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Nous avons vu que les “eaux” du deuxième jour de la création symbolisent une double fécondité. Fécondité terrestre pour la production de la FORME et fécondité céleste pour l’attribution de l’ESSENCE. J’induis de ces termes que la FORME est à la MATIÈRE ce que l’ESSENCE est à l’ESPRIT.

Or, Dieu sépare les eaux pour créer le firmament. Qu’est-ce à dire ?

Dieu dit : “Que les eaux qui sont sous le ciel s’amassent en une seule masse et qu’apparaisse le continent”

Dieu dit : “Que les eaux qui sont sous le ciel s’amassent en une seule masse et qu’apparaisse le continent”

Dieu dit : “Qu’il y ait un firmament au milieu des eaux et qu’il sépare les eaux d’avec les eaux” et il en fut ainsi. Dieu fit le firmament, qui sépara les eaux qui sont sous le firmament d’avec les eaux qui sont au-dessus du firmament, et Dieu appela le firmament “ciel” » (Gn 1, 6-8).

L’auteur utilise le terme « firmament »,  plutôt que de reprendre le mot « ciel » du premier verset[1]. Il signale ainsi une réalité distincte du milieu divin. Le firmament dont il est question, c’est l’espace physique dans lequel les luminaires célestes seront créés le quatrième jour. Cette distinction constitue une véritable révolution conceptuelle en regard des mythologies polythéistes du temps. Elles amalgamaient l’empyrée des dieux et le cosmos, ce qui prédisposait les cultures à l’idolâtrie des astres.

Or, le Créateur transcende le monde physique, fait valoir le scribe. En créant un firmament qu’il nomme ensuite « ciel », Dieu se révèle au-delà de l’univers puisque l’activité créatrice détermine non seulement l’espace cosmique mais aussi l’habitat présumé des dieux ou des esprits angéliques.

À l’heure du deuxième jour, toutefois, l’espace sidéral ne contient rien. L’édit créateur du firmament n’est encore qu’un principe fondateur de la réalité. Un cosmos virtuel dans lequel pourront survenir les réalités issues de la fécondité conjointe des eaux « sous le firmament » et des eaux « au-dessus du firmament ». Cette conjugalité aura pour conséquence que toutes les réalités concrètes, sans aucune exception, seront marquées par la bipolarité forme-essence, matière-esprit, mais dans des proportions variables. Une union d’antipodes formant un tout insécable, toutefois, de sorte qu’on ne puisse pas trouver une seule réalité, dans tout l’univers, qui soit purement matérielle ou purement spirituelle.

Interdépendance matière-esprit

Question : La proposition reste à démontrer. Devrions-nous croire que les objets matériels sont dotés d’une essence spirituelle ? Le soleil aurait-il une âme ?

Réponse : L’essence d’une chose, quelle soit animée ou inanimée, c’est le sens ! Le sens dans toutes les acceptions du terme : la signification, la direction, la raison d’être, la finalité, la spécificité ! L’objet ne se donne pas à lui-même le sens (ou l’essence) mais il lui est attribué par l’esprit dont il relève, que ce soit l’esprit humain ou Celui du Créateur.

Prenons un marteau. Son essence est désignée par son créateur, c’est-à-dire l’être humain. Il a été d’abord conçu en pensée avant d’être fabriqué pour qu’il desserve la fin pour laquelle il existe, soit, cogner des clous. À noter qu’il peut exister  un certain décalage entre la conception de l’objet et sa réalisation concrète. Ce qui entraînera la conséquence que l’objet résultant de la pensée créatrice pourra plus ou moins bien remplir la fonction assignée.

Tout objet est en soi porteur d’une signification qui précède son existence. Nous verbalisons l’essence de la chose en la nommant. Or, la faculté qui rend possible la nomenclature des choses, c’est la rationalité, soit la partie essentielle de la spécificité humaine. C’est donc l’essence en l’être humain qui identifie les essences.

Prenons encore un artéfact. Nous ne pouvons pas savoir ce que c’est aussi longtemps que nous ignorons dans quel but il a été façonné et à quoi il pouvait servir durant la lointaine époque de sa fabrication. Le fait que nous ne puissions pas l’associer à ce qui est connu n’implique pas qu’il soit sans essence, mais que sa signification a été perdue ou oubliée.

Question : L’argument vaut peut-être pour les outils fabriqués par l’homme ! Mais que dire d’une pierre quelconque ? Serait-elle aussi dotée d’essence ?

Réponse : Nous ne savons pas reconnaître l’essence de certaines choses qui existent mais cela ne veut pas dire qu’elles en soient dépourvues. Notre ignorance nous incite en fait à en rechercher le sens aussi longtemps que la rationalité en nous soit satisfaite de l’avoir trouvée. L’essence est donc présente dans la chose avant même qu’on l’ait identifiée.

Vous parlez d’une pierre quelconque… mais de quoi s’agit-il ? Est-ce d’un galet, d’une montagne ou de la Lune qu’il est question ? Le mot pierre est un terme générique. Concrètement, il n’existe pas de pierre en général. Il n’existe que des pierres possédant des caractéristiques propres dont nous pouvons identifier l’essence en nommant leur spécificité : quartz, granit, fer ou autre agglomération minéralogique.

Mais peut-être ignorons-nous la fonction que tel galet particulier remplit dans l’ensemble universel. On pourrait alors simplement conclure que le Créateur connaît sa raison d’être puisque c’est de sa Pensée créatrice qu’il tire son existence. Cette pierre que je tiens dans la main a en effet été pensée antérieurement à son existence tout comme le marteau a été pensé avant d’être fabriqué. Bien que je ne sois pas en mesure d’identifier les éléments qui la constituent, je peux tenter de saisir cette pensée en réduisant ce qu’elle est à une quantité de matière. Le questionnement pourrait alors être reformulé de manière à englober toute matérialité. Qu’est-ce que la matière ? Qu’est-ce que cette substance dans laquelle sont découpées toutes les choses qui existent ?

Les physiciens soutiennent que cette pierre est un amas aléatoire et accidentel de molécules minéralogiques constitués d’atomes formés de particules. Mais sur quelle base ces infimes portions de réalité, que sont les particules, s’appuient-elles ? Plus les scientifiques creusent dans leurs recherches, moins ils parviennent à décrire et comprendre leur genèse : vibrations, rayonnements, ondulations ? Si bien que ces savants peuvent paradoxalement en venir à une conception quasi “spirituelle” de la matière. Certains finissent même par mettre en doute son existence et considèrent la réalité comme un jeu d’apparences. À l’encontre du postulat initial de leur recherche réduisant ce qui existe à la matérialité, ils fournissent ainsi par ricochet une base physique à l’idée que la matière ressort d’une Pensée créatrice.

La matière a été pensée à l’origine sous la forme d’un plasma énergétique d’une densité inimaginable. Puis, l’émergence de particules a amorcé le chemin vers la concrétude pour en venir à la formation d’atomes. L’atome existe parce qu’il fait du sens. La molécule existe parce qu’elle fait du sens. Nous saisissons les essences à diverses étapes de formation de la matière lorsque nous disons : “plasma”, “particule”, “atome”, “molécule”, “minéral”,  “soleil”, “nébuleuse”, “galaxie” etc. Lorsque nous nommons une chose, fut-elle située à l’autre bout du cosmos, nous exposons une pensée qui était déjà dans la chose, depuis des milliards d’années-lumière, avant que nous l’ayons découverte. Il y a là un constat étonnant, bouleversant ! Ce mystère tire le tapis sous les postulats du matérialisme scientifique ambiant.

L’essence, c’est la pensée antérieure à l’existence, la nuit précédant le jour, l’intériorité invisible de la forme visible. Tout ce qui existe a sa raison d’être, tant et si bien qu’il n’existe pas et ne pourrait pas exister une chose qui serait en soi insensée. Tout fait du sens. L’essence fait que tout ce qui existe dans l’univers est intelligible et impose un volet spirituel à la réalité.

L’essence fait l’ÊTRE. Si bien que le simple fait d’exister constitue en soi une affirmation positive de l’ÊTRE. ÊTRE est toujours et infailliblement positif. Une chose ne pourrait pas cohabiter avec le négatif car elle ne pourrait pas exister et ne pas exister en même temps. Le néant ne pourrait pas cohabiter avec l’existence, car si le néant existait, il ne serait plus néant. Ainsi, la matérialité, dans son fondement, ne peut que relever d’une pensée créatrice essentiellement positive.

Interdépendance esprit-matière

Question : Va pour le paradoxe de l’essence de la matérialité ! Mais vous avez aussi soutenu qu’il ne peut exister de réalités purement spirituelles. Faut-il en conclure qu’un monde immatériel parallèle à l’univers physique n’existe pas ? Et pourtant, la foi nous incite à croire aux miracles, à la manifestation de phénomènes provenant de l’Au-delà du monde physique, par exemple, les guérisons miraculeuses, les apparitions d’Anges, de Saints, particulièrement du Christ et de la Vierge Marie !

Réponse : Ce que j’induis du verset biblique sur la création du firmament, c’est que des réalités issues de la fécondité des eaux célestes – c’est-à-dire de la grâce divine – ne peuvent survenir DANS LA CRÉATION qu’en conjonction à la fécondité des eaux terrestres qui en assurent la concrétude. Ce qui revient à dire que les réalités spirituelles ne peuvent pas survenir dans l’univers sans prendre appui sur une composante matérielle quelconque. Autant la matière a dû être pensée pour exister, autant la pensée doit se matérialiser pour être manifeste.

Ceci ne signifie pas que des réalités spirituelles ne puissent pas exister en elles-mêmes. Seulement qu’elles ne peuvent pas “apparaître” DANS LA CRÉATION sans un support matériel. De notre point de vue intérieur à l’univers, nous pouvons supposer qu’un monde purement spirituel existe mais nous ne  pouvons en avoir une certitude fondée sur la raison. Cette connaissance ne peut que provenir de la foi. Car un tel monde est impénétrable par la logique rationnelle en raison du postulat qu’un esprit est dépourvu de toute matérialité. Or la raison doit nécessairement s’appuyer sur la matérialité pour connaître objectivement.

Ce que la raison peut avancer en lien avec les manifestations d’ordre spirituel, c’est que même l’apparition d’un Ange n’est pas dépourvue de matière. Il en est de même pour les phénomènes miraculeux. Il y a toujours un intermédiaire en cause qui agit comme interface de communication entre l’esprit et la matière. Dans le cas de l’apparition angélique, toutefois, la matérialité n’est pas objective. Si elle était objective, l’apparition serait visible pour tout le monde. Mais elle n’est visible que pour le visionnaire. La raison en est que seul le voyant fournit à l’Ange la matérialité psychique et cérébrale indispensable à sa manifestation. L’apparition devient ainsi la projection d’une expérience subjective intérieure. En somme, l’Ange n’apparaît pas dans le monde extérieur comme on incline à le croire mais parvient à la conscience du voyant en provenance de sa profondeur intérieure, là où l’Esprit divin peut agir sur les facultés de l’âme et du corps.

Quant aux apparitions de la Vierge et du Christ, elles peuvent, contrairement à l’apparition angélique, relever de leur matérialité propre. Car lors de l’ascension de Jésus et de l’assomption de Marie, le corps ne s’est pas volatilisé dans l’espace mais sa substance a été affinée en une matière vivante si subtile qu’elle a acquis les caractères surnaturels de l’esprit, dont l’immortalité. Les évangiles témoignent d’une telle matérialité lorsqu’ils relatent les apparitions de Jésus après sa mort. Il survient et disparaît subitement comme un fantôme. Jésus rassure cependant ses disciples qui ne comprennent pas le phénomène sans précédent dont ils sont témoins. « Voyez mes mains et mes pieds ; c’est bien moi ! Palpez-moi et rendez-vous compte qu’un esprit n’a ni chair ni os comme vous voyez que j’en ai » (Lc  24, 39).

Le continent

Donc, dans l’univers créé, tout ce qui existe relève nécessairement de la conjugalité des eaux célestes (la grâce divine) et des eaux terrestres (la matérialité).

Mais à la fin du deuxième jour de la création, il n’y a encore rien de concret, comme je l’ai déjà souligné. Le premier jour, le Créateur a en effet déclaré l’existence virtuelle de la lumière, avant qu’existent des astres pour l’émettre, afin d’établir le principe d’alternance du jour et de la nuit. Quant aux eaux célestes et terrestres du deuxième jour, elles sont informes et, dépourvues de limites, elles s’étendent à l’infini. Elles ne sont encore que le principe d’une fécondité conjointe apte à produire éventuellement un univers en évolution. Il faudra attendre le troisième jour de la création pour que la réalité tangible commence à exister sous l’impulsion des édits créateurs.

Dieu dit : “Que les eaux qui sont sous le ciel s’amassent en une seule masse et qu’apparaisse le continent” et il en fut ainsi. Dieu appela le continent “terre” et la masse des eaux “mers”, et Dieu vit que cela était bon » (Gn 1, 9).

Des frontières sont imposées aux eaux « sous le ciel » pour qu’elles « s’amassent en une seule masse ». (À remarquer que rien n’est dit au sujet des eaux « au-dessus du firmament », celles de la grâce divine, ce qui fait supposer qu’elles continuent de s’étendre à l’infini.) Ces limites marquent le début de la concrétude car c’est suite au harnachement de la fécondité des eaux sous le firmament que peut “apparaître” « le continent ».

Bien évidemment, le sens du mot “continent” dépasse considérablement l’interprétation littérale qui viserait un continent particulier, comme l’Europe, l’Asie, l’Afrique… Il n’est pas ici question de géographie. Ce qui le démontre, c’est que le Créateur nomme le continent « terre ». Et là encore, ce n’est pas du sol fertile qu’il peut s’agir mais de notre planète, à tout le moins. D’autant plus que la création du Soleil, de la Lune et des étoiles est mentionnée le quatrième jour et que nulle part dans le récit il est question de la création de notre planète.

Il y a plus ! En toute cohérence avec l’analyse précédente, le terme « terre » choisi par le rédacteur devrait s’entendre dans le sens de “terrestre” par opposition à “céleste”. Dans ce contexte terminologique, le terrestre n’est pas exclusif à notre planète mais s’applique à l’univers tout entier. Car ce qui caractérise le terrestre dans son opposition au céleste, c’est la substance matérielle à partir de laquelle sont découpées toutes les réalités. Ainsi, l’“apparition” du “continent” à partir de la “masse” des eaux sous le firmament annonce l’émergence de la matérialité universelle.

Encore ici, nous pouvons percevoir les deux composantes de la réalité : un niveau de virtualité relevant de l’Esprit créateur et un niveau de concrétude associé à la matière. Cette interprétation me semble encore confirmée du fait que Dieu appelle la « masse » des eaux sous le ciel « mers ». La masse est singulière tandis que le nom attribué à cette singularité est pluriel. Comme nous pourrons éventuellement le découvrir en  poursuivant notre recherche de sens, l’univers spirituel est unitaire – c’est-à-dire que l’unicité est son domaine exclusif –, tandis que la matérialité implique inévitablement la multiplicité, soit tous les nombres, sauf l’UN.

La bonté de la matière

Résumons en paraphrasant : le troisième “jour” de l’Acte créateur, la matière “apparaît”. « Et Dieu vit que cela était bon ». Ce commentaire est particulièrement significatif. Car les deux jours précédents se sont conclus par « il y eut un soir et un matin » sans être précédés par une telle marque d’appréciation, qui sera désormais reprise comme un leitmotiv en conclusion de chaque prochaine étape de l’Acte créateur.

Pourquoi cette soudaine irrégularité dans un récit qui démontre par ailleurs une géniale ordonnance et cohérence ?[2] Il y a là un signe. Inspiré par l’Esprit-Saint, l’auteur souligne ainsi une vérité qui contrarie le conformisme spirituel du milieu dans lequel il baigne. En substance, il a l’audace de faire dire à Dieu que la matière est bonne dans un contexte culturel qui clame depuis des lustres qu’elle est mauvaise.

En Occident comme en Orient, les spiritualités dominantes du temps s’appuient sur des conceptions philosophiques pessimistes et erronées. Le monde terrestre est considéré comme une dégradation qualitative de la création originelle. La vie humaine est alors perçue comme une corruption de l’existence idéale de facture exclusivement spirituelle. Pour les philosophes dits gnostiques, la matière est la cause de tous les maux et la condition humaine est assumée comme une punition infligée par quelque démiurge motivé par de mauvaises intentions. Le salut de l’humanité consiste alors à échapper à l’emprise mortifère des conditions de la matière par les connaissances ésotériques (la gnose) transmises aux initiés par les maîtres spirituels.

Dans un tel contexte issu du paganisme ambiant, on peut comprendre que l’auteur inspiré veuille souligner fortement et expressément la bonté du volet matière de la création. C’est précisément en cette proclamation que le récit biblique porte la signature de l’Esprit Saint et dépasse la vérité accessible à la seule faculté rationnelle.

Car on peut admettre que les gnostiques ont raison de constater un abîme entre l’implacable concrétude matérielle du monde terrestre et la sublimité aérienne de l’univers spirituel. Là où ils se trompent, c’est sur la cause de cette distance et sur la manière de surmonter le gouffre. C’est pourquoi la raison humaine avait besoin du coup de pouce de la révélation biblique pour trouver la bonne réponse au questionnement sur le début de la matérialité de toutes choses : « et Dieu vit que cela était bon » !

Remercions Dieu pour la création de la matière. Car sans elle, nous n’aurions pas su que nous existons. Nous serions demeurés dans la pensée incréée de Dieu de sorte que nous n’aurions pas pu lui rendre grâce pour l’existence qu’Il nous a accordée gratuitement en passant par la matérialité.

[1] Au commencement, Dieu créa le CIEL et la terre (Gn 1, 1).

[2] Rappelons que les trois premiers jours de la semaine créatrice sont consacrés à la mise en place du contexte dans lequel pourront être créés les êtres des trois jours suivants (voir le schéma à la fin du 6e article).

À suivre : La végétation.

 

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