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Le filtre humain de la parole prophétique

J’ai promis de poursuivre mon effort de discernement autour du phénomène relativement nouveau de la visibilité grandissante de l’islam chez nous et dans le monde occidental. Dans mon article précédent, je me suis efforcé de préciser certains critères rationnels et spirituels pour discerner la vérité sur la foi musulmane. J’en rappelle ici quelques-uns.

Un garçon irakien baise le Coran avec piété, le livre sacré de l’islam, dans une mosquée de Bagdad (photo CNS/Reuters).

D’abord le principe u­n­iversel que procure la connaissance de l’a­mour de Dieu pour tous les humains sans exception, et particulièrement les plus fragiles de nos sociétés. Cet amour divin nous amène à assumer pleinement notre humanité, avant toute autre spécificité, et fonde la fraternité qui englobe virtuellement toutes les personnes, sans considération de sexe, de race, de culture et de religion. Car tous les êtres humains sans exception, du plus primitif au plus civilisé, de l’embryon au vieillard, sont dotés d’une âme crée par Dieu en vue de la vie éternelle.

La vocation de l’humanité sur la planète Terre découle de ce constat. Elle ne consiste pas seulement à harnacher les for­ces matérielles du monde extérieur pour en faire un milieu favorable à la croissance de tous les membres actuels et à venir de notre espèce. Elle implique aussi le développement d’une vie intérieure visant à ouvrir et amplifier la conscience pour qu’elle se syntonise aux vibrations de l’âme immortelle.

Ce volet spirituel de la vie humaine est la clef du destin de l’humanité en général et de chaque humain en particulier. Car l’homme intérieur trouve en lui-même la source d’inspiration pour créer les œuvres les plus sublimes qu’ait pu produire et que produira encore l’humanité. De plus, au milieu d’un monde extérieur fait de matière et de chair, la dimension intérieure demeure l’espace intime par excellence réservé à la Présence de Dieu, le Créateur qui a fait de chaque humain un être conscient d’être, capable à son tour d’aimer et d’éprouver de la reconnaissance pour le don gratuit de la vie.

L’être humain, donc, est inévitablement lancé dans une quête spirituelle difficile durant laquelle il est appelé à changer, à se remettre en question, à se transformer pour avancer toujours davantage vers l’objectif ultime de l’union à Dieu. Bien que fragile et faillible, il demeure individuellement responsable de lui-même et est appelé à marcher —en titubant parfois—, à évoluer —en dépit des pièges et des chutes sur son parcours— pour que sa vie se résolve dans le bonheur sans déclin auquel il est convié.

La raison d’être des religions

Pour y parvenir, il peut compter sur l’aide de la religion dont le but et la justification est précisément de faciliter la démarche spirituelle. On peut toutefois reconnaître que les institutions religieuses parviennent inégalement à jouer ce rôle d’accessoire utile du développement spirituel authentique des personnes.

Comme les individus, les religions ne sont pas stationnaires. Elles bougent, elles évoluent. Conséquemment, elles peuvent aussi dévier de leur raison d’être et même régresser avant de disparaître. En fait, les systèmes religieux sont comme divers chemins pour escalader une haute montagne. Ces sentiers sont plus ou moins ardus mais au sommet, s’ils y parviennent, plus rien ne les distingue les uns des autres puisque le terme de l’escalade est acquis.

Certaines voies sont si difficiles que rares sont ceux qui peuvent y circuler, de sorte que la grande masse des adeptes devront se contenter de contempler dans le lointain le pic escarpé. D’autres pistes s’égarent et tournent en rond ou se heurte à des murailles infranchissables. Et c’est pourquoi, c’est un devoir pour chacun de faire l’évaluation des voies de croissance spirituelle que les diverses religions proposent afin d’opter pour celle qui offre le plus de possibilités de réussite.

Refus des préjugés

Et voilà où nous en sommes. Les principes que nous avons établis ici nous amènent à une première et cruciale distinction entre le cheminement personnel des personnes et les religions officielles qu’elles pratiquent. Ce sont-là deux réalités qui ne sont pas uniquement distinctes mais peuvent même entrer en conflit.

Le Coran était exposé devant une image d’Oussama ben Laden, le 28 septembre 2001 à Djakarta, Indonésie, lors d’une mani­festation mettant en garde les États-Unis contre d’éventuelles représailles à la suite des attaques du 11 septembre.

On a vu parfois dans l’histoire des institutions religieuses persécuter et condamner des saints et des prophètes dont elles reconnaîtront éventuellement la valeur et qu’elles proposeront comme modèles de spiritualité quel­ques siècles plus tard. C’est le sens de l’invective de Jésus: «Malheur à vous, scribes et Pharisiens hypocrites, qui bâtissez les sépulcres des prophètes et décorez les tombeaux des justes, tout en disant: “Si nous avions vécu du temps de nos pères, nous ne nous serions pas joints à eux pour verser le sang des prophètes”» (Mt 23.29-30). On a vu aussi des réformateurs critiquer leurs institutions religieuses pour en proposer de nouvelles plus adaptées aux exigences de leur temps.

Le discernement que je propose ici, ne vise pas et ne prétend pas juger du cheminement spirituel de nos frères musulmans, pris individuellement. Je suis absolument convaincu qu’il y a une foule de musulmans très bons, qui sont très pieux, qui adorent Dieu et pratiquent leur religion avec un cœur sincère et droit.

Ces musulmans me touchent et m’édifient. J’admire leur ferveur et leur dévotion envers Dieu. Je me considère sur la même longueur d’ondes que ces frères, pour la plupart très discrets et qui n’ont pas l’habitude de crier très fort par-dessus le tintamarre des voix discordantes de ce monde.

L’Évangile auquel j’adhère m’incite à ne pas juger les personnes. Dieu seul est juge. Il n’y a pas dans l’esprit humain ce qu’il faudrait pour présumer de l’état de l’âme des gens ni de leur destination finale.

Jésus sur la croix a promis le Paradis à un criminel. C’était un voleur et un meurtrier. Mais au dernier moment, saint Dismas a montré de l’amour. Après avoir reconnu sa propre culpabilité, il a éprouvé de la compassion pour Jésus, condamné en même temps que lui à une mort horrible par ses coreligionnaires, non pas parce qu’il avait fait le mal mais parce qu’il n’avait fait que le bien en guérissant les malades et en proclamant la venue du Règne de Dieu aux pauvres.

Ce que je me propose d’évaluer, donc, ce ne sont pas les musulmans qui pratiquent sincèrement leur religion dans la paix. On les qualifie improprement de «modérés», comme si leur position à distance de l’extrémisme signifiait nécessairement une dilution de leur implication religieuse.

Et même, je ne jugerai pas les islamistes radicaux passés, actuels ou à venir. Ni ceux qui se suicident, croyant ainsi devenir des martyrs, en entraînant dans la mort des milliers de personnes. Et cela, même si je demeure horrifié du fait que les victimes de tels carnages soient des hommes, des femmes et des enfants bien concrets, bien réels, en chair et en os, que nous devons présumer innocentes vu que nous n’avons pas la compétence requise pour les juger et encore moins les condamner à mort sans procès.

Je ne remettrai pas non plus en question les cinq principales pratiques religieuses musulmanes, qualifiées de piliers de l’islam. L’acte de foi en Dieu, la prière, le jeûne, le partage, la démarche du pèlerinage sont des observances religieuses positives. Elles ne sont pas toutefois exclusives à l’islam. On peut les retrouver, bien que sous diverses formes, dans la plupart des autres religions, surtout les monothéistes.

Les écrits et non les personnes

Ce que j’examinerai avec un regard critique en vue de discerner la vérité, ce sont les écrits qui fondent l’islam. Je sais bien qu’il s’agit d’un dogme intouchable et qu’il est interdit aux musulmans, sous menace de sanctions pouvant aller jusqu’à la peine de mort, de mettre en doute le Coran comme Parole de Dieu immuable, définitive et finale pour tous les temps et toute l’humanité.

Mais je ne suis pas musulman. Je m’autorise donc, en tant qu’être humain doté de raison, à démontrer, tout en ne préjugeant pas de la possibilité de l’inspiration divine, que le Coran a aussi son côté humain, et donc faillible comme tout ce que l’homme produit.

En fait, c’est ma profonde conviction qu’il n’existe aucun message prophétique depuis que le monde est monde qui n’ait subi l’influence humaine et ne soit marqué par l’empreinte du contexte temporel et social dont il est issu. La raison en est que la Parole de Dieu ne peut pas nous être communiquée, à nous les humains, sans intermédiaire ou porte-parole. Car en lui-même, le langage de Dieu, qui est infiniment transcendant, est inaccessible à l’homme. C’est une parole infinie que les mots humains ne peuvent contenir.

C’est pourquoi, lorsque Dieu se choisit un prophète pour parler à l’humanité en Son nom, Il doit agir sur la structure spirituelle, culturelle, intellectuelle, émotionnelle de la personne pour faire passer Son message. Comme le pianiste qui actionne les touches de son instrument pour exécuter sa pièce musicale, Dieu agit sur les touches de l’intériorité humaine pour révéler Son Verbe aux hommes.

Or, le virtuose est tributaire de la qualité de l’instrument qu’il utilise. Un instrument médiocre ne sera pas suffisamment souple et docile pour projeter les nuances et les sonorités d’une exécution magistrale. La clef d’une exécution parfaite, c’est le degré de perfection de l’instrument. Il ressort donc de cette comparaison que l’humain passe aussi, nécessairement, avec toute Parole de Dieu.

Les prophètes de la Bible ne font pas exception. Ils sont humains, et donc imparfaits. Et les mots qu’ils ont entendus Dieu dire dans leur cœur étaient les leurs, et non ceux de Dieu, même si leur sens profond visait à communiquer la pensée de l’Esprit divin pour celui qui a «des oreilles pour entendre». En même temps que la Parole divine, ils véhiculaient aussi les conceptions de leur culture.

Souvent, ils ont prophétisé sans être vraiment conscients de la portée de leur parole. Ce n’est qu’à plusieurs siècles de distance que leurs discours se sont parfois réalisés d’une manière déroutante qu’ils n’auraient pu prévoir.

Par exemple, en annonçant que «la vierge est enceinte et elle va enfanter un fils et elle lui donnera le nom d’Emmanuel» (Is 7.14), Isaïe n’était pas conscient de prédire la naissance de Jésus. Il s’adressait au roi Achaz. Il lui assurait que son épouse deviendrait enceinte et lui donnerait un fils qui apporterait un changement majeur d’orientation dans leur société.

Et effectivement, la prophétie s’est réalisée dans un premier temps avec Ézéchias, son successeur. Il a été un véritable «Emmanuel» (Dieu parmi nous) pour le peuple juif, tombé dans l’idolâtrie, en restaurant le culte à Yahvé dans le temple de Jérusalem.

Mais dans les siècles qui ont suivi, le peuple juif, mis à l’épreuve de diverses manières, en est venu à interpréter la prophétie d’Isaïe comme annonçant un sauveur qui assurerait une libération plus que pour le temps du règne d’un roi. Une libération définitive! Et ils imaginaient le messie comme un roi riche, somptueux, militairement puissant qui les délivrerait pour toujours de l’oppression des puissances étrangères. Aussi, ils n’ont pas reconnu dans le petit enfant né dans le dénuement d’un abri destiné aux animaux celui qu’ils attendaient depuis des siècles.

C’est dans la Kaaba de La Mecque qu’est conservée jusqu’à nos jours une pierre noire réputée être tombée du ciel. Durant la période préislamique, on rendait un culte à cette pierre pour se gagner la faveur des déesses al-Lât, al-Uzzâ et Manât en faisant sept fois le tour du météorite, un rite qu’accomplissent aujourd’hui encore —mais dans un autre esprit, on peut l’espérer— tous les musulmans lors de leur pèlerinage à la Mecque (photo CNS/Reuters).

Donc, pour le dire clairement, la Parole divine en elle-même est parfaite, elle est immuable et éternelle mais elle nous est transmise par une humanité imparfaite et non encore parvenue au sommet de perfection à laquelle Dieu l’appelle. Cette imperfection est une porte ouverte à des erreurs et des inexactitudes qui ne relèvent pas de Dieu mais de l’intermédiaire humain qui la communique.

À propos d’un détournement

Le Coran reconnaît implicitement le besoin de médiateur pour traduire la Parole de Dieu. Car Muhammad affirme l’avoir reçue par l’intermédiaire de l’archange Gabriel. Un archange, ce n’est pas Dieu en direct, n’est-ce pas?

Or, il existe un principe dans l’ordre spirituel, à savoir qu’il ne faut pas accorder sa foi à tout esprit qui se manifeste. Car, avertit la Bible, «Satan peut se déguiser en Ange de lumière» (2 Co 11, 14).

Tabari (839-923), un grand commentateur et historien qui fait autorité dans l’islam, reconnaît d’ailleurs que Muhammad a été trompé à un moment donné, puisqu’il a reçu, dans la sourate de l’Étoile, des versets dits sataniques qui ont été par la suite remplacés. Ces versets recommandaient d’espérer l’intercession des divinités auxquelles les Mecquois rendaient un culte dans le temple de Kaaba. En récitant la sourate de l’Étoile, raconte Tabari, Muhammad a déclaré après avoir mentionné trois déesses: «Ces idoles sont d’illustres divinités, dont l’intercession doit être espérée.» Ce qui fit dire aux païens rassemblés avec lui à la Kaaba1: «Il est arrivé à Muhammad de louer nos idoles et d’en dire du bien.» Puis, poursuit Tabari, «le prophète termina la sourate, ensuite il se prosterna, et les incrédules se prosternèrent à son exemple, à cause des paroles qu’il avait prononcées, par erreur, croyant qu’il avait loué leurs idoles.»

À la suite de cet accroc au monothéisme de la nouvelle religion prêchée par Muhammad, al-Tabari raconte que «le prophète fut très inquiet et s’abstint de manger et de boire pendant trois jours, craignant la colère de Dieu. Ensuite Gabriel lui transmit le versant suivant: “Nous n’avons envoyé, avant toi, aucun apôtre, ni prophète, sans que Satan ait jeté quelque erreur dans sa pensée”» (Tabari (trad. Herman Zotenberg), La Chronique, Histoire des prophètes et des rois, tome 2, Actes-Sud/Sindbad, coll. «Thésaurus», 2001, «Mohammed, le sceau des prophètes», p. 90-91; (source Wikipédia).

Ainsi donc, il y a admission d’erreur. Il demeure donc théoriquement possible que ce qui est arrivé une fois a pu survenir plusieurs fois.

Mais je ne soutiendrai pas que d’autres versets du Coran, tel qu’il est connu aujourd’hui, ont pu être écrits sous une influence diabolique. Ce que je me propose de faire plutôt ressortir dans un prochain article, c’est le côté humain du Coran. Un aspect inévitable qui torpille la prétention dogmatique et indiscutable que le Coran, interprété littéralement, est LA Parole de Dieu infaillible, immuable et finale pour tous les temps et à l’humanité tout en­tiè­re.

Voir la suite, 3e article

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