Élevé dans une famille non-croyante, l’écrivain Éric-Emmanuel Schmitt raconte dans son autobiographie comment, lors d’une nuit passée dans le Sahara, il a été « incendié » par la foi et « pénétré » par une force « tellement plus forte » que lui, qu’il ne pouvait pas en être l’auteur.
Il préfère parler de « révélation » soudaine plutôt que de conversion. Mais le témoignage d’Éric-Emmanuel Schmitt montre une nouvelle fois que les grâces de la conversion soudaine peuvent se présenter dans toutes les situations et tous les états de vie. Adolescent rebelle – se définit-il lui-même – et ne supportant pas les idées reçues, Éric-Emmanuel Schmitt était sujet à la colère qu’il combattait à l’aide de la philosophie, véritable école de l’autonomie et de la liberté.
À 16 ans, il se découvre une passion pour l’écriture et le théâtre. Il s’y adonne avec fougue. Il entre à l’École normale supérieure, passe son agrégation et effectue son service militaire avant de se consacrer pendant trois ans à l’enseignement universitaire.
« Quelque part, mon vrai visage m’attend »
C’est à ce moment là, alors qu’il a 28 ans, qu’il décide de partir marcher dans le désert du grand sud algérien afin de sortir de l’ »univers intellectuel clos » dans lequel il se sent enfermé, prisonnier d’un destin tout tracé et de sa réussite. Il sent le besoin de se mettre en danger. Dans le désert, il « doi(t) (s)e taire et endurer la chaleur, marcher malgré la douleur, avancer jusqu’au prochain point d’eau pour continuer à vivre », explique-t-il. « Même s’il est plat, le désert élève celui qui le traverse… ». Une pensée trotte dans sa tête : « Quelque part, mon vrai visage m’attend ».
Le 4 février 1989, par une nuit glaciale, sans eau ni vivres, perdu dans l’immensité du Hoggar — qui avait fasciné Charles de Foucauld un peu plus de 80 ans plus tôt — le jeune Éric-Emmanuel reçoit un don qu’il ne recherchait pas. « J’ai reçu une grâce et un don extraordinaires. Et j’ai laissé en moi tout l’endroit et l’espace possibles pour ce don », confie-t-il dans un entretien au quotidien italien Avvenire.
Voici aussi comment il décrit sa nuit mystique, sa Nuit de feu :
« Éblouissant. Fulgurant. Je sens tout. D’un coup, j’appréhende la totalité. Les termes fuient. Peu importe ! Une voix de mon esprit me souffle que je formulerai plus tard. Pour l’heure il faut s’abandonner. Et recevoir… J’embrasse… J’embrase… Flamme. Je suis flamme. Lumière croissante. Insoutenable. De même que je ne pense plus en phrases, je ne perçois plus avec les yeux, les oreilles, la peau. Incendié, je m’approche d’une présence. Plus j’avance, moins je doute. Plus j’avance, moins je questionne. Plus j’avance, plus l’évidence s’impose. “Tout a un sens”. Félicité… Je circule au sein d’un lieu sans pourquoi. La flamme que je suis va rencontrer le brasier… Je risque d’y disparaître… Serait-ce la dernière étape ? Feu ! Soleil ardent. Je brûle, je fusionne, je perds mes limites, j’entre dans le foyer. Feu… »
« Et je suis devenu chrétien »
Dans le Hoggar, Éric-Emmanuel Schmitt acquière la certitude de la présence de Dieu. À cette époque, rien ne lui dit encore qu’il s’agit du dieu des chrétiens. Ce n’est qu’en France, des années plus tard, qu’il entreprend la lecture des Évangiles. Il a témoigné de cette seconde expérience dans L’1visible.
« J’ai lu les quatre Évangiles en une nuit, et là, ça a été de nouveau une immense émotion : c’est-à-dire que cette mise en avant de l’amour, cette promotion de l’amour comme valeur principale m’a bouleversé, vraiment. À partir de là, je me suis mis à étudier le christianisme, vraiment à l’étudier, de manière érudite, y compris dans ses contradicteurs. Et au bout de plusieurs années, à la question : “Jésus est-il le Fils de Dieu ?” j’ai répondu “oui”. “Y a-t-il eu résurrection ?”, j’ai répondu “oui”. Et je suis devenu chrétien. »
Depuis, la foi qui habite Éric-Emmanuel Schmitt irrigue sa vie et son œuvre. Et même quand le succès littéraire ou l’agitation médiatique redoublent, cet admirateur du père de Foucauld n’oublie jamais sa nuit du Hoggar.