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…des concepts complémentaires

Les médias n’ont pas manqué de souligner en 2009, avec une emphase certaine, le 200e anniversaire de la naissance de l’un des plus grands génies de la science moderne, Charles Darwin. Les programmes et les articles, toutefois, n’ont pas toujours respecté l’objectivité requise de tout bon reportage. Lors de la présentation de la thèse de l’évolution, on a souvent fait ressortir une soi-disant incompatibilité entre la théorie du naturaliste et la foi en un Créateur.

Charles Darwin (1809-1882), naturaliste britannique. Son oeuvre principale «De l’origine des espèces au moyen de la sélection naturelle» a révolutionné les conceptions culturelles liées aux récits bibliques de la création (photo CNS/Tal Cohen, Reuters).

Ainsi, les actualités télévisées du 12 février 2009 de Radio Canada affirmaient péremptoirement «que l’homme n’a pas été créé par Dieu, il est le fruit de l’évolution» (sic). Après avoir présenté les faits scientifiques de l’évolution biologique, la journaliste Lise Villeneuve soutenait que la thèse de Darwin con­s­tituait «des propos sacrilèges pour l’époque». Et pour bien démontrer l’obscurantisme anti-scientifique de la foi en un Dieu créateur, elle cédait la parole à un “créationniste” américain farouchement opposé aux évidences de l’évolution.

Le créationnisme est une idéologie originaire des États américains du Sud. Il s’agit d’un courant de fondamentalistes chrétiens qui s’opposent à l’enseignement de l’évolution dans les éco­les sous prétexte que la théorie, dont ils contestent le caractère scientifique, contredirait la lettre de la Bible.

Or, la très grande majorité des chrétiens bien informés d’ici ne partagent pas ces points de vue. L’Église catholique, d’ailleurs, s’est prononcée à plusieurs reprises sur le sujet.

Dans son discours devant l’Académie pontificale des sciences, —un organisme fondé par la papauté, il y a plus de quatre siècles—, Jean-Paul II rappelait que Pie XII a légitimé la recherche sur l’évolution dans l’encyclique “Humani Generis”. Et il ajoutait: «Aujourd’hui (…), de nouvelles connaissances conduisent à reconnaître dans la théorie de l’évolution plus qu’une hypothèse. Il est en effet remarquable que cette théorie se soit progressivement imposée à l’esprit des chercheurs, à la suite d’une série de découvertes faites dans diverses disciplines du savoir. La convergence, nullement cherchée ou provoquée, des résultats de travaux menés indépendamment les uns des autres constitue par elle-même un argument significatif en faveur de cette théorie» (22 octobre 1996).

Tout récemment, Benoît XVI a rappelé qu’il n’y a «pas d’opposition entre la foi en la création et les évidences des sciences empiriques». C’était à l’occasion d’un colloque organisé par le Vatican, du 31 octobre au 4 novembre derniers, sur «l’évolution de l’univers et de la vie», auquel ont participé 80 scientifiques, philosophes et théologiens reconnus mondialement.

En juillet 2007, lors d’une rencontre avec le clergé italien, le pape actuel reconnaissait, pourtant, qu’aux États-Unis particulièrement, «un débat farouche sévissait entre le soi-disant “créationisme” et “l’évolutionisme”, présentés comme des alternatives qui s’excluent mutuellement. Ceux qui croient en un Créateur ne pourraient pas concevoir l’évolution, et ceux qui soutiennent plutôt l’évolution devraient exclure Dieu.

«Cette antithèse est absurde, s’est-il exclamé! D’une part, il y a une telle quantité de preuves scientifiques en faveur de l’évolution, qu’elle apparaît être une réalité que nous pouvons voir et qui enrichit notre connaissance de la vie et de l’être comme tel. Mais d’autre part, la doctrine de l’évolution ne répond pas à tous les questionnements, et particulièrement les grandes questions philosophiques: D’où vient tout ce qui existe? Et comment tout ce qui a commencé a abouti ultimement à l’homme?»

L’année 2009 a été consacrée “Année internationale de l’Astronomie” pour souligner le 400e anniversaire de la fabrication par Galilée du premier téléscope (notre photo). Cet instrument a obligé l’Église à revoir sa compréhension de la nature et du cosmos. Jean-Paul II a réhabilité la mémoire du savant en 1992, lorsqu’il a déclaré que le Saint-Office avait erré en lui intentant un procès pour hérésie et en le condamnant à résidence pour avoir soutenu que la terre tournait autour du soleil et non l’inverse (photo CNS/courtoisie de l’Institut et Musée d’Histoire de la Science de Florence, Italie).

Plutôt que d’aller chercher dans le Sud américain l’entrevue d’un obscur créationniste toqué comme un âne, la journaliste de Radio Canada aurait donc pu obtenir, ici même et sans frais de déplacement, une information plus objective sur la position réelle de l’Église. Et d’autant plus qu’un fait d’actualité l’aurait commandé.

Car pour marquer l’anniversaire de la naissance de Darwin et le 150e anniversaire de son œuvre maîtresse, l’Académie pontificale des sciences a réuni des savants du monde entier au Vatican, du 3 au 7 mars, autour du thème de «L’évolution biologique: les faits et les théories».

Voilà un événement qu’il aurait été opportun de souligner dans le contexte de ce reportage. Mais la simple mention de cette actualité n’aurait-elle pas torpillé la thèse de la journaliste voulant faire croire à un conflit insoluble entre l’évolution et la foi en Dieu? Comment alors ne pas soupçonner, dans ces reportages biaisés qui les renvoient dos à dos, une propagande anti religieuse visant à discréditer l’Église et les croyants?

Deux compétences

Ici, l’ignorance n’est pas une excuse. Car c’est un truisme de distinguer les domaines respectifs de la science et de la religion, des démarches dans la quête de la vérité qui ne répondent pas au même questionnement. La science vise à expliquer le comment de la réalité de l’univers, la religion, à dire le pourquoi.

Que les sciences puissent expliquer comment les organismes vivants ont évolué et évoluent encore n’infirme en rien la possibilité que Dieu a pu créer un univers dont la genèse est évolutive —un point de vue qui contribue même à un éclairage théologique inédit et constitue un progrès inestimable dans l’exploration de «la vérité tout entière» (Jn 16, 13).

Cette distinction est capitale pour une juste lecture des récits de la création de la Genèse. Dans le cadre du même discours à l’Académie cité plus haut, Jean-Paul II a fortement souligné «la nécessité, pour l’interprétation correcte de la Parole inspirée, d’une herméneutique rigoureuse. Il convient de bien délimiter le sens propre de l’Écriture, en écartant des interprétations indues qui lui font dire ce qu’il n’est pas dans son intention de dire. Pour bien marquer le champ de leur objet propre, l’exégète et le théologien doivent se tenir informés des résultats auxquels conduisent les sciences de la nature».

Il est donc clair que l’Église rejette l’interprétation littérale de l’Écriture Sainte sur laquelle s’appuient les opposants à l’évolution. La pensée officielle de l’Église reconnaît que les auteurs de la Genèse n’avaient pas l’intention d’expliquer scientifiquement la nature mais visait à donner une réponse à la question théologique du sens de la vie et à rendre compte de l’existence de l’humanité dans un univers que Dieu a créé et a déclaré bon dès l’origine.

L’Église catholique, qui évolue elle aussi, a appris, depuis Galilée, à préciser son champ de compétence. «Contentez-vous de nous dire comment on va au Ciel, et laissez-nous le soin de dire comment va le ciel», a averti l’astronome aux inquisiteurs d’un passé bel et bien révolu.

Celui qu’on a appelé le Père de la science moderne était lui-même un grand croyant. Il soutenait encore que Dieu avait écrit deux livres qui ne pouvaient pas se contredire: la Bible et la nature. Il revient à l’Église d’interpréter ce que Dieu dit dans la Bible en regard du salut des âmes et aux scientifiques de découvrir ce que Dieu a mis en réserve dans le monde objectif pour le bien-être matériel de l’humanité. Si chacun respecte le domaine de l’autre, «la chèvre de monsieur Séguin sera bien gardée».

*Article publié dans Le NIC, 22 mars 2009

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