Le gouvernement tibétain en exil lance à Delhi une campagne destinée à sensibiliser la communauté internationale à la « tragédie qui se joue au Tibet», alors que plus d’une centaine d’immolations par le feu ont eu lieu depuis 2009 en protestation à l’oppression chinoise.
Parmi ces soutiens qu’espère recueillir le gouvernement en exil, celui de l’Inde, qui depuis plus de 50 ans accueille ses ressortissants sur son territoire, est sans aucun doute le plus attendu. Depuis le début de ce mois, des parlementaires tibétains ont été envoyés dans les capitales de chaque Etat de l’Union afin d’obtenir l’appui des principaux dirigeants.
Déjà à Delhi, plusieurs hommes politiques et députés indiens appartenant à différents courants politiques sont venus assurer publiquement les représentants tibétains de leur soutien. Lobsang Sangay a exprimé pour sa part la reconnaissance de son peuple à « la terre sainte de l’Inde » et a souhaité que le Tibet puisse devenir un jour la « success story » de l’Union indienne.
Récemment, Pékin a tenté, en vain, d’obtenir de Delhi son soutien dans sa politique au Tibet ainsi que la condamnation du gouvernement de Dharamsala. Lobsang Sangay a donc bon espoir que l’Inde accepte d’être son alliée dans cette grande campagne de sensibilisation internationale qu’il lance aujourd’hui. Des représentants du Comité des droits de l’homme des Nations Unies, ainsi que des diplomates de vingt pays sont également venus à Delhi apporter le soutien officiel de leur gouvernement à la campagne pour le Tibet.
De son côté, Pékin se prépare, comme tous les ans, à la période à haut risque que représente la commémoration en mars de l’anniversaire de l’insurrection manquée de Lhassa en coupant d’ores et déjà le Tibet du reste du monde et en y déployant des effectifs policiers et militaires supplémentaires.
Depuis le début des immolations, la réponse de la Chine est invariable : chaque série de suicides déclenche de la part des autorités une répression accrue, laquelle provoque une nouvelle vague d’immolations par le feu, qui engendre à nouveau une répression encore plus dévère.
Avec la nomination le 1er février dernier d’un nouveau gouverneur à la tête de la Région autonome du Tibet, Pékin semble vouloir persévérer dans sa politique d’escalade répressive. Lobsang Gyaltsen, 55 ans, un Tibétain qui a gravi tous les échelons du Parti, est un partisan de « la ligne dure ». Connu et redouté dans la Région autonome du Tibet pour avoir été maire de Lhassa entre 1996 et 2003, secrétaire adjoint du Comité municipal du Parti et responsable à différents niveaux de l’administration de la région, il a exprimé clairement sa vision de la politique au Tibet lors de sa nomination officielle. « Tout le développement et le progrès du Tibet depuis sa libération pacifique est le résultat de l’adhésion à la direction du Parti communiste chinois, au système socialiste, au système d’autonomie ethnique régionale et à la voie du développement avec des caractéristiques chinoises et des particularités tibétaines », a-t-il déclaré dans son discours de prise de fonctions.
Pour les membres du gouvernement en exil de Dharamsala, cette nomination semble augurer d’une nouvelle période sombre pour le Tibet qui subit déjà les effets d’un renforcement de la répression.
Le 31 janvier dernier, un tribunal de Ngaba a condamné à mort avec sursis (3) un moine tibétain et son neveu, pour « homicide volontaire de huit personnes par incitation au suicide par le feu » et pour avoir communiqué des informations à l’étranger sur la situation au Tibet. Selon le gouvernement tibétain en exil, six personnes auraient été en réalité jugées le même jour, écopant de peines allant de 3 à 12 ans de prison, certaines pour avoir tenté de secourir une victime d’auto-immolation (4) et d’autres pour avoir « déclenché des troubles ». Une quinzaine de personnes ont également été arrêtées en décembre dernier dans le Gansu pour avoir « révélé aux médias étrangers » les immolations qui avaient eu lieu en octobre et en novembre 2012.
(1) Le dernier décès par auto-immolation (connu) est celui de Kunchok Kyab, un paysan et père de famille de 26 ans, le 22 janvier dernier. (2) Le dalai Lama et le gouvernement tibétain en exil ont réitéré à plusieurs reprises qu’ils « n’encourageaient pas ces pratiques extrêmes » et demandé aux Tibétains de « ne pas sacrifier leurs précieuses vies ». (3) Le 31 janvier, le Tribunal de Ngaba (dans le Sichuan) a condamné à mort (avec un sursis de deux ans où la peine pourra être commuée en prison à vie) et privé de ses droits politiques, Lobsang Kunchok, 40 ans, moine du monastère de Kirti à Ngaba, et condamné à 10 ans de prison et privé de ses droits politiques pendant trois ans, son neveu, Lobsang Tsering, 31 ans. La principale accusation portée contre le moine est d’avoir transmis les nouvelles des immolations au gouvernement tibétain en exil et à des médias étrangers. Les charges de l’accusation étaient « homicide volontaire » et « incitation et contrainte à l’auto-immolation à l’encontre de huit personnes, ayant entraîné trois décès » (sur ces huit personnes, seules les trois décédées ont effectué une tentative, les cinq autres étant des « témoins » présentés par la police). Lobsang Kunchok et Lobsang Tsering ont été arrêtés en août 2012, mais leur détention et les charges portées contre eux n’ont été annoncées qu’en décembre 2012 par le gouvernement chinois. (4) Il s’agit de Dorjee Rinchen, 57 ans, qui s’est immolé par le feu dans la région de Sangchu le 23 octobre 2012.