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« Dieu conclut au septième jour l’ouvrage qu’il avait fait et, au septième jour, il chôma,
après tout l’ouvrage qu’il avait fait. Dieu bénit le septième jour et le sanctifia,
car il avait chômé, après tout son ouvrage de création » (Gn 2, 2-3).

Au premier regard, le récit des sept jours de la création peut être jugé non pertinent à notre époque. Les connaissances scientifiques dont nous sommes férus sont plus crédibles à nos yeux que les fables et les mythes issus de cultures antiques.

créationMais le schéma littéraire du récit mis à jour dans notre dernier article – et reproduit ci-dessous pour mémoire – suggère plutôt que ce texte ancien contient des significations encore parlantes aujourd’hui. On peut même y pressentir une vision de la réalité universelle que l’exercice de la raison humaine n’aurait jamais pu découvrir sans une révélation de l’Esprit Saint.

Pour sonder le texte biblique dans sa profondeur, on peut commencer par le comparer aux divers mythes de la création qui avaient cours dans les cultures mondiales à l’époque de sa rédaction. En voici quelques exemples. (Ces exemples sont tirés de L’évolution de l’Alpha à l’Oméga, disponible sur ce site en format papier et numérique.)

Selon un mythe hindou, l’univers a été produit à partir du sacrifice de Perusa, l’homme primordial. La partie inférieure de son corps a formé la terre tandis que la partie supérieure a constitué le ciel. Les castes de la société hindoue sont identifiées aux diverses parties de son corps. Les bras sont devenus les guerriers, les jambes ont formé le commun du peuple tandis que les pieds ont donné naissance aux esclaves.

À Babylone, c’est le dieu Marduk qui initie la création en tuant la Mère universelle et en découpant son corps en deux parties pour constituer le ciel et la terre.

En Chine, un mythe raconte que la création a commencé par un œuf dans lequel sont confondus le yin et le yang, le mâle et la femelle, le froid et le chaud. De cet œuf est né Phan Ku, un géant qui, en grandissant pendant un nombre astronomique de jours, a distancé par sa stature le ciel de la terre.

Dans la culture maya, les dieux Tepeu et Gucamatz ont créé la terre, les montagnes, les arbres, les animaux, etc., en les appelant à l’existence par la parole. Ils ont demandé aux animaux de les louer mais ils n’en ont pas été capables. C’est alors qu’ils ont décidé de créer les premiers humains à partir de la glaise, mais ils se sont cassés. Ils ont essayé le bois, mais ces humains étaient inflexibles et ont créé beaucoup de problèmes. Tepeu a alors envoyé une grande inondation pour les anéantir mais quelques-uns se sont échappés dans la jungle et ont survécu sous la forme de singes. Un troisième essai était couronné de succès : quatre humains, un pour chaque point cardinal, étaient créés qui pouvaient honorer les dieux adéquatement.

En Mongolie, une femelle corbeau crée d’abord des jumeaux mâles. Son époux part pour un long vol au cours duquel il défèque pour produire les montagnes et urine pour créer les lacs, les rivières et les océans. La femme est créée par la suite par une araignée femelle.

La vision biblique

Ces mythes inventés par les cultures ancestrales pour expliquer l’existence du monde ont joué un rôle déterminant dans la formation des sociétés et l’évolution de l’humanité. Le mythe justifie, en effet, la complexité des rapports sociaux. Il a pu avoir parfois un impact néfaste sur les structures mentales des individus. Qu’on imagine l’influence sur la mentalité des gens d’un mythe pour qui, par exemple, l’univers est fait de matières fécales d’un dieu ou du sperme d’un démiurge !

Face à ces images délirantes et pessimistes, le récit biblique fait contraste. La sobriété des énoncés et l’optimisme de cette écriture constituent une signature d’auteur, entendu dans le sens moderne du mot. Je m’explique. L’écrivain qui met par écrit un récit traditionnel n’invente rien de lui-même. Il se limite à donner une forme littéraire à une histoire transmise oralement de génération en génération.

Tel n’est pas le point de vue du scribe biblique. Il apporte des réponses inédites aux énigmes qui hantent la conscience humaine depuis l’origine. Il propose une vision de la réalité absolument révolutionnaire que même les plus grands philosophes de l’Antiquité grecque n’ont pu concevoir, eux qui pourtant étaient très rationnels et émancipés des délires de l’imagination.

Dans l’article précédent, nous avons déduit de notre analyse du récit dans le cadre de la culture contemporaine le concept d’ACTUALISATION DE LA CRÉATION. Nous avons constaté que « les “jours” utilisés pour décrire des étapes successives de formation de l’univers » ne désignent pas des laps de temps. Ils donnent plutôt forme à  « l’idée d’un projet divin en mouvance dans le temps vers un accomplissement ».

Contrairement à la représentation culturelle que nous pouvons en avoir, la création n’a pas été toute donnée au début du temps pour qu’elle se maintienne et se reproduise d’elle-même par la suite. Dieu n’a pas fait surgir l’univers de rien par un coup de baguette magique. Cette conception “créationniste” ne colle d’ailleurs pas du tout à une lecture fidèle à la lettre et à l’esprit de la Genèse.

Depuis son éternité, Dieu a étalé sa création dans l’espace et le temps en développant peu à peu de nouvelles réalités à partir des antérieures. Cette gradualité du projet divin implique que l’Acte créateur embrasse tous les temps, le temps à venir aussi bien que le temps passé. Il en découle encore que l’humanité est le sujet actuel de l’Activité créatrice. Puisque nous sommes la création PRÉSENTE, c’est par notre perfectionnement que passe le DEVENIR de l’univers tout entier.

Le “travail” du Créateur
L’ACTUALISATION fait ressortir un autre aspect de l’Activité créatrice. Et c’est ici que l’anthropomorphisme du “chômage” divin du septième jour livre son véritable sens. Car le scribe laisse ainsi entendre que la création des six jours précédents résulte d’un prodigieux labeur. Si Dieu a besoin de se reposer « après tout l’ouvrage qu’il avait fait » (Gn 2, 2), c’est parce que la création ne va pas de soi, même pour la Toute-puissance divine. L’Agir créateur ne verse pas dans la facilité. Qu’est-ce à dire ?

La Bible proclame que « Dieu est amour » (1 Jn 4, 8.16). Mais l’aphorisme n’est pas toujours saisi dans sa profondeur ! Il dévoile pourtant un immense mystère. À savoir que l’Amour est la SUBSTANCE-MÊME de Dieu ! Le Créateur, c’est donc l’Amour qui agit. Ce serait un euphémisme d’affirmer que Dieu crée par amour – comme si l’Amour était instrumentalisé par la divinité. L’Amour n’est pas le moyen mais la Cause. C’est l’AMOUR-MÊME qui crée. Or, l’Amour est don de soi !

Cette bouleversante vérité nous incite à aimer Dieu par dessus tout, comme pour un juste retour de don. Mais comment pouvons-nous – nous qui sommes chair – prétendre aimer Celui que nous ne voyons pas, qui est un impénétrable mystère, qui vit à un insondable abîme de distance de notre nature ? Comment pourrions-nous aimer Celui pour qui même les anges les plus subtils et les plus élevés sont chair ?

Dans sa première lettre, saint Jean affirme que nous sommes capables d’aimer Dieu parce que « lui nous a aimés le premier » (1 Jn 4, 19). C’est donc par le même Amour qui nous a créés que nous parvenons à aimer un Dieu inconnaissable tant que nous vivons dans l’opacité de la chair. Lors de notre création, l’Amour créateur s’infuse dans nos âmes. Si bien que l’amour de Dieu, c’est l’Amour qui retourne à l’Amour ! Par cette réciprocité du don, nous sommes divinisés et conformés « à son image » (Gn 1, 27) !

Or, l’Amour est pur ! Il est un Enfant candide. Il est l’Innocence-même. Il n’a pas d’arrière-pensées, il ne poursuit pas d’intérêts occultes, il ne joue pas à être Dieu. Il ne se lasse jamais d’aimer tout ce qu’il fait. Et il ne fait que du positif, comme le répète le récit biblique à chaque étape de l’Acte créateur : « Dieu vit que cela était bon ».

La résistance
Mais alors, si tout est positif, d’où vient le négatif ? Si tout est bon, d’où vient le mauvais ? Le mal n’est-il pas très présent dans la création ?

Il faut comprendre que la création ne relève d’aucune nécessité inhérente à la Vie divine. L’Amour aurait pu ne pas créer, car Dieu se suffit à Lui-même. Dieu est relation d’Amour et cet Amour trinitaire est vécu en plénitude. Si bien que l’Amour épuise tout l’ÊTRE.

Je ne peux donc pas dire qu’avant la création, il n’y a rien hors de Dieu car le néant suppose l’absence de ce qui existe déjà. Avant que les réalités existent, Dieu seul EST. Donc, plutôt que d’imaginer Dieu créant à partir de rien (ex nihilo), il semble plus juste de concevoir que l’Amour crée à partir de Lui-même. Sans réduire la plénitude de sa Substance, l’Amour crée en extériorisant les multiples facettes de son Unité interne. Ainsi, la création est comme un miroir qui renvoie l’image de l’Amour divin.

Puisque Dieu, dans sa liberté souveraine, a voulu créer, sa création, toutefois, a été inévitablement amenée à supposer un avant l’existence, à concevoir un effacement de la créature, en quelque sorte. S’il est vrai que cette “antériorité” a pu inspirer la nostalgie de la béatitude en Dieu avant toute création, c’est aussi un fait qu’elle est devenue une brèche par laquelle le néant a fait son chemin de négation jusqu’au refus du don de l’ÊTRE et au rejet ultime de l’Amour. Dans son Innocence, l’Amour n’a ni voulu ni pressenti l’attraction du non-être sur la création. Car son pouvoir de créer est la projection essentiellement positive de Lui-même.

Il y a donc inévitablement dans la création un effet négatif, une sorte d’engouffrement du vide antérieur à l’existence qui résiste à l’Amour créateur. Et cette résistance a commencé à se manifester dès le commencement. La création de la lumière n’a-t-elle pas eu pour conséquence que son absence produise les ténèbres ? Et il en est de même pour tout. Partout le positif a suscité le négatif. Les particules ont fait les antiparticules, la matière a donné l’antimatière, la vie a craint la mort.

Or, le labeur du Créateur consiste à surmonter la résistance qui applique un frein spatiotemporel à la démarche créatrice vers la Créature parfaite. Ce qui n’est pas un mince travail si l’on sait que cette résistance poursuit partout le créé. En pensant à cet immense ouvrage, j’ai eu un jour une vision intellectuelle. Le Visage du Créateur était couvert de sueurs. À la création de l’homme, ces sueurs sont devenues des sueurs de sang, tant a été extrêmement ardue l’œuvre divine visant à vaincre la résistance mortifère de l’humanité.

« Mon Père est à l’œuvre jusqu’à présent, et j’œuvre moi aussi » (Jn 5, 17), a déclaré Jésus. Lors donc que nous invoquons la Toute-puissance divine pour rendre compte de l’irruption de l’univers dans la réalité, il faut comprendre qu’il ne s’agit pas d’une puissance tyrannique mais de la Toute-puissance de l’Amour.

Création réussie
En dépit de cette résistance, la création est une totale réussite, révèle le scribe de la Genèse. « Dieu vit tout ce qu’il avait fait : cela était TRÈS bon » (Gn 1, 31). Si bien que la création peut être définie comme le cumul de toutes les victoires remportées par l’Amour créateur sur les impondérables aléas suscités par le non-être. La résistance à l’Amour ne parvient pas à mettre la création en échec. Elle ne peut rien produire sinon la douleur et la destruction.

Aussi, nous avons encore beaucoup de chemin à parcourir pour prendre conscience de la bonté et de la beauté de l’œuvre créatrice. Car spontanément, nous prenons l’univers pour acquis. Nous sommes habituellement inconscients de l’immense travail qui a été requis pour aboutir à notre existence. En cela, les conceptions scientifiques modernes peuvent contribuer à notre éveil à la réalité dans toute son ampleur.

En attendant d’y venir dans le prochain article, je propose, en guise de reconnaissance à l’Amour pour le don de l’être, la méditation du prologue de l’évangile de Jean, dont voici quelques versets particulièrement éloquents dans le présent contexte.

Au commencement était le Verbe…
Tout fut par lui,
et sans lui rien ne fut.
Ce qui fut en lui était la vie,
et la vie était la lumière des hommes,
et la lumière luit dans les ténèbres
et les ténèbres ne l’ont pas saisie…
Le Verbe était la lumière véritable
qui éclaire tout homme…
Il est venu chez lui
et les siens ne l’ont pas accueilli.
Mais à tous ceux qui l’ont accueilli,
il a donné pouvoir de devenir enfants de Dieu »
(Jn 1, 1-12).

La création selon la Genèse

Cliquer sur le lien pour accéder au prochain article : L’évolution créatrice (1)

2 réponses à 7- La Genèse revisitée – Le “travail” de Dieu

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