l’embryologie, etc. Comme je l’ai mentionné plus haut, ce fait est reconnu par le Magistère de l’Église qui affirme péremptoirement depuis Pie XII, et de manière plus précise encore par Jean-Paul II, la compatibilité de cette notion avec le dogme de la création.

D’autre part, l’évolution est une évidence criante du parcours de l’humanité, depuis la préhistoire, en passant par la civilisation judéo-chrétienne jusqu’à l’époque moderne. Elle est d’ailleurs évoquée implicitement dans plusieurs passages de l’Ancien et du Nouveau Testament, de la Genèse à l’Apocalypse, et peut se déduire de l’ensemble biblique dont les écrits illustrent la démarche évolutive de l’humanité dans sa quête du salut.

L’évolution se vérifie encore dans nos vies personnelles puisque nous vivons inévitablement une croissance depuis notre conception, un développement de la raison et du cœur, un affinement de notre conscience, une spiritualisation, une transformation graduelle de notre être que nous appelons “purification”. Même lorsque nous refusons la notion d’évolution, nous ne pouvons éviter d’évoluer tant que nous sommes vivants et tendus vers une vie meilleure… à moins que nous choisissions de stagner dans un immobilisme stérile d’incroyance ou de régresser sur une pente entropique de dégradation morale.

De plus, pour le plan théologique, évoluer, c’est vivre sous la mouvance de l’unique Acte créateur de Dieu, qui va de l’Alpha du commencement à l’Oméga de l’accomplissement. Évoluer, c’est s’abandonner à l’action transformatrice de l’Esprit qui nous sculpte «à l’image et la ressemblance» de l’Amour, notre Père.

Phénomène d’objectivation

La grande raison pour laquelle vous refusez d’admettre l’évolution, c’est que cette notion vous semble incompatible avec la théorie d’«objectivation» de la réalité que vous mettez de l’avant et lui opposez. Que ces deux notions soient incompatibles, je peux vous le concéder même si je n’en suis pas convaincu. Toutefois, ce n’est pas parce que le concept d’évolution est faux mais bien parce que «le phénomène d’objectivation», comme vous l’appelez et tel que vous le concevez, est erroné.

Je tiens pourtant à préciser que je n’estime pas que cette notion soit totalement dénudée de fondement. Elle n’est pas entièrement fausse. Bien que je ne lui aie pas donné de nom, je décris dans mon ouvrage un phénomène équivalent basé sur le récit de la chute de la Genèse. Là où il y a divergence de vues entre nous, c’est sur l’effet que la faute produit dans la réalité. Mon interprétation avance que c’est seulement l’univers invisible de la subjectivité humaine qui en est affecté. Vous soutenez au contraire que ce phénomène est produit par les sens qui seraient en quelque sorte la “cause première” de l’univers visible. Ces deux visions divergentes portent de très sérieuses et dramatiques conséquences tout en aboutissant possiblement au même point conclusif. Votre regard fait voir le monde physique par un côté de plus en plus obscur tandis que je m’efforce plutôt d’y discerner la montée graduelle vers la Lumière divine.

Votre notion d’«objectivation», selon ce que vous en dites, remonte à l’abbé Frédéric Marlière. Vous affirmez que ce concept ainsi qu’une vingtaine d’autres termes, ont été révélés par l’Esprit Saint à ce prêtre décédé en 2012 à l’âge de 101 ans. L’ensemble de ces concepts nouveaux, auxquels on peut accéder par «rumination métaphysique», sont à la base de la «théologie marliéraine», qui, selon vous, «corrige bien des inexactitudes de notre théologie catholique actuelle». Ces termes et la théologie qui en découle s’inspireraient «de la Parole de Dieu et de toute la Révélation connue». Ce serait notamment le cas pour les notions inter-reliées d’«objectivation» et de «création d’origine». Que je sache, pourtant, ces notions sont totalement absentes de l’Ancien et du Nouveau Testament, de l’enseignement des Pères de l’Église, de la théologie médiévale, en bref, de l’enseignement actuel de l’Église. Elles sont “nouvelles” et sont donc susceptibles de suspicion dans l’Église qui enseigne le principe de la “révélation close ”, de sorte qu’aucune “nouveauté” concernant le salut ne peut être révélée à l’humanité depuis les Apôtres.

Tout de même, examinons de plus près ce que ces termes signifient et pénétrons dans l’univers de pensée qu’ils évoquent. Dans vos articles publiés sur votre site http://www.omega-3.forumgratuit.ca et vos commentaires ici, vous parlez de l’«objectivation» comme d’un phénomène. Pour être plus précis, j’ai vérifié dans plusieurs dictionnaires le sens du mot phénomène. La définition la plus concise le décrit comme suit: «Fait observable, événement». Le Petit Larousse complète cette définition en précisant le sens philosophique: «Pour Kant, ce qui est perçu par les sens, ce qui apparaît et se manifeste à la conscience».

Alors, cher monsieur Germain, je vous propose que nous observions ensemble ce «phénomène d’objectivation», tel que vous le concevez. Pour ce faire, nous devons préalablement supposer qu’il n’existe rien de tangible, de visible, n’est-ce pas? Rien du tout! La Terre n’existe pas, le Soleil et la Lune n’existent pas, il n’y a pas de cosmos, le monde que nous percevons n’existe pas, il n’y a pas d’espace et de temps. Et tout à coup, dans ce vide que nous pourrions appeler néant, apparaissent un homme et une femme, deux adultes en chair et en os. De notre point de vue, c’est un miracle, un fantastique tour de magie, un fabuleux événement qui n’a aucun précédent et ne se répétera pas! Et d’autant plus que tous les astres du cosmos ainsi que toutes les espèces animales et végétales apparaissent au même instant. Vous soutenez que les espèces «n’ont pas subi l’évolution; elles sont apparues en même temps que l’Homme» et auraient surgi subitement de rien déjà formées, faut-il présumer, dans leur maturité d’organismes adultes pour devenir les géniteurs de tous les spécimens de leur espèce qui leur succéderont.

De notre plateforme d’observation, nous constatons donc que l’existence de toutes les réalités physiques, concrètes, tangibles, incluant le soleil, la lune et tous les astres du cosmos vient de commencer à exister visiblement. D’où vient tout cela, quelle est la cause de ce “spectacle” inouï —car vous soutiendrez bientôt que «ce monde est illusoire, trompeur, imaginaire. Il est faux.» Ce n’est pas la «vraie création». Et vous précisez que Dieu n’a ni créé ni voulu ce monde!

Mais alors, qui a créé cette soi-disant illusion, comment-a-t-elle pu paraître? Vous répondez: «L’univers actuel, le monde visible, n’est pas apparu avant que l’homme paraisse car c’est ce dernier qui le fait paraître par son pouvoir de perception ou d’objectivation que sont ses sens apparus depuis sa sortie de l’Éden». Ainsi donc, selon vous, ce seraient les sens du premier couple humain qui auraient eu le pouvoir de faire surgir de rien l’univers visible tout entier? Un sacré pouvoir! On pourrait en conclure que les sens d’Adam devaient être dotés de la toute-puissance divine si l’on tient compte de l’inimaginable nombre et étendue des réalités terrestres et cosmiques. Mais vous renchérissez et insistez lourdement: «Si l’homme n’existait pas, le monde autour de lui n’existerait pas non plus», l’homme étant «antérieur à son univers». Quant aux réalités objectives, elles sont là parce que nous les percevons et non parce qu’elles sont réelles. «En réalité, il n’y a pas d’antériorité de l’objet sur les sens. Autrement dit l’objet n’était pas là avant que les sens paraissent. L’objet est postérieur aux sens.» Mais comment démontrez-vous la validité de telles affirmations, si contraires au strict bon sens universellement admis et si radicalement opposées à la lettre et à l’esprit de l’Écriture Sainte?

Création d’origine

Vous expliquez que «le monde dans lequel nous vivons, n’est pas, n’est plus, ou ne peut pas être celui que Dieu a créé». La «vraie création» n’est pas perceptible par les sens car «elle n’est pas matérielle. Elle est ontologique, invisible, spirituelle, immatérielle, métaphysique, tout comme Dieu lui-même… Le monde actuel, tel qu’on le perçoit avec nos sens, n’est pas sa création à lui. Ce n’est pas le monde tel qu’il aurait voulu qu’il soit, et tel qu’il l’a créé à l‘Origine.»

Voilà! L’autre “nouveauté” doctrinale associée à l’«objectivation» est lancé: la «création d’origine». Apparemment, c’est l’Éden de la Genèse mais interprété dans un sens aux antipodes du deuxième récit de la création (chapitre 2 +). En effet, ce dont il est question ici, ce n’est pas de la création de l’être humain corps et âme. Car dans la «vraie» création, celle de l’origine, tous les êtres qui ont existé, existent et existeront ont été créés en un seul instant dans «le temps de Dieu» mais «non avec un corps de chair et de sang périssable tel que l’on a présentement». Nous n’aurions pas été créés «d’une matière telle que nous connaissons actuellement, mais d’une matière première (prime) que personne n’a jamais vue, une matière ÉTERNELLE».

Wow! Nous aurions donc été créés comme des anges et non comme des humains en chair et en os? Et paradoxalement, le «vrai» corps de la «vraie» création serait fait de “matière spirituelle”? Vous dites: «une âme spirituelle incarnée dans un corps spirituel». Contradiction flagrante dans les termes, s’il en fût; et contradiction plus grave encore, en rapport au récit de la Genèse où il est dit que «Dieu modela l’homme avec la glaise du sol [soit, la matière], il insuffla dans ses narines une haleine de vie et l’homme devint un être vivant» (Gn 2, 7). Donc, la matière modelée par l’intermédiaire des causes secondes pour le corps et l’«haleine» vitale insufflée directement par le Créateur ex nihilo pour rendre compte de l’âme immortelle.

C’est que dans la «création d’origine» d’où nous venons tous, soutenez-vous, il n’y a que de l’être, que des «présences». Le corps spirituel n’a pas d’organes internes et externes, il n’a pas de sens, pas de viscères puisqu’il est immortel. «À noter également qu’il n’y avait pas de sexes en Éden ou dans la création d’Origine, pas d’hommes ni de femmes; pas de mâles ni de femellesAussi pas de langage. On prenait conscience de tout de façon intuitive, de façon directe et immédiate, par la connaissance intuitive». Cette connaissance intuitive, ce serait une connaissance au-delà du physique (celle d’esprits non incarnés, celle des anges), soit la métaphysique dont vous vous réclamez et que vous valorisez au détriment de la connaissance objective ou scientifique qui, «ne vient qu’embrouiller ou créer de l’interférence avec la connaissance intuitive».

Le problème avec nous les humains, remarquerai-je à ce titre, c’est que nous sommes des humains, dirait monsieur de La Palice. Nous sommes déjà incarnés au départ de l’existence. Alors, pour accéder véritablement à l’univers métaphysique, on devrait se désincarner mentalement pour cogiter comme des anges, comme si on pouvait échapper à la condition vulnérable et mortelle de l’humanité qui nous rattrape parfois cruellement à chaque détour de notre existence. Une condition dramatique qui nous oblige à tenir compte de l’accès rationnel à la connaissance objective et scientifique pour éviter de construire subjectivement un système de pensée en vase clos, désincarné et sans lien avec la brutale réalité. Car il est à craindre que la prétention d’accéder à une sphère sur-rationnelle de connaissances ne finisse par dégénérer en irrationalité. «Qui veut faire l’ange, fait la bête», dixit Blaise Pascal.

Péché originel

Mais, demanderai-je encore, comment en sommes-nous arrivés à quitter cette heureuse condition édénique «immuable et intemporelle comme son Créateur» pour nous retrouver dans un monde instable et changeant avec un corps admirablement organisé mais mortel? Vous répondez que la responsabilité en revient au premier couple qui, en rompant avec le Créateur, «s’est donné son propre corps de chair et de sang et son propre monde. (…) L’homme ne “descend” pas du singe tel que l’affirment les évolutionnistes. L’homme a été objectivé suite au mauvais choix d’Adam et Ève et est apparu antérieurement ou en même temps que son univers.»

Ainsi donc, le monde physique, incluant nos corps et tout ce que nous pouvons percevoir de la réalité et déduire par la raison via les sens, serait causé par le péché originel? Voilà un effet du péché pour le moins grandiose, incommensurable, inouïe! J’ai toujours pensé que le péché détruisait et non créait de la réalité.

Mais encore, comment nos premiers parents auraient-ils pu faire ce «mauvais choix» puisque, selon vous, ils n’avaient pas de sens et était immuables comme le Créateur dans l’Éden? Ce qui est contredit par la Genèse. Car la Bible affirme clairement que la tentation du serpent est venue par les sens et que le fruit convoité était objectif, donc extérieur, ce qui suppose le corps et l’espace-temps. «La femme vit que l’arbre était bon à manger et séduisant à voir, et qu’il était, cet arbre, désirable pour acquérir le discernement» (Gn 2, 6). Et puisqu’ils auraient été immuables, comment auraient-ils pu opérer eux-mêmes le changement radical et instantané de la “chute” du corps spirituel immortel et invisible au corps visible de chair et de sang, extrêmement bien organisé au plan biologique? Il y a là partout une insoluble incohérence, ne trouvez-vous pas?

De notre plateforme d’observation, revenons à l’instant précis où le premier couple atterrit sur le plancher des vaches de notre monde visible après avoir été chassé de l’Éden. Surviennent donc, instantanément, deux humains dotés d’organes internes et externes d’une complexité renversante. (Selon les sciences, la merveille du corps humain a nécessité quatre milliards d’années d’évolution pour se former.) Ces deux humains n’auraient pas eu de parents mais il fallait bien qu’ils arrivent tout formés en un instant parce que leur péché suppose une décision libre d’adultes. Un «mauvais choix» qui déterminera la forme physique de l’humanité et de l’univers visible tout entier.

Mais là, vous voudrez m’arrêter dans ma lancée pour me signaler que «le corps de l’homme, sa “tunique de peau”, son « vêtement de peau », a été façonné par Dieu lui-même en Éden tel que le raconte la Genèse, en 3, 21 : “et Yahweh Dieu fit à Adam et à sa femme des tuniques de peau et il les en revêtit” (il ne les a pas créés cependant !)». Selon l’interprétation que vous donnez à ce verset à la suite de Frédéric Marlière, la «tunique de peau» correspond au corps, avec ses sens et ses organes, que le Créateur aurait fabriqué (mais non créé, ajoutez-vous paradoxalement pour ne pas entrer en contradiction avec votre plus que douteuse conception de création ex nihilo) pour le couple après l’avoir chassé de la «création d’origine» immatérielle. Cette conception est fréquemment invoquée sur votre site pour colmater les brèches d’incohérence qui surgissent à chaque détour de votre discours entre la «vraie» «création d’origine» et le «faux» et «illusoire» univers physique dans lequel nous serions contraints de vivre à cause du péché originel.

Un petit problème toutefois avec ce commode concept bouche-trou: il ne colle pas à une juste interprétation du verset biblique dont il se réclame. Pour le comprendre, on doit se mettre dans la peau (c’est le cas de le dire) de l’auteur du récit pour bien comprendre ce qu’il veut nous communiquer par son récit. Cette méthode de lecture est préconisée par Jean-Paul II. Dans son discours à l’Académie pontificale des sciences en 1996, il a insisté sur «la nécessité, pour l’interprétation correcte de la parole inspirée, d’une herméneutique rigoureuse. Il convient de bien délimiter le sens propre de l’Écriture en écartant des interprétations indues qui lui font dire ce qu’il n’est pas dans son intention de dire.»

Donc, demandons-nous si l’auteur a voulu, par la «tunique de peau», signaler le corps physique! Une lecture complète du récit (le deuxième Gn 2, 4b à 3, 24) ne permet pas du tout de le conclure. Au contraire, à chaque fois que l’auteur fait allusion au corps, que ce soit dans l’Éden ou après la chute, il fait référence à sa provenance de la glaise du sol: «Alors Yahvé Dieu modela l’homme avec la glaise du sol..». (Gn 2, 7); «À la sueur de ton visage tu mangeras ton pain jusqu’à ce que tu retournes au sol dont tu fus tiré. Car tu es glaise et tu retourneras à la glaise» (Gn 3,19). «Et Yahvé Dieu le renvoya du jardin d’Éden pour cultiver le sol dont il avait été tiré» (Gn 3, 23). De plus, lors de la création d’Ève avant la chute, Adam s’écrie en s’éveillant de sa torpeur: «Pour le coup, c’est l’os de mes os et la chair de ma chair» (Gn 2, 23).

Ces versets contredisent clairement votre prétention que l’Éden, auquel vous greffez le concept de «création d’origine», exclut le corps physique ainsi que les organes qui le composent, sens, sexe, fonctions biologiques, matérialité. Il serait donc incohérent et illogique de supposer qu’après avoir tant insisté dans un aussi court texte, sur la provenance matérielle du corps, l’auteur aurait infirmé sa thèse en identifiant «la tunique de peau» au corps physique. Son intention est donc très éloignée d’une telle interprétation. Elle vise plutôt à démontrer la sollicitude miséricordieuse du Créateur qui assure ainsi une protection à ses créatures vulnérables confrontées au monde matériel. Tant qu’ils vivaient dans leur Éden intérieur, leur conscience était protégée par la Présence de Dieu des chocs et aléas inévitables de la matérialité. Mais après être sorti de leur contemplation intérieure pour s’approprier l’objet extérieur, ils se sont livrés de ce fait aux dangers du monde physique dont Dieu pouvait antérieurement les protéger en absorbant toute leur conscience.

D’autre part, par la «tunique de peau», l’auteur peut aussi démontrer que l’habit fait partie de la nature humaine puisque c’est Dieu qui a confectionné le premier vêtement. Et pourquoi l’aurait-il fait à partir de peau de bête? Je soutiens dans mon ouvrage que c’est pour faire allusion à la primitivité préhistorique de l’humanité. Il en émergera éventuellement les produits de civilisation que sont les vêtements de laine ou de lin. Je suis donc d’avis que l’auteur laisse entrevoir ici une humanité lancée dès le début sur un parcours évolutif puisque des allusions du même ordre, démontrant l’acquisition progressive des qualités propres à l’humanité d’aujourd’hui, sont présentes dans les chapitres subséquents de la Genèse et, notamment, dans l’histoire du déluge et de l’éradication d’une espèce humaine primitive antérieure à Noé.

Conclusion

Cher monsieur Germain, je conclus ici provisoirement cette lettre déjà assez longue car je projette de vous présenter d’autres aspects de la question dans une prochaine, notamment en exposant les contextes différents au départ de nos recherches respectives (l’abbé Marlière et moi) qui expliquent en partie l’orientation et l’objectif de nos ouvrages. Je compléterai le tout par mon témoignage personnel à propos duquel on ne peut que rendre gloire à Dieu pour sa grande miséricorde et le louer passionnément pour la bonté de toutes ses œuvres.

Quant à cette présentation de votre «phénomène d’objectivation» et de «création d’origine», je ne compte pas y donner suite. À ce propos, je relève de vous une dernière citation qui illustre parfaitement à quelle incohérence de pensée et de vision mènent ces concepts. Vous écrivez: «À la question soulevée plus haut à savoir: à quelle époque cette objectivation a bien pu faire paraître notre monde existentiel? C’est à la science de nous en donner la réponse. Ça revient à la science de nous dire à quel moment de notre Histoire est apparu le premier être humain qui représente le commencement de notre monde actuel.»

En d’autres mots, plutôt que d’admettre les contradictions et incohérences issues de votre système de pensée, vous voudriez que les sciences se contredisent elles-mêmes en reniant les évidences objectives! Et ceci pour faire croire à ce nouveau mythe irrationnel que vous mettez de l’avant, plus mythique encore que le récit de la création que vous prétendez expliquer, à savoir que c’est le péché du premier humain qui est la cause de la réalité physique. Il faudrait donc faire mentir les recherches qui font remonter 13,7 milliards d’années l’irruption de l’univers dans la réalité pour le ramener à 200 000 ans (ou à quelque 7 millions d’années si l’on veut tenir compte des espèces humaines éteintes qui ont précédé l’arrivée de homo sapiens).

Bien loin donc de résoudre le soi-disant conflit mentionné au début de cet article entre science et foi, vous approfondissez le fossé —que l’on peut enjamber sans problème dans mon ouvrage en faisant confiance au Créateur— pour en faire un abîme d’incohérences insolvables. Vous projetez ainsi la vision d’une création mauvaise qui n’aurait jamais dû émerger dans la réalité et qui doit son existence au péché plutôt qu’à Dieu.

20 réponses à Deuxième lettre à un ami métaphysicien

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