La plus grande démocratie du monde va-t-elle changer de visage ? Avec l’élection, déjà confirmée à une majorité écrasante, de Narendra Modi, champion de l’hindouisme nationaliste, l’Inde risque-t-elle de connaître des changements qui bouleverseront son histoire ?
Le pays est partagé aujourd’hui entre l’exultation des militants du Bharatiya Janata Party (BJP) qui annoncent « une nouvelle ère », et l’inquiétude de ceux considérés par les hindouistes comme des « ennemis de l’Hindutva », c’est-à-dire les minorités religieuses (chrétiens et musulmans en particuliers) ainsi que les aborigènes et les basses castes.
Sur le site d’information en ligne The Conversation, Subir Sinha, maître de conférence d’origine indienne à la SOAS, Université de Londres, a publié ce 16 mai l’article suivant, commentant ‘à chaud’ l’évènement (La traduction est de l’Église d’Asie).
Une victoire électorale massive … et la menace d’un désastre pour l’Inde
Que signifie cette victoire de Modi pour la communauté indienne ? Narendra Modi et son parti, le Bharatiya Janata Party (BJP) ont remporté les élections indiennes d’une façon à la fois massive et inattendue, leur assurant la majorité absolue. Le parti du Congrès et son Premier ministre sortant Manmohan Singh ont reconnu leur défaite et félicité Modi.
Modi semble avoir été élu démocratiquement. Mais, comme il l’a été constaté lors de l’exercice de son mandat au Gujarat [Narendra Modi a été ministre-président de l’Etat du Gujarat pendant 13 ans jusqu’à aujourd’hui. NDT], il a démontré une propension particulière à confisquer le pouvoir de façon anti-démocratique et ce, à des fins anti-démocratiques. Au sein même de son propre parti, il empêche l’émergence de tout rival potentiel, encourage les alliances secrètes avec des transfuges d’autres partis, et discrédite la légitimité de ses opposants.
Parallèlement, il s’introduit au coeur des institutions d’État, comme les organismes chargés d’enquêter sur les massacres de 2002 et les exécutions extrajudiciaires au Gujarat, ou encore la Commission électorale. Il concentre tous les pouvoirs entre ses mains, cumulant jusqu’à 14 portefeuilles au gouvernement de l’Etat. Il parle d’« extirper jusqu’à la racine » toute opposition et d’« éradiquer » ses adversaires politiques tandis que ses militants menacent d’exil ou d’emprisonnement toute personne qui s’aviserait de critiquer leur leader.
Le culte de la personnalité qui s’est forgé autour de lui le compare aux dieux hindous ; une attitude qui va à l’encontre totale des principes égalitaires à la base de toute démocratie. Narendra Modi n’accepte aucune critique, ni sur le « modèle du Gujarat » ni sur le coût et le financement de sa très onéreuse campagne électorale. Le Gujarat, qu’il présente comme « un modèle de gouvernance », détient le plus fort taux de violence exercée à l’encontre de ceux qui tentent d’utiliser leur droit à l’information pour enquêter sur les actions de son gouvernement.
Malgré les affirmations de Modi selon lesquelles les musulmans du Gujarat ne souffriraient d’aucune discrimination économique et qu’il n’y aurait pas eu de violences antimusulmanes majeures depuis 2002, des sondages pré-électoraux ont révélé que 80 à 90 % des membres des minorités – musulmanes mais aussi chrétiennes et sikhs – ont voté contre Modi. Sa volonté d’imposer des lois anti-conversion, comme son opposition ouverte à l’encontre des missionnaires chrétiens, lui ont valu de rencontrer des problèmes de visa pour se rendre en Europe et aux Etats-Unis, lesquels le considèrent comme une menace pour la liberté religieuse.
Après la défaite retentissante du BJP aux élections de 2009, Narendra a tenté d’« adoucir son image », les causes de l’échec du parti semblant être liées directement au fait qu’il était étroitement identifié aux événements de 2002 et à l’extrême-droite hindoue. C’est à partir de ce moment que Modi a transformé son personnage, passant du guerrier hindou au ‘messie’ chargé du développement de l’Etat. Mais il convient de rappeler qu’il était à la tête du BJP à Surat lorsque les émeutes accompagnées de viols ont éclaté en 1992. Alors ministre-président du Gujarat, il a laissé « gérer la situation » aux groupes militants hindouistes extrémistes du Vishwa Hindu Parishad et du Bajrang Dal. Jamais une seule fois, il n’a rendu visite aux victimes.
Aujourd’hui, les discours de Modi parlent du concept de l’« India first », mais il y a peu encore ils étaient émaillés de railleries envers les musulmans comme la phrase « Hum Paanch, hamare pachees » (« Nous sommes cinq et nous avons 25 enfants »), une ‘blague’ répandue parmi les extrémistes hindous sous-entendant que les musulmans cherchent à devenir numériquement majoritaires en Inde.
Modi n’a pas dépensé les fonds de l’État pour offrir des bourses d’études à de jeunes musulmans pauvres. Pas un seul des musulmans de l’Etat ne s’est présenté comme candidat de son parti pour les législatives, bien qu’ils représentent entre 10 à 15 % de la population.
Actuellement au Gujarat, les musulmans ne peuvent ni acheter ni louer quoi que ce soit dans les zones majoritairement hindoues. Récemment, les ex-alliés de Modi, hindous extrémistes, ont appelé à l’expulsion des musulmans de ces régions. Les membres influents du parti ont également menacé de « renvoyer au Pakistan » tous eux qui critiqueraient Narendra Modi.
Afin de stimuler le vote hindou pour Modi, le bras droit de celui-ci, Amit Shah, a conseillé à ses militants d’user de leur vote comme d’« une vengeance » à l’encontre des musulmans et des partis qu’ils soutiennent, décrivant les zones de populations musulmanes comme des « repaires de terroristes ».
En outre, Amit Shah a donné des sièges au Parlement à ceux-là mêmes qui ont été accusés d’avoir participé aux violences inter communautaires qui ont éclaté en Uttar Pradesh peu avant les élections. Modi n’a jamais contré les membres de son parti qui agissaient ouvertement contre les minorités. Bien au contraire, dans ses propres discours, il associe l’hindouisme avec le nationalisme, et l’islam avec le terrorisme et l’immigration clandestine. Le dernier message implicite adressé à ses partisans a été de refuser publiquement la calotte musulmane alors qu’il a toujours porté le couvre-chef de chaque communauté dans le pays.
Pourquoi s’inquiéter des droits de la femme puisque Modi aurait reçu un fort soutien des femmes de son Etat ? Eh bien, ce qu’il dit sur ce sujet est plutôt déconcertant. En 2012, Modi a en effet déclaré au Wall Street Journal que le taux élevé de malnutrition chez les filles du Gujarat était dû au fait qu’elles étaient « trop préoccupées par leur ligne ».
Il s’est indigné, lors de sa campagne, des violences commises à l’encontre des femmes à Delhi. Mais alors qu’il était à la tête du Gujarat, ont été enregistrées et ont librement circulé des vidéos des viols collectifs lors des émeutes de 1992 et de 2002. Maya Kodnani, aujourd’hui en prison pour avoir « supervisé » l’éviscération de 96 personnes, y compris des femmes enceintes, était son ministre de la Femme, de l’Enfant et du Développement humain : quelle cruelle ironie !
Quant à son très proche associé, Babu Bajrangi, de l’organisation hindouiste extrémiste Bajrang Dal, il prescrit l’impunité des coupables dans les cas de kidnapping de jeunes hindoues qui ont des relations amoureuses avec des hommes musulmans afin de les forcer à rompre.
Ces deux personnages ont fini en prison malgré les efforts de Modi pour les protéger. Son adhésion totale au système patriarcal apparaît également dans le fait qu’il a abandonné sa femme sans aucun secours ni soutien quelconque, et utilisé les services de renseignements de l’Etat pour faire surveiller une jeune fille à la demande de son père.
Le nombre de sièges qu’obtiendra le BJP, ainsi que la capacité de Modi à gérer les militants d’extrême-droite qui l’ont porté au pouvoir, joueront un rôle-clé dans la façon dont ce programme politique sera poursuivi.
Sans compter la vigilance et l’opposition de ceux qui se retrouvent avec leurs droits, leurs vies et leurs moyens d’existence menacés.(eda/msb)
(1)The Conversation se présente comme un média indépendant, spécialisé dans le décryptage de l’actualité. Depuis la Grande-Bretagne, sa rédaction, destinée au grand public, est assurée par des journalistes et des chercheurs de différents pays.