…des énoncés à revoir et corriger
En ce jour du 3 septembre, Benoît XVI en est à sa dernière journée d’un séminaire de trois jours avec quelques-uns de ses anciens étudiants au temps où il était professeur de théologie à l’Université de Ratisbone. Rien n’a encore filtré de la rencontre qui s’est déroulée à huis clos à Castelgandolfo, la résidence d’été du Saint-Père. Tout ce que je peux en dire, c’est qu’elle est de proportion majeure. Non pas tant par le nombre de participants que par le sujet abordé. Quelques têtes chercheuses parmi les plus savantes du monde —philosophes, théologiens, scientifiques— y ont discuté avec le pape sous le thème: «Évolution et création».
Pour la pensée religieuse et philosophique, c’est la question de l’heure! On ne peut pas la balayer sous le tapis en se faisant accroire que le problème est sans conséquence. Le sujet est crucial. Rien de moins que le devenir du christianisme du troisième millénaire est ici en jeu. J’exagère? Absolument pas!
Les chrétiens d’aujourd’hui devraient s’y frotter. Ceux du moins qui savent que la pensée juste produit la justice. Que la droiture engendre la civilisation. Que celle de l’amour est issue du Christ. Que le Christ ressuscité est la Fine pointe de l’évolution. Le point Oméga, dirait Teilhard de Chardin.
J’ai beaucoup écrit là-dessus. Particulièrement dans L’évolution triomphante (deux tomes présentement disponibles en fichier pdf sous l’onglet boutique). C’est ma mission. Je suis convaincu d’être né pour ça. Car ce que j’ai à en dire, je ne l’ai pas trouvé dans les livres ni aucun autre lieux du savoir. Je l’ai découvert dans ma relation, consciente et inconsciente, avec Dieu.
Si bien que j’ai longtemps cru être le seul à porter la charge de la vérité à venir. Mais plus j’apprends à connaître Benoît XVI (je n’ai lu aucun livre du théologien Joseph Ratzinger), plus je constate que lui aussi est obsédé par ce problème. Dès sa messe d’inauguration, il abordait le sujet en affirmant: «Nous ne sommes pas le produit accidentel, sans aucun sens, de l’évolution. Chacun de nous est le fruit d’une pensée de Dieu. Chacun de nous est son ami, chacun est aimé, chacun est nécessaire».
Ce disant, il ne réagissait pas contre la théorie de l’évolution en elle-même mais contre une certaine interprétation matérialiste qui voudrait qu’elle soit le simple produit du hasard. Et lors de la veillée pascale, le 15 avril dernier, il précisait l’Objet conclusif de l’évolution et comment ce processus de la réalité s’intègre à la vision chrétienne, lui conférant ainsi une nouvelle et éblouissante lumière.
La résurrection du Christ, a-t-il dit, –«si nous pouvons pour une fois utiliser le langage de la théorie de l’évolution»– constitue «la plus grande “mutation”, le saut absolument le plus décisif dans une dimension totalement nouvelle qui soit jamais advenue dans la longue histoire de la vie et de ses développements: un saut d’un ordre complètement nouveau, qui nous concerne et qui concerne toute l’histoire».
Et plus loin dans son homélie, il précise audacieusement qu’«il s’agit d’un saut qualitatif dans l’histoire de l’évolution et de la vie en général, vers une vie future nouvelle, vers un monde nouveau qui, en partant du Christ, pénètre déjà continuellement dans notre monde, le transforme et l’attire à lui».
Puis-je me montrer drôle en affirmant que le Saint-Père a tout compris? Puis-je à tout le moins me réjouir de ressentir une profonde communion de pensée avec lui?
Trahison ou réinterprétation?
Bien loin de trahir la Révélation, donc, la théorie de l’évolution lui insuffle un dynamisme nouveau. Elle peut propulser l’Église, avec une efficacité évangélisatrice sans précédent, dans le monde d’aujourd’hui.
Il ne faudrait pas croire, toutefois, que cette intégration soit un chemin de facilité. Elle ne peut se faire sans surmonter certaines difficultés aux antipodes. Celles reliées aux énoncés de la foi de l’Église et celles découlant de la transmission des connaissances scientifiques.
Tout de suite, je tiens à souligner fortement que les problèmes doctrinaux que l’évolution soulève ne remettent pas en cause les dogmes chrétiens en eux-mêmes mais plutôt les interprétations culturelles moyenâgeuses —et donc toute humaines— que nous pouvons en avoir. Une réinterprétation de certaines doctrines s’impose non en perdant de vue la Révélation mais pour permettre au contraire d’en approfondir le sens et d’avancer d’un cran de plus vers «la vérité tout entière» (Jn 16, 13).
Par exemple, les chrétiens ont tout intérêt à renoncer à la représentation anthropomorphique du dogme de la création, largement basée sur le littéralisme biblique et des conceptions philosophiques dépassées. Dans ce contexte d’un autre âge, on imagine un Créateur au commencement d’un univers statique qui fait surgir de rien les réalités pour laisser aller ensuite sa création à se reproduire d’elle-même. L’acte de création, dans cette optique, aurait été accompli une fois pour toutes, il y quelque 13,7 milliards d’années, si l’on tient compte des données scientifiques actuelles.
Le nouveau contexte culturel que procure l’évolution peut faire prendre conscience qu’un Dieu éternel ne crée pas directement dans l’espace et le temps. Son acte créateur est unique et est accompli dans un éternel présent qui englobe tous les temps. Dieu n’a pas créé l’univers dans notre passé temporel. Il est présentement dans l’acte de créer, de nous créer «à son image et à sa ressemblance», car nous sommes Son univers actuel.
Nous sommes une séquence ponctuelle de sa volonté créatrice qui —en dernière instance, lors de notre “fin du monde” à nous, humains, mais toujours au présent de Dieu— manifeste l’engendrement de son Fils unique auquel nous sommes intégrés pour ne former avec Lui qu’un seul Corps, le Corps de Dieu. Voilà de quoi faire éclater de lumière les méninges de nos contemporains et leur faire prendre conscience de leur incomparable dignité en même temps que de leur grave responsabilité.
La doctrine du péché originel est un autre exemple de l’avantage que nous pouvons tirer d’une réinterprétation. Dans l’optique d’une évolution qui s’étale sur des millions d’années, on ne peut plus imaginer la chute comme un faux pas de nos premiers parents dont nous hériterions en quelque sorte génétiquement les conséquences.
Plutôt que de mettre l’accent sur le caractère “historique” de la chute (ce qui n’est pas nié mais revêt une importance secondaire), on peut prendre conscience que le péché originel, tout comme l’acte créateur, s’étale sur toute la durée du temps de notre espèce. La faute n’est pas alors projetée dans un inaccessible passé mythique mais est plus que jamais actuelle. Nous y participons tous. Elle se commet sous nos yeux.
Ce péché originel, c’est celui d’une conscience humaine qui se constitue sur les réalités extérieures de la matière au détriment de la vie intérieure et au prix d’une rupture avec Celui qui en est la Source. Si bien que l’humanité d’aujourd’hui est plus avancée dans la consommation complète de ce péché et détient donc une plus large part de responsabilité que les civilisations antérieures.
Le péché originel actuel
Aujourd’hui, le péché originel se manifeste au travers du “scientisme” dans lequel l’athéisme moderne fait son lit. Cette philosophie réduit la réalité à la seule perspective matérialiste. Elle prétend ainsi utiliser les sciences pour tout expliquer de la réalité par les lois de la matière sans devoir recourir au concept d’un Créateur.
Cette orgueilleuse ambition de développer les connaissances pour se passer Dieu, c’est la réédition —révisée et augmentée, diraient les libraires— de la faute dite originelle. C’est l’aboutissement logique d’un parcours de l’humanité qui mène tout droit à la catastrophe. Propulsée par cette erreur de perspective déguisée en quête de connaissances pour assurer le bien-être du genre humain, la civilisation moderne chute dans un gouffre que le premier couple humain, à peine issu de la condition animale, n’aurait jamais pu dévaler.
C’est dans ce contexte de négation de la dimension spirituelle que les premières découvertes sur l’évolution biologique des espèces ont été effectuées. L’hypothèse était alors largement utilisée pour infirmer les récits de la création de la Bible et démontrer ainsi, selon tout un courrant de scientifiques superficiels et athées, l’inexistence de Dieu. Une instrumentalisation de la science qui donnait à l’évolution plutôt mauvaise presse auprès des croyants. Non sans raison!
Car une telle conclusion tombe hors du champ de compétence des sciences. Ce qui faisait dire récemment au cardinal Schönborn, un théologien de la trempe de Ratzinger, que «les explications purement matérialistes (de l’évolution) ne sont pas compatibles avec la foi, mais on peut aussi se demander si elles sont compatibles avec la science».
En interview à Radio Vatican le 24 août dernier, l’archevêque de Vienne se garde bien d’être anti-scientifique. Il reconnaît la légitimité de la recherche qui vise à rendre compte de l’enchaînement des causes naturelles «pour expliquer les phénomènes du développement de la vie et des origines de l’univers. C’est la méthode propre à la science d’admettre seulement les critères de la quantité, des critères de mesure, de chiffres. Mais le danger est de penser que ce soit tout.»
Puisque les sciences sont ordonnées exclusivement aux causes matérielles, il ne relève pas de leur compétence d’affirmer que la réalité est réduite à ces causes. «Si un scientifique dit que c’est là le tout de la réalité, nous devons dire que ce n’est pas vrai, parce que la réalité est plus ample que les causes matérielles…», soutient le cardinal. Il ne ferait pas «de la science exacte mais de la philosophie, de la religion ou de la négation de la religion. Nous devons distinguer par conséquent entre la théorie scientifique de l’évolution et l’idéologie de l’évolutionnisme qui veut tout expliquer uniquement par les causes matérielles».
Tout… sauf l’homme
Vers quoi donc aboutit cette idéologie? Je le dirai d’emblée. Elle mène l’humanité en enfer. Et comment?
L’évolutionnisme idéologique peut faire de longs discours sur les transformations successives des organismes jusqu’à l’avènement de l’homme mais elle ne peut rien dire sur l’homme en lui-même. Car pour elle, c’est une condition sine qua non d’acquisition de la connaissance objective que d’ignorer celui qui vit derrière les yeux qui constatent l’évolution.
Il s’ensuit que cette idéologie braque le collimateur sur toutes les espèces surgies de la nature mais dans un contexte d’exclusion de la dimension intérieure de l’homme. L’humanité, dans la spécificité rationnelle par laquelle elle se distingue, est ainsi exclue des autres espèces produites par la nature. Elle est extrapolée hors du champ de l’observable comme un fruit artificiel du hasard. Mais un fruit dont on peut profiter pour en tirer parti afin d’acquérir des connaissances.
Par cette faculté rationnelle, l’homme est en quelque sorte capable de se tenir hors de l’univers pour en analyser le contenu. Et même, prétend-on implicitement, il n’a pas besoin d’un Créateur puisqu’il se crée lui-même en acquérant les connaissances.
Tant et si bien que le fait de constater l’évolution imposerait désormais aux scientifiques d’en découvrir les mécanismes pour en prendre le contrôle afin de l’appliquer à l’humanité. Par des conditionnements matériels et des manipulations génétiques entre autres, on voudra contrôler l’évolution de notre espèce pour la rendre plus intelligente, plus puissante, invulnérable, et peut-être même immortelle. Mais l’évolution contre nature entre les mains des apprentis sorciers ne pourra que créer les monstres d’un horrible cauchemar.
Pour intégrer l’homme
Tout comme Adam et Ève dans le jardin terrestre, la civilisation moderne est au plus fort de la tentation du serpent. Nous, les chrétiens, nous devons dénoncer cette terrible méprise issue d’un orgueil démesuré, diabolique même.
Pour ce faire, nous devons colmater la déchirure de la conscience rationnelle qui se perçoit séparée de l’univers. Il nous faut développer une nouvelle façon de penser et d’agir qui comble la brèche causée par la rupture de la conscience avec la nature et avec Dieu. Il nous faut proclamer haut et fort que la nature qui a su produire l’homme et ce n’est pas par hasard— est encore en charge de son évolution vers un dépassement, une destinée que les sciences ne pourront jamais apercevoir en auscultant la matière de la terre ou en observant les galaxies du cosmos.
Car l’évolution authentique passe par le dynamisme vital qui anime tous les organismes vivants. Dans l’homme, cette dimension intérieure s’appelle le coeur. Le devenir de l’évolution de l’homme ne passe pas par le développement d’une tête plus grosse pouvant contenir un cerveau plus puissant plein de données scientifiques et mathématiques, mais par l’élargissement de son coeur et l’approfondissement de son intériorité.
Si l’on veut savoir de quoi a l’air une personne évoluée, si on veut se faire une idée à quoi pourra ressembler une humanité future authentiquement plus évoluée que la nôtre, on n’a qu’à regarder les saints dont l’amour a su embrasser l’humanité tout entière en s’enflammant pour Dieu.
Un beau début…
Tout n’est donc pas perdu. Il y a encore de l’espoir pour notre monde. Heureusement, tous les scientifiques ne sont pas des idéologues matérialistes. De nos jours, plusieurs savants sont conscients des limites de la perspective scientifique sur la réalité et s’ouvrent à la spiritualité, à l’intériorité. Ils prennent conscience que la vie qui anime la subjectivité humaine peut aussi être un sujet de recherche et une source de connaissance.
Foi et science peuvent donc collaborer ensemble à faire évoluer l’humanité en créant entre autres de nouvelles thérapies. Car la personne humaine doit d’abord vivre une guérison intérieure pour pouvoir ensuite s’engager sur un chemin authentique d’évolution.
On peut signaler à cet égard l’apport exceptionnel de chercheurs québécois du département de neuropsychologie de l’Université de Montréal. Le Devoir du 30 août et du 2 septembre 2006 faisait état, dans deux articles substantiels, de la recherche menée par Vincent Paquette et Mario Beauregard en collaboration avec une quinzaine de Carmélites contemplatives de Montréal, de Trois-Rivières et de Danville en Estrie.
L’expérience mise au point par les psychologues a consisté à enregistrer les ondes cérébrales des religieuses plongées dans l’état de contemplation. Dans un premier temps, ils ont constaté des différences marquées de l’activité cérébrale entre l’extase mystique des cloîtrées et l’état provoqué par la méditation zen ou bouddhiste qui ont déjà fait ailleurs le sujet d’études.
Dans un deuxième temps, ils sont parvenus à appliquer les connaissances acquises grâce à la participation des Carmélites en développant un traitement, apparenté au biofeedback, de personnes profondément déprimées et anxieuses. La guérison s’est avérée complète pour 74% des 30 cas traités expérimentalement.
«Après avoir découvert l’harmonie parfaite dans laquelle baigne le cerveau des carmélites en contemplation», écrit la journaliste du Devoir, nos thérapeutes comptent introduire éventuellement une composante spirituelle à leur psychothérapie pour permettre à leurs patients d’atteindre «l’état de félicité qu’éprouvent les épouses de Dieu».
Le NIC, 24 septembre 2006