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Valérian Mazataud, envoyé spécial AED/Canada
Adapté par Robert Lalonde, AED/Canada

La Jordanie avait déjà accueilli le 19 octobre, plus de 100 000 réfugiés syriens selon le Haut commissariat aux réfugiés (HCR) de l’ONU, 200 000 selon le gouvernement jordanien. Chaque famille a son histoire à raconter, des histoires d’horreurs et d’atrocités infligées par l’armée du régime : maison détruite, fils torturé, frères et amis tués en faisant leurs courses… Alors, les rares réfugiés partisans de Bashar Al Assad se cachent, par peur des représailles.

Combat

Dans la cour, le soleil de midi inonde les murs de chaux blanche de lumière. À l’intérieur on sert le thé dans des petits verres et le café dans des demi- tasses « made in china ». Les membres de la famille sont en train de se choisir un nom et des prénoms imaginaires. L’exercice est à la fois humoristique et dramatique.

Si la plupart des réfugiés syriens choisissent l’anonymat pour se protéger des services de sécurité de leur pays, la famille Khoury, puisque c’est le nom qu’ils ont choisi, a bien plus peur de ses voisins, des réfugiés musulmans sunnites. La religion a peu à y voir, il s’agit ici d’affiliation politique.

« Il faut que tout le monde sache que tous les chrétiens de Syrie sont avec Bachar », clame la mère, Suad. « On en parle jamais. Il ne faut pas que ça se sache », tempère Sawsan, une des trois filles de la famille.

« Pour l’instant, personne ne se sent victime de persécution religieuse, mais le conflit pourrait certainement devenir sectaire s’il se prolonge », estime Zerene Haddad, chargée de communication pour l’Organisation non gouvernementale (ONG) Jesuit refugee service (JRS), à Amman.

« Ma religion n’a jamais fait de différence. En Syrie, on en parle jamais », insiste pour sa part Samer, un imposant barbu réfugié à Amman depuis quelques mois. « C’est le régime qui essaye de monter les religions les unes contre les autres », affirme cet activiste politique chrétien qui a fui le pays sous les tirs de l’armée syrienne. « Pour moi, le seul conflit qui existe, c’est celui de l’Armée syrienne libre (ASL) contre le régime de Bachar. »

Le jeune homme raconte comment il a été arrêté et battu par l’armée régulière en compagnie d’autres chrétiens avec qui il organisait des manifestations contre le régime. «Des gens de toutes les religions se battent contre le régime, même des alaouites.»

Samer rappelle qu’une des icônes de la révolution syrienne est le jeune réalisateur de film chrétien Bassel Shehadeh, tué à Homs en mai dernier. Bien que les autorités ait voulut empêcher ses funérailles, des dizaines de sympathisants de toutes religions se sont tout de même réunis à l’extérieur de l’église de son quartier.

Vengeance

Salaam, une chrétienne malékite de Damas appartient elle aussi aux indéfectibles de Bashar Al Assad. « Il a toujours été bon avec nous, il nous a toujours protégé », défend-elle. « Pour autant, assure-t-elle, jamais les chrétiens ne se battront. Nous ne voulons pas tenir un fusil. » Il y a un an, elle a fui le pays pour la Turquie afin d’éviter que son fils ne soit recruté par l’armée régulière. « Nous étions les seuls chrétiens de notre quartier. Mon fils ne voulait pas avoir à tuer ses voisins. » Salaam ne craint pas une guerre de religions, mais bien plus une guerre de vengeance, où l’on s’en prend à la famille d’un combattant, pour venger la mort des siens.

Installée dans le salon de Diana Khouly, fondatrice d’une association de soutien aux femmes à Amman, elle s’allume une autre cigarette et poursuit. « Je n’ai pas besoin d’une organisation pour me soutenir ici, Dieu me fait rencontrer les bonnes personnes. » Depuis deux mois, c’est une femme musulmane qui l’a invité à partager sa maison. Avec trois enfants réfugiés en Suède, elle espère bientôt obtenir elle aussi son visa pour la Scandinavie.

Liberté

Chez les Khoury, on attend. « On vit au jour le jour. On se sent complètement perdu et chaque heure qui passe est comme un fardeau sur nos épaules. » Ce qui devait être une semaine de vacances chez leurs filles, mariées à des jordaniens, s’est transformé en un séjour à durée illimitée. « On a reçu un coup de téléphone de nos voisins nous disant de ne pas revenir, que notre maison avait été saccagée. On entendait les bombes à l’autre bout du fil. »

Pour meubler leur appartement, voisins et paroissiens ont mis la main à la pâte. « On n’est pas beaucoup de chrétiens ici, alors il faut bien s’entraider », confie Sammy Hifazin, un des travailleurs sociaux de l’ONG Caritas.

Même si les chrétiens représentent près de 10% de la population syrienne, il est difficile de savoir combien se sont réfugiés dans les pays voisins. Les familles chrétiennes inscrites auprès des ONG ou du HCR en Jordanie se comptent sur les doigts d’une main. « Certains d’entre eux sont partis en Europe, et d’autres subviennent bien à leurs besoins et n’ont pas envie de se faire remarquer », estime Jameel Dababneh, directeur des programmes d’urgence de Caritas Jordanie. « De toutes façons, nos portes sont ouvertes à toutes les religions. »

Lui même issu d’une famille de réfugiés palestiniens, le père Elie Kurzum, prêtre de l’église catholique de Zarqa, en banlieue d’Amman, abonde dans le même sens. « C’est une situation difficile, et on doit d’abord regarder l’homme. C’est l’homme qui souffre, qu’il soit chrétien ou musulman. »

Pour le reste, on évite d’en parler. « Ici il y a deux règles : On ne parle pas de religion et on ne parle pas de politique », résume Hassan Abu, coordonateur des programmes éducatifs du JRS : une règle d’or pour les filles de la famille Khoury, bénévoles auprès de réfugiés syriens sunnites durant leur temps libre. « De toutes manières, la discussion est bloquée. Oui, les opposants réclament la liberté, mais ils ne sont pas capables de dire de quelle liberté », soupire Sawsan.

« Quelle liberté ? », s’étonne Samer. « La liberté de faire des élections, de parler de tout, même de politique, de suivre des vrais lois, et pas la volonté de Bashar. La liberté de vivre dans un pays civil, où l’armée ne peut pas saccager votre maison. Pour moi, c’est clair ce qu’est la liberté.»

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