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Blogue de Paul

Un jour, en passant sur la passerelle piétonnière enjambant le canal Rideau d’Ottawa, j’observe que des sculptures sont exposées dans le parc bordant la rive. Ce sont des structures cubiques de bonne dimension, peintes de diverses couleurs brillantes. D’emblée je me fais la réflexion que le “sculpteur” ne s’est pas beaucoup forcé puisque n’importe qui peut fabriquer de telles formes géométriques sans pourtant les qualifier de sculptures. Tout de même, je m’arrête un moment pour tâcher de comprendre le “message” que le sculpteur a bien pu vouloir émettre au travers de son exposition! Je me donne donc l’ordre de regarder sans préjugés ni idées préconçues.

En fixant le regard sur cette illustration, on peut voir spontanément deux couleurs à plat de forme géométrique. Mais si l'on décide de voir un seul objet, apparaît alors un cube dont une face est éclairée et l'autre dans l'ombre.

En fixant le regard sur cette illustration, on peut voir spontanément deux couleurs à plat de forme géométrique. Mais si l’on décide de voir un seul objet, apparaît alors un cube dont une face est éclairée et l’autre dans l’ombre.

Nous sommes à la fin d’une journée exceptionnellement lumineuse. Le soleil baisse à l’horizon et darde obliquement ses rayons sur les formes tridimensionnelles. Je constate alors avec étonnement que chaque structure, bien que colorée uniformément sur toutes ses faces, apparaît objectivement pour mes yeux en deux couleurs. Par exemple, ce cube, rouge magenta sur sa surface exposée au soleil, apparaît violet sur sa surface à l’ombre. Deux couleurs très différentes pour le peintre qui voudrait reproduire le cube sur une toile. À la couleur du côté éclairé, il devrait ajouter beaucoup de bleu, soit la couleur complémentaire, pour illustrer le côté ombre.

Je me demande alors comment je peux savoir que le cube est peint d’une seule couleur en dépit du fait que mes yeux en voient deux? Je cherche d’abord une explication physique, objective. Je sais que la lumière se propage sous la forme d’une onde dont la décomposition par un prisme donne les couleurs de l’arc-en-ciel. Chaque couleur devient visible lorsque la longueur d’onde qui lui est propre est réfléchit par une surface. L’œil humain ne peut capter que les nuances comprises entre les deux extrémités du spectre lumineux. Les ondes qui voisinent l’infrarouge sont courtes tandis que celles proches de l’ultraviolet sont plus longues comparativement. Je constate donc que je peux voir le magenta du côté éclairé parce que la lumière rebondit sur la seule longueur d’onde que la surface du cube peut réverbérer, les autres couleurs du prismes étant absorbées. La couleur que renvoie le côté ombré est différente parce que la lumière rebondit de l’environnement plutôt que directement du soleil et subit ainsi une perte d’intensité qui a pour effet d’augmenter la longueur de l’onde lumineuse.

On peut observer un phénomène équivalent au plan sonore dans le bruit du moteur d’un avion ou du sifflet d’un train qui change de tonalité en passant devant ou au-dessus de soi. La raison en est qu’à la vitesse normale de propagation de l’onde sonore s’ajoute la vitesse du véhicule qui s’éloigne de l’organe de perception de sorte que l’onde est étirée, ce qui se traduit par une baisse de tonalité. Ainsi, la lumière produit un effet similaire en réverbérant sur le côté ombre, à l’autre bout du spectre solaire, la couleur complémentaire du cube.

Mais cette analyse “scientifique” explique-t-elle vraiment le fait que je sache, sans même en douter une seconde, que le cube est peint d’une même couleur sur toutes ses surfaces en dépit du fait que les cônes et les bâtonnets qui tapissent le fond de mes globes oculaires perçoivent deux couleurs? Tout compte fait, je ne crois pas que la théorie scientifique des couleurs peut répondre à cette question. Car la clef de la solution est à l’intérieur de moi. Ce qui est en cause, c’est ce qui se passe dans ma subjectivité entre la capture par le sens visuel et la conscience que j’ai de ce qui est perçu.

Cube2Pour en faire la démonstration, je dessine ce cube, très exactement en perspective avec ses deux couleurs (voir l’illustration ci-contre). Imaginons que je le montre à un animal dont le sens de la vue est comparable ou supérieur à celui de l’être humain. Verra-t-il l’illustration d’un cube, ses yeux fussent-ils extrêmement perfectionnés? Ce qu’il pourra détecter, c’est deux couleurs à plat. Qu’est-ce donc qui manque à l’animal qui lui permettrait d’accéder à la signification de mon dessin? Ou, pour poser la question autrement, qu’est-ce que j’ai en plus que la perception sensorielle de la vue —identique ou inférieure à celle de l’animal— qui me permet d’identifier l’illustration d’un cube en perspective? Par quel procédé subjectif puis-je passer de la perception de deux couleurs sur une surface à deux dimensions à la vision d’une seule chose comportant trois dimensions? Si je fixe du regard l’illustration, je vois d’emblée deux figures géométriques, des trapèzes, l’un jaune, l’autre vert. Et pour que je puisse passer à la vision du cube, il suffit que je décide de voir une seule chose, un seul objet, pour qu’un cube apparaisse dont une face est brillamment éclairée et l’autre dans l’ombre.

La clef de ce processus, c’est donc la conscience de l’objet. L’intention de réunir en un objet deux perceptions sensorielles a fait apparaître le cube. Et si je poursuis encore mon enquête pour savoir comment je peux aussi facilement et spontanément réussir cette objectivation, je suis amené à reconnaître que cette capacité provient d’une faculté qui m’est propre et qui permet de synthétiser divers messages provenant des sens en un concept unique. La conception de l’objet par ma conscience ressort de la rationalité. Ce processus d’objectivation ouvre la porte d’un niveau de conscience supérieur à la perception sensorielle et à une appréhension spécifiquement humaine de la réalité. Puisque tout objet m’est extérieur, mon être intérieur (et non mon corps physique) est forcément exclus du monde des objets. Ainsi, l’objectivation contribue par ricochet à me faire prendre conscience que je suis un être rationnel d’une essence absolument distincte des objets extérieurs, donc, en bout de ligne, distincte de la matérialité du monde objectif.

Le «phénomène d’objectivation» relève donc d’une faculté hautement estimable, inséparable de la subjectivité humaine. En son absence, la conscience humaine serait réduite au niveau de la conscience sensorielle du règne animal. Précisons que trois éléments doivent nécessairement être réunies pour enclencher ce processus: la lumière, les sens et la raison. La lumière éclaire les choses, la vue perçoit fragmentairement et la raison conçoit l’objet.

Le processus d’objectivation dans la Genèse

À la suite de cette analyse, force m’est d’admettre après tout que les sculptures du parc du canal Rideau, derrière leur apparence anodine, ont occasionné de cruciales considérations. Discours que nous pouvons appliquer, entre autres, comme une clef d’interprétation de la Genèse pour comprendre la pensée que les auteurs ont voulu transmettre par les deux récits de la création. Car les trois éléments du processus d’objectivation y sont en effet clairement soulignés.

D’abord la lumière. «Dieu dit : “Que la lumière soit” et la lumière fut. Dieu vit que la lumière était bonne, et Dieu sépara la lumière et les ténèbres. Dieu appela la lumière “jour” et les ténèbres “nuit”» (Gn 1, 3).

Ce n’est pas un hasard si la lumière est créée en premier par la Parole créatrice. Car toute la matérialité de l’univers provient de sa création par décret divin. Cette lumière créée n’est pas de nature spirituelle même s’il n’existe encore, en ce premier “jour”, aucun astre pour émettre un rayonnement lumineux. Elle est l’expression visible de l’incommensurable énergie du début de l’univers. Elle est de nature physique car elle suscite le temps, ce que l’auteur évoque par le «jour» et la «nuit» et ouvre l’espace cosmique par sa vitesse de propagation. En se diffusant dans l’espace, cette énergie se dilue et se coagule finalement sous la forme des éléments fondamentaux de la matière.

Il est inévitable que la lumière perde ainsi graduellement de son intensité au prorata de sa diffusion dans l’espace, précisément parce qu’elle est créée. Si elle ne perdait pas de son intensité, l’ombre, les ténèbres, la matière ne pourraient exister. Elle remplirait tout ce qui existe, uniformément et immuablement. Elle ne pourrait être qu’une lumière incréée provenant du rayonnement de Dieu Lui-même. Nous serions alors plongés dans un océan de lumière comme dans une eau engloutissant tout ce qui existe. Notre illumination ne produirait aucune ombre, aucune nuit, aucunes ténèbres, la lumière étant partout présente au maximum d’une luminosité éternelle.

Mais le Créateur a voulu une lumière physique dégradable pour qu’elle soit le fondement de son projet de création de l’univers et, conséquemment, pour qu’elle soit le fondement de la matière. Dieu n’a pas eu à créer directement la matière, il a suffit qu’il décrète par sa Parole «que la lumière soit» pour qu’en découle “naturellement” la matière qui constitue le tissu concret des réalités objectives spatiotemporelles.

Les sens. «La femme vit que l’arbre était bon à manger et séduisant à voir et qu’il était, cet arbre, désirable pour acquérir le discernement» (Gn 3, 6).

Dans ce verset qui décrit la scène avant la chute, l’auteur insiste clairement sur l’existence des sens de la vue et du goût qui suscitent le désir de s’approprier le fruit de l’arbre. Un autre verset fait allusion au sens du toucher lorsqu’au sortir de sa torpeur après la création de la femme, également avant la chute, l’homme découvre à ses côtés «l’os de mes os et la chair de ma chair» (Gn 2, 23). Le verset 25 inclut la sexualité dans la perception sensorielle: «Or, tous les deux étaient nus, l’homme et sa femme, et ils n’avaient pas honte l’un devant l’autre». S’ils n’avaient pas honte, c’est parce que le constat de la différence sexuelle de «l’homme et sa femme» ne les troublait pas dans l’état d’innocence.

La raison. «Dieu modela encore du sol toutes les bêtes sauvages et les oiseaux du ciel, et il les amena à l’homme pour voir comment celui-ci les appellerait : chacun devait porter le nom que l’homme lui aurait donné. L’homme donna des noms à tous les bestiaux, aux oiseaux du ciel et à toutes les bêtes sauvages» (Gn 2, 19-20).

Donner un nom, c’est exercer la plus fondamentale et formidable des puissances humaines: la rationalité. Car pour donner un nom, il faut plus qu’enregistrer la simple apparence extérieure à laquelle les sens donnent accès. Il faut comprendre ce que les choses sont en elles-mêmes, leur intériorité, leur fonction dans l’ordre créé. L’homme dans l’Éden a pu donner des noms parce que la raison dont il était doté lui permettait de saisir l’essence des choses en se référant à sa propre intériorité capable de synthétiser les informations sensorielles de la réalité objective.

Nous avons donc ici réunis dans l’Éden les trois éléments qui entrent dans la morphologie de l’objectivation. Ce qui implique, si nous adhérons par la foi au sens du texte biblique, que ce “phénomène” ne peut pas être survenu comme conséquence du “mauvais choix” du premier couple humain. Au contraire, la lumière, les sens et la raison dont dépend ce processus ont été voulus et valorisés expressément par le Créateur. Au départ, «Dieu vit que la lumière était bonne». De plus, le Seigneur stimule l’exercice de la rationalité en demandant à l’homme de nommer les espèces. Quant aux sens, ce sont de valeureux et indispensables outils pour la survie et la reproduction de tous les organismes mobiles, incluant l’homme. La création de l’homme —corps et âme, «glaise» et «haleine de vie»— implique donc nécessairement les sens corporels.

La perspective des deux récits de la création

Mais alors, si l’objectivation n’est pas un effet du péché originel, comment savoir ce qui est réellement en cause dans le récit biblique de la chute? La description de la tentation de la femme ne fait-elle pas jouer le grand rôle aux perceptions sensorielles? (cf. Gn 3, 6).

Pour comprendre le drame des origines, on doit commencer par discerner les intentions de chacun des auteurs des deux récits de la création. La perspective particulière de l’auteur du premier récit, c’est le côté visible de l’univers, le monde objectif, tout ce qui est extérieur à la conscience. Son intention est d’affirmer que tout provient de la volonté d’un Dieu unique qui a créé de rien par sa seule Parole tout ce qui existe. En même temps, la méthode que Dieu utilise pour créer, c’est de faire découler les réalités les unes des autres, graduellement, par étapes. Par exemple, Dieu commence par séparer «les eaux sous le ciel» du «continent» le troisième jour pour qu’éventuellement, le sixième jour, «la terre produise des êtres vivants selon leur espèce» (Gn 1, 24).

D’autre part, lorsque arrive la création de l’homme, il n’est nullement question d’un Éden ou d’un quelconque péché originel. Au contraire, la création de l’homme, «à l’image de Dieu il le créa, homme et femme il les créa», est jugée excellente par le Créateur. «Dieu vit tout ce qu’il avait fait : cela était très bon» (v. 31). Et «Dieu les bénit et leur dit : Soyez féconds, multipliez, emplissez la terre et soumettez-la» (Gn 1, 28).

La perspective du deuxième récit est tout autre. Il n’y est pas tant question du monde objectif que de la subjectivité humaine, non de la matérialité extérieure des scientifiques mais de la spiritualité intérieure de la conscience morale religieuse. De très nombreux détails démontrent que l’auteur expose sa pensée en utilisant des éléments mythiques et symboliques comme dans une fable. Non pas toutefois pour décrire une fiction mais, au contraire, pour exposer des vérités si profondes qu’il ne peut les évoquer autrement, ne disposant pas d’un autre moyen de communication que le langage symbolique.

Le récit commence par l’affirmation que la création de l’humanité est survenue seulement lorsque les conditions matérielles et spirituelles —«la terre et le ciel»— ont été favorables. «Au temps où Yahvé Dieu fit la terre et le ciel, il n’y avait encore aucun arbuste des champs sur la terre et aucune herbe des champs n’avait encore poussé, car Yahvé Dieu n’avait pas fait pleuvoir sur la terre et il n’y avait aucun homme pour cultiver le sol. Toutefois, un flot montait de terre et arrosait toute la surface du sol. (Gn 2, 4-7).

L’eau, c’est l’élément qui rend la glaise (la matière) féconde. L’eau du ciel, c’est la grâce divine que Dieu n’a pas fait pleuvoir sur la terre avant l’arrivée de l’homme parce que seule l’humanité est appelée à «cultiver le sol», c’est-à-dire à développer la vie terrestre, à la fois matérielle et spirituelle. Cette eau céleste est essentielle à la croissance de l’humanité pour qu’elle parvienne progressivement à évoluer de manière à se conformer au projet du Créateur, à épouser la forme à laquelle il la destine.

Le flot qui arrose «toute la surface du sol», ce sont les contingences d’un monde physique prégnant de potentialités fécondatrices dont non seulement l’humanité émerge mais aussi toutes les espèces vivantes (cf. Gn 2, 19). Lors donc que les conditions du ciel et de la terre sont réunies : «Alors Yahvé Dieu modela l’homme avec la glaise du sol, il insuffla dans ses narines une haleine de vie et l’homme devint un être vivant.» La «glaise» terrestre pour expliquer le corps et «l’haleine de vie» pour rendre compte de l’âme spirituelle.

Une remarque à souligner à propos de la création de ce “premier” homme. Spontanément et en lien avec l’interprétation littérale issue de la tradition, nous pensons qu’il s’agit d’Adam. Mais tout au long de son récit, l’auteur l’appelle «l’homme» et ce n’est qu’au chapitre 4, verset 25, que le nom d’Adam est mentionné en tête de la généalogie des patriarches. Il en est de même pour «la femme» qui reçoit le nom d’Ève seulement après la sortie d’Éden (Gn 3, 20). Ce détail révèle l’intention de l’auteur. Le récit de la création de l’homme et de la femme ne vise pas à référer à des personnages historiques mais, plus subtilement, à l’être humain en général, à la formation archétypale du genre humain.

Il en est de même du lieu où il campe toute la scène. Inutile de chercher l’Éden quelque part sur le globe terrestre car il désigne la vie intérieure. L’orient, où le scribe situe le jardin, symbolise l’origine, la source de toutes les réalités, les invisibles aussi bien que les visibles. C’est le sens que j’induis entre autres de la description des fleuves du jardin . «Un fleuve sortait d’Éden pour arroser le jardin et de là, se divisait en quatre bras» (Gn 2, 10). Les deux premiers fleuves, le Pishôn et le Gihôn, sont légendaires et symbolise l’invisibilité, tandis que les deux autres, le Tigre et l’Euphrate, existent concrètement et visiblement.

Ce qui confirme que l’Éden signifie l’intériorité humaine originelle, c’est le fait que ce soit le Créateur qui plante le jardin. Ce que Dieu plante, ce ne sont pas des végétaux mais des qualités, des dons spirituels, des nourritures pour l’âme. Les deux arbres au milieu du jardin, «l’arbre de vie… et l’arbre de la connaissance du bien et du mal» ne sont pas des arbres fruitiers. Dans le monde objectif, les fruits que donnent les végétaux sont absorbés par les viscères pour alimenter le corps. Tandis que les fruits de «vie» et de «connaissance» sont une nourriture pour l’âme. Ils ressortent de l’ordre moral, de la conscience religieuse.

Finalement à ce chapitre, la présence de Dieu dans le jardin planté pour l’homme confirme encore le sens symbolique de l’Éden. Car ce ne peut être dans le monde tridimensionnel extérieur que l’homme peut vivre en présence de son Créateur et dialoguer familièrement avec Lui. Dans l’humanité originelle comme dans l’humanité d’aujourd’hui, l’être humain s’unit à son Dieu, comme à sa Source, en plongeant dans son intériorité, dans son cœur. Il ne trouve pas Dieu dans le “ciel” cosmique ou dans un temple consacré à une idole mais bien en lui-même.

Une chose remarquable à relever de ce deuxième récit de la création, c’est que l’auteur laisse entendre que la Présence de Dieu dans l’Éden intérieur des humains originels pouvait être plus ou moins intense. Car il fait allusion à une certaine fluctuation de la relation intérieure à Dieu par la précision que l’homme et la femme «entendirent le pas de Yahvé Dieu qui se promenait dans le jardin à la brise du jour» (Gn 3, 8). Le va-et-vient d’une promenade fait que les pas du “Marcheur” peuvent se rapprocher et s’éloigner, ce qui a pour effet une fluctuation de la présence divine. Cette promenade se fait «à la brise du jour», c’est-à-dire que son intensité dans la conscience peut être plus ou moins influencée par les contingences extérieures.

Deux raisons d’ordre mystique justifient cette variabilité. La première implique que la relation familière de l’humain originel avec Dieu n’était pas encore la vision béatifique, contrairement à ce que les spéculations théologiques du passé ont pu soutenir, car cet état aurait empêché l’exercice d’un choix libre puisque le Sujet divin visé par la liberté aurait été acquis en permanence et immuablement. Deuxièmement, si Dieu a “planté” un jardin de dons spirituels dans l’intériorité de l’être humain, c’est pour qu’il le cultive, le développe, le fasse fructifier (cf. Gn 2, 5; 3, 23) par son travail, à l’intérieur comme à l’extérieur de lui-même. Car dans l’optique d’un unique Acte créateur qui s’étale pour nous dans le temps et l’espace, la création n’est pas terminée, elle est toujours en cours d’être créée. L’humanité n’est pas encore achevée. Elle a évolué dans le passé et évoluera encore dans l’avenir jusqu’à ce qu’elle parvienne à épouser la “forme” du projet divin, soit l’immortalité. Nous sommes des êtres en devenir. Le Créateur continue de nous “améliorer”, à partir de notre vie intérieure et en collaboration avec notre libre arbitre, pour que nous parvenions à évoluer jusqu’à la perfection de «la ressemblance de Dieu».

La chute

L’analyse précédente, bien que très sommaire, constitue une approche éclairante pour comprendre le récit de la chute originelle. De toute évidence, ce qui est en cause, c’est la relation intérieure de l’être humain avec son Dieu. La réponse d’Ève au serpent —«Nous pouvons manger du fruit des arbres du jardin. Mais du fruit de l’arbre qui est au milieu du jardin, Dieu a dit : Vous n’en mangerez pas…» (Gn 3, 2-3)— montre qu’un monde objectif est en place avant la chute, un monde d’objets distincts les uns des autres qui donne la possibilité de faire des choix. La réponse de la femme au serpent précise qu’elle peut choisir tout ce qu’elle veut dans le monde extérieur, sauf «l’arbre de la connaissance du bien et du mal» que Dieu a interdit.

Dans mon ouvrage, je soutiens que la liberté humaine peut être “relative” ou “absolue” en dépendance du domaine dans laquelle elle est exercée (L’évolution de l’Alpha à l’Oméga, pages 217, 245). La liberté est dite “relative” lorsqu’elle permet de faire des choix entre divers objets (matériels et culturels) dans le monde extérieur. Elle est par contre “absolue” lorsqu’elle choisit entre le Oui ou le Non au développement de la vie en soi, à l’épanouissement intérieur, qui, en bout de ligne, équivaut à un Oui et un Non à la volonté divine.

Cette distinction permet d’emblée de comprendre le dilemme auquel l’humanité a été confrontée dès l’origine : l’objet extérieur ou la vie intérieure? Les premiers humains ont opté pour l’objet «séduisant à voir et désirable pour acquérir le discernement» (Gn 3, 6). Mais pour ce faire, ils ont dû faire taire leur conscience intérieure qui le leur interdisait, se coupant ainsi de leur relation privilégiée avec le Créateur de la vie. Et c’est ainsi qu’ils ont inauguré le développement d’une civilisation humaine fondée sur l’acquisition de l’Objet au détriment du culte intérieur de la Vie. (Pour un plus ample développement de ce discernement, voir particulièrement le 24e entretien «La chute» dans L’évolution de l’Alpha à l’Oméga, page 275.)

 

 

 

7 réponses à Le «phénomène d’objectivation» dans la Genèse

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