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Au dé­but de l’Église, les Pè­res ont vu dans le Nou­veau Tes­ta­ment une clef don­nant ac­cès au sens vé­ri­ta­ble, ca­ché der­riè­re la let­tre, de l’Ancien Tes­ta­ment. C’est à la lu­miè­re du mys­tè­re chré­tien que les tex­tes ré­di­gés sous la Pre­miè­re Al­lian­ce ré­vè­lent leur si­gni­fi­ca­tion pro­fon­de. Avant le Christ, la Pa­ro­le de Dieu vi­sait des ré­ali­tés qui étaient à ve­nir. Mais le fu­tur des pro­phè­tes est de­ve­nu pour nous le présent puisque nous pos­sé­dons dés­or­mais le Mes­sie. Le Christ est le Su­jet par ex­cel­len­ce de la Pa­ro­le divine pas­sée, pré­sen­te et à ve­nir. Il est le Ré­demp­teur an­non­cé dès la Ge­nè­se. Par l’Évangile, Il est ac­tuel­le­ment pré­sent au cœur du mon­de. Et lors de la Pa­rou­sie, Il ac­com­pli­ra dé­fi­ni­ti­ve­ment le de­ve­nir de l’humanité en ras­sem­blant dans l’unité l’univers vi­si­ble et in­vi­si­ble. La Pa­ro­le de Dieu, c’est donc le Christ… Et rien d’autre!

 

Dans plusieurs contrées du monde, les populations vivent avec les conséquences d’innondations et de tempêtes brutales, comme ici aux Philippines en 2011 (photo CNS/Cheryl Ravelo, Reuters).

C’est pour­quoi j’ose avan­cer, au risque de bous­cu­ler un peu la «foi du char­bon­nier», que les ac­tes et pa­ro­les at­tri­bués à Yah­vé dans l’Ancien Tes­ta­ment ne re­flè­tent pas par­fai­te­ment le Dieu vé­ri­ta­ble. Ils n’en sont qu’un écho plus ou moins loin­tain. Nous avons dé­jà dit qu’ils té­moi­gnent d’une ap­pro­che gra­duel­le de Dieu par l’huma­nité et non de la connais­san­­ce de Dieu en Lui-mê­me.

Pour connaî­tre Dieu, il faut écou­ter Sa Pa­ro­le vi­van­te. C’est-à-di­re con­tem­­pler Son Ver­be in­car­né. Jé­sus n’a-t-il pas dit: «Qui m’a vu a vu le Pè­re» (Jn 14,9)?

En Jé­sus, Dieu s’est ma­ni­fes­té au­then­ti­que­ment à l’humanité. Si nous vou­lons sa­voir vrai­ment qui est Dieu, re­gar­dons Jé­sus. N’est-Il pas l’être le plus doux, le plus hum­ble, le plus ai­mant, le plus mis­éri­cor­dieux, le plus com­pa­tis­sant que la ter­re ait ja­mais por­té?

Po­sons alors quelques ques­tions sur Son com­por­te­ment. Le Ver­be in­car­né a-t-Il ma­ni­fes­té sa Puis­san­ce di­vi­ne par des séis­mes? Au contrai­re, Il a cal­mé la tem­pê­te. A-t-Il stig­ma­ti­sé les pé­cheurs? Non, Il a man­gé avec eux et S’est as­so­cié pu­bli­cains et pro­s­ti­tuées. A-t-Il en­voyé des mal­adies pour châ­tier ses contem­po­rains? Plu­tôt, Il a gué­ri tou­tes sor­tes de lè­pres. A-t-Il écra­sé la fou­le ano­ny­me par la fou­dre ou le feu du ciel? Cer­tai­ne­ment pas puisqu’Il a pleu­ré sur el­le et en­sei­gné aux pau­vres les se­crets du Royau­me.

Consé­quem­ment, l’ima­ge du dieu ter­ri­ble d’où qu’elle vien­ne, le dieu cruel qui condam­ne et dam­ne, qui fo­men­te les tem­pê­tes et pla­ni­fie les ca­ta­strophes, le dieu as­soif­fé de ven­gean­ce qui ré­cla­me la pei­ne de mort, or­don­ne des mas­sa­cres et ex­ter­mi­ne les païens, ce n’est pas le Pè­re de Jé­sus. Ce dieu-là est une pro­jec­tion anthro­po­mor­phique du sen­ti­ment de cul­pa­bi­li­té col­lé vis­cé­ra­le­ment à l’â­me hu­mai­ne de­puis la chu­te ori­gi­nel­le.

Il a fal­lu que Jé­sus ac­cep­te une mort in­fa­man­te pour li­bé­rer l’humanité de cet­te faus­se concep­tion de Dieu. Par la croix, Dieu s’est ré­vé­lé non pas com­me un dieu qui se ven­ge du pé­ché sur le pé­cheur mais com­me un Dieu qui se rend vul­né­ra­ble jusqu’à l’extrême pour ou­vrir les yeux des hu­mains à Son Amour. Un Dieu bles­sé à mort par l’impitoyable du­re­té de Ses créa­tures. Un Dieu qui meurt du mal de l’homme.

Na­ture et sur­na­ture

C’est en gar­dant ce dra­me de Dieu bien à vif dans le cœur que nous pou­vons re­li­re les ré­cits de ca­ta­clys­mes et au­tres mas­sa­cres rap­por­tés dans l’Ancien Tes­ta­ment. À la ques­tion que nous po­sons de­puis le dé­but de cet­te sé­rie d’articles, à sa­voir s’ils ont été DI­REC­TE­MENT pro­duits par Dieu —ce qui ten­drait à dé­mon­trer que les ac­tuels sont pa­reille­ment cau­sés par Lui—, nous som­mes main­te­nant en me­su­re de ré­pon­dre. As­su­ré­ment par la né­ga­ti­ve mais non sans nuan­cer nos pro­pos et y join­dre quelques com­men­tai­res.

Rap­pe­lons d’abord une dis­tinc­tion ca­pi­ta­le, dé­jà pré­ci­sée, en­tre phé­no­mè­nes na­tu­rels et sur­na­tu­rels. Nous avons dit que les pre­miers s’expliquent par les lois de la na­ture tan­dis que les se­conds sur­vien­nent à la sui­te de la sus­pen­sion des lois na­tu­rel­les et peu­vent être l’œuvre de Dieu (ou des puis­san­ces oc­cul­tes).

Contrai­re­ment aux inter­ven­tions mi­ra­cu­leu­ses de Jé­sus rap­por­tées dans le Nou­veau Tes­ta­ment et qui res­sor­tent clai­re­ment de la di­men­sion sur­na­tu­rel­le, les phé­no­mè­nes ex­traor­di­nai­res re­cen­sés dans l’Ancien Tes­ta­ment se rat­ta­chent plus gé­né­ra­le­ment mais non ex­clu­si­ve­ment à l’ordre de la na­ture. Ce qui im­plique en bout de li­gne que, pour la plu­part, ils au­raient été at­tri­bués à Yah­vé par les au­teurs bi­bliques en rai­son de leur igno­ran­ce des cau­ses na­tu­rel­les.

Ce n’est pas le lieu ici pour fai­re un in­ven­tai­re ex­haus­tif des séis­mes de tous gen­res rap­por­tés dans l’Ancien Tes­ta­ment. Quel­ques exem­ples suf­fi­ront pour pré­ci­ser ma pen­sée.

Le dé­lu­ge

D’abord le dé­lu­ge (Gn 6,5 +). Des cul­tures pré­co­lom­bien­nes (les ci­vi­li­sa­tions amé­rin­dien­nes avant l’arrivée des Eu­ro­péens) en per­pé­tuaient un sou­ve­nir fa­bu­leux. Plu­sieurs au­tres ci­vi­li­sa­tions antiques, dont cel­le de Ba­by­lo­ne, en fai­saient état dans leur my­tho­lo­gie. Ces ré­cits de di­ver­ses ori­gi­nes ré­fè­rent sans dou­te à une mê­me ca­ta­strophe de gran­de am­pleur qui au­rait mar­qué l’humanité en ses dé­buts.

La Ge­nè­se évoque le sou­ve­nir de ce dés­as­tre d’une ma­niè­re plus so­bre et «ré­alis­te» que les au­tres fa­bles sans pour­tant échap­per au gen­re lit­té­rai­re de la lé­gen­de, qui ca­rac­té­ri­se la trans­mis­sion ora­le de gé­né­ra­tion en gé­né­ra­tion. L’auteur ti­re de cet­te tra­di­tion un en­sei­gne­ment per­ti­nent sur l’homme et sa res­pon­sa­bi­li­té de ges­tion­nai­re de la créa­tion. Ce qui confè­re à son ré­cit une cer­tai­ne sa­veur pro­phé­tique que nous som­mes aujourd’hui en me­su­re d’apprécier, peut-être plus qu’à tout au­tre époque pas­sée.

Le dé­lu­ge est un ca­ta­clys­me na­tu­rel puisque ce sont des élé­ments de la na­ture qui sont en jeu: les pluies tor­ren­tiel­les et le dé­bor­de­ment des nap­pes d’eau ter­res­tres. Quel­le a été la cau­se de cet­te in­on­da­tion ma­jeu­re? La chu­te d’un mé­téo­re? Des chan­ge­ments bru­taux de cli­mat à la fin de l’époque gla­ciai­re? Peu im­por­te la cau­se na­tu­rel­le.

Me sem­ble moins na­tu­rel, ce­pen­dant, le fait que Noé, se­lon le ré­cit bi­blique, ait été le seul hom­me de son temps à être aver­ti de l’imminence de la ca­ta­strophe. Ce qui lui a va­lu d’être épar­gné avec tou­te sa fa­mille.

Vrai­sem­bla­ble­ment, Noé n’avait au­cun moyen tech­nique pour pré­voir le ca­ta­clys­me. Il a pu en être in­for­mé, se­lon ce que l’on peut ex­tra­po­ler du ré­cit, par­ce qu’il était at­ten­tif à la voix de Dieu qui ré­son­nait dans son cœur. Con­trai­re­ment à ses contem­po­rains qui étaient dé­voyés et vio­lents, c’est-à-di­re en­tiè­re­ment super­fi­ciels et tour­­nés ex­clu­si­ve­ment vers la con­quê­te de la ma­tiè­re ex­té­rieu­re, «Noé mar­chait avec Dieu» (Gn 6,9). Ce qui veut di­re que dans la condui­te de sa vie, il était ou­vert à la di­men­sion du cœur. La re­la­tion qu’il en­tre­te­nait avec son Dieu avait creu­sé en lui un puits jusqu’à la Sour­ce de vie. Là où l’Esprit jaillit pour ani­mer d’une vie sans ces­se re­nou­ve­lée les créa­tures qu’Il gui­de vers la Plé­ni­tu­de.

C’est donc l’Esprit pro­phé­tique, qui souf­fle en ceux qui sont at­ten­tifs à la vie in­té­rieu­re, qui a sau­vé Noé du dé­lu­ge. Ici, Dieu se ré­vè­le dé­jà com­me Ce­lui qui sau­ve…

Et de tou­tes sor­tes maux. En­tre au­tres des ca­ta­clys­mes qui peu­vent s’abattre sur l’humanité com­me consé­quen­ce des pé­chés. Lorsque les hu­mains dé­fient les lois de la vie, l’ef­fet du mal se ré­per­cu­te jusque dans la na­ture, qui se trou­ve ain­si per­tur­bée dans son har­mo­nie ori­gi­nel­le. El­le en su­bit alors des sou­bre­sauts, des se­cous­ses qui n’épargnent pas les êtres vi­vants ter­res­tres, tant les ani­maux que les hom­mes.

Le «re­pen­tir» de Dieu

C’est bien, me sem­ble-t-il, ce que l’on peut ti­rer du ré­cit bi­blique lors­qu’on l’a ex­pur­gé des nom­­breux anthro­po­mor­phis­mes qu’il contient. «Yah­vé vit que la mé­chan­ce­té de l’homme était gran­de sur la ter­re et que son cœur ne for­mait que de mau­vais des­seins à lon­gueur de jour­née. Yah­vé se re­pen­tit d’avoir fait l’homme sur la ter­re et il s’affligea dans son cœur. Et Yah­vé dit: “Je vais ef­fa­cer de la sur­fa­ce du sol les hom­mes que j’ai créés —et avec les hom­mes, les bes­tiaux, les bes­tio­les et les oi­seaux du ciel—, car je me re­pens de les avoir faits”» (Gn 6,5-8).

L’auteur du ré­cit bi­blique ima­gi­ne Yah­vé com­me un maî­tre d’œuvre qui fait un cons­tat d’échec. Ce qui l’amène à dé­trui­re tout ce qu’il a ac­com­pli jusque-là pour re­com­men­cer son œuvre au­tre­ment.

Mais il est si peu cer­tain de fai­re mieux la deuxiè­me fois qu’il se pro­met à lui-mê­me de ne plus jouer à fai­re et à dé­fai­re. On di­rait mê­me qu’il éprou­ve des re­mords de s’être lais­sé al­ler. «Yah­vé res­pi­ra l’agré­a­ble odeur (des ho­lo­caus­tes de Noé au sor­tir de l’arche) et il se dit en lui-mê­me: “Je ne mau­di­rai plus la ter­re à cau­se de l’homme, par­ce que les des­seins du cœur de l’homme sont mau­vais dès son en­fan­ce; plus ja­mais je ne frap­pe­rai tous les vi­vants com­me je l’ai fait”» (Gn 8,21).

Voi­là un lan­ga­ge bien hu­main! Bien en­ten­du, —nous le sa­vons main­te­nant—, Dieu n’a que fai­re de «l’agréable odeur» des ho­lo­caus­tes d’animaux. Le sa­cri­fi­ce de Son Fils Lui suf­fit. Pas plus qu’Il a eu be­soin de re­pren­dre ha­lei­ne après avoir créé le mon­de, com­me l’affirme un pas­sa­ge de l’Exode. «En six jours Yah­vé a fait les cieux et la ter­re, mais le sep­tiè­me jour il a chô­mé et re­pris ha­lei­ne» (Ex 31,17).

D’autre part, —et c’est là le point le plus im­por­tant—, est-il pos­si­ble que Dieu ait pu se re­pen­tir d’avoir créé les ani­maux et les hom­mes? Si Dieu pou­vait éprou­ver des re­grets, Il ne se­rait pas par­fait en tout. Il ne se­rait pas un Créa­teur Tout-Puis­sant.

C’est d’ailleurs là une ob­jec­tion sou­le­vée par un écri­vain sa­cré. Le scri­be au­quel je fais al­lu­sion a ajou­té un com­men­tai­re dans le tex­te ori­gi­nal du pre­mier li­vre de Sa­muel. Cet­te glo­se est inter­ca­lée dans un pas­sa­ge où il est dit que Yah­vé s’est «re­pen­ti d’avoir fait Saül roi sur Is­raël» (1 Sa 15,34; voir aus­si v. 11). Le com­men­tai­re s’inscrit en faux contre cet­te inter­pré­ta­tion: «Pour­tant, la Gloi­re d’Israël (c’est-à-di­re Dieu) ne ment pas et ne se re­pent pas, car il n’est pas un hom­me pour se re­pen­tir» (1 Sa 15,29). Cet ajout pa­ra­phra­se un pas­sa­ge du li­vre des Nom­bres où le pro­phè­te Ba­laam dé­cla­re: «Dieu n’est pas un hom­me, pour qu’il men­te, ni fils d’Adam, pour qu’il se ré­trac­te» (Nb 23,19).

On le cons­ta­te, la Bi­ble el­le-mê­me cor­ri­ge les con­cep­tions de Dieu qui re­lè­vent plus de l’humanité de l’homme que de la Ré­ali­té di­vi­ne en El­le-mê­me.

Consé­quem­ment, il faut com­pren­dre, en dé­pit des af­fir­ma­tions de la Ge­nè­se, que Dieu n’a pu vou­loir ex­ter­mi­ner sa créa­tion à cau­se des pé­chés des hom­mes mais plu­tôt, qu’en rai­son de la struc­ture de la ré­a­li­té exis­ten­tiel­le, les pé­chés des hom­mes et des an­ges ont créé les condi­tions d’un ca­ta­clys­me qui a en­glou­ti le mon­de tel qu’­il sub­sis­tait avant Noé. Lire la suite, cinquième article

N. B. Cette série d’articles est tirée de Pour discerner l’action de l’Esprit, publié en 1998 aux Éditions Spirimédia.

 

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