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…Le Corps qui fait Dieu

L’Eucharistie, quel mystère! Mettons notre mémoire, nos doctrines, nos préjugés, nos connaissances et nos ignorances entre parenthèses. Juste un petit moment! Histoire de voir avec des yeux neufs et entendre avec des oreilles vierges des mots et des gestes dont deux millénaires de culture religieuse ont éculé le sens et émoussé l’impact. Supposons donc que je vous dise, en vous regardant droit dans les yeux et en montrant une bouchée de pain que je tiens entre les doigts: «Ceci est mon corps!» Que penserez-vous? Probablement, que j’ai perdu la tête, que je délire. Mais vous savez que je ne suis pas fou. Mon affirmation vous semblera tellement irréelle, farfelue même, que vous supposerez une blague!

L’archevêque Rowan Williams de Canterbury, chef spirituel de la communion anglicane mondiale, célébrait le 16 mars 2012 l’Eucharistie dans l’église épiscopale de St-Paul-Hors-les-Murs de Rome. Il annonçait à cette occasion qu’il se retirait de son poste après 10 ans de service (photo CNS/Giancarlo Giuliani, Catholic Press Photo).

C’est pourtant bien ce qui a été dit dans un petit cercle d’amis un certain jeudi soir, il y a près de 2000 ans. Et personne n’a ri. Toutes les personnes présentes au repas bien réel qu’ils partageaient ont cru à cette parole.

Il faut dire que ce n’était pas Paul Bou­chard qui la leur disait. C’était Jésus de Na­zareth. Du plus sé­rieux! Depuis trois ans déjà que les Apôtres bourlinguaient avec lui, ils savaient que sa foi pouvait soulever des montagnes.

Et il n’avait pas fini de les étonner. Pensez donc! Il ne s’est pas contenté de leur dire que le pain était son corps, il leur a donné l’ordre d’en manger.

Manger le pain ou le corps? Le corps, voyons! Ce n’est plus du pain, ont-ils cru, c’est Son Corps… son corps de chair et de sang!

L’envers de la foi

Il faut dire que tous ses disciples n’ont pas voulu le suivre jusque-là. Ils l’avaient pourtant applaudi lors de son discours sur la Montagne. Ils étaient là parmi la foule qu’il avait nourrie avec cinq pains et deux poissons. Ils savaient qu’il avait changé de l’eau en un vin de haute qualité pour une fête de mariage. Ils connaissaient bien l’aveugle-né qu’il avait tiré de ses ténèbres et tant d’autres faits qui démontraient que tout était extraordinaire dans cet homme-là, qu’il était capable de faire des prodiges époustouflants.

Contrairement à ce qui se passe chez tout le monde, on ne pouvait observer chez lui de décalage entre ses paroles et ses actes. Il disait vrai. Et ce qu’il disait, il le faisait. Personne ne pouvait soutenir qu’il avait manqué son coup une seule fois.

«Je suis le pain de vie… Qui mangera ce pain vivra à jamais. Et même, le pain que je donnerai, c’est ma chair pour la vie du monde… Car ma chair est vraiment une nourriture et mon sang vraiment une boisson… celui qui me mange vivra par moi…» (cf. Jn 6, 26-70).

L’archevêque ukrainien de Philadelphie concélèbre la divine Liturgie avec des évêques des Églises de rites orientaux: chaldéen, ruthénien, maronite, arménien, melchite, syriac et roumain (photo CNS/âi; Haring).

Cet enseignement de Jésus dans la synagogue de Capharnaüm a fait scandale dans les rangs de ses disciples. Certains ont jugé qu’il déménageait ou, à tout le moins, qu’il utilisait un langage symbolique. Son truc de changer le pain en son corps et le vin en son sang, ils ne le prenaient pas.  «Elle est dure cette parole! Qui peut l’écouter?» (v. 60). Serions-nous des cannibales, ont-ils laissé entendre?

Jésus n’a pas tenté de récupérer les scandalisés en leur disant qu’ils comprenaient mal et que ses paroles étaient symboliques. Il en remettait encore plutôt: «C’est l’esprit qui vivifie, la chair ne sert de rien. Les paroles que je vous ai dites sont esprit et elles sont vie» (v. 63). Et saint Jean précise: «Dès lors, beaucoup de ses disciples se retirèrent et ils n’allaient plus avec lui» (v. 66).

La réaction de Jésus à ces défections est très significative. Encore une fois, il maintient l’absoluité bouleversante de ses affirmations en se tournant vers les Douze pour leur demander, au risque de les perdre: «Voulez-vous partir, vous aussi?» Une question qui provoquait Pierre: «Seigneur, à qui irons-nous? Tu as les paroles de la vie éternelle. Nous, nous croyons, et nous avons reconnu que tu es le Saint de Dieu» (v. 67-69).

Ce n’est pas un hasard si cette admirable profession de foi a été énoncée dans le contexte du discours de Jésus sur l’Eucha­ristie. Et ce n’est pas non plus par accident que ce soit le chef des Apôtres, Céphas, la pierre sur laquelle Jésus a fondé son Église (cf. Mt 16, 18), qui l’ait prononcé avec une telle ferveur.

Témoignage

C’est encore comme ça que ça se passe de nos jours. Parmi les disciples actuels de Jésus, il y a ceux qui mangent le «Pain de vie» et ceux qui ne le mangent pas! Ceux qui s’en nourrissent et ceux qui n’y croient pas. C’est par cette brèche de la foi que se sont insinuées toutes les hérésies, toutes les divisions, toutes les lésions qui affligent le visage de l’Église.

Cet effet de la croyance ou de la non croyance en l’Eucharistie, je l’ai ob­servé très vite après ma conversion (j’ai déjà vécu deux conversions mais j’aurais besoin d’en vivre une troisième… et une capable encore!). Le croirez-vous? Après des années d’a­théisme, j’ai rencontré Jésus intérieurement, il y a maintenant plus de 40 ans, sans subir l’influence de personne… Sinon de l’Esprit. J’étais seul. Je ne m’identifiais à aucun groupe, institution, religion, ou organisation.

Comme un grand nombre de nos contemporains éloignés de la pratique religieuse, j’avais l’Église catholique en sainte horreur. D’indécrottables préjugés et un long contentieux entretenaient mon allergie.

Mais ce matin-là de mon revirement comme un gant, j’ai cru parce que je me suis souvenu de la parole de Jésus: «Prenez et mangez, ceci est mon corps». Ce qui n’a amené à me confesser à un prêtre et à communier le jour même.

Alors, le temps d’un éclair, le voile s’est déchiré! D’aveugle que j’étais, je suis devenu voyant. J’ai vu l’Église de l’intérieur, la vraie (on ne l’aperçoit pas tant qu’on se cantonne à distance pour ne considérer l’Institution ecclésiale que de l’extérieur). Et je suis tombé en amour avec Elle. Car j’ai compris que le Christ l’avait bel et bien fondée pour libérer le captif —que j’étais— de ses chaînes et nourrir en lui, par son Corps, une vie nouvelle, mystérieuse, cachée dans le «secret du roi» (Tob 12, 7) intérieur.

C’est ainsi que la foi en l’Eucharistie est devenue pour moi un critère de vérité, une assurance contre les déviations de toutes sortes qui guettent ceux qui cheminent dans la foi, un phare qui indique le chemin de la constance vers Dieu.

Le Corps de Dieu

J’ai réalisé par la suite que je ne pouvais pas rester seul dans l’isolement. Car le repas auquel Jésus convie le croyant est inséparable de la communion à la grande famille des croyants. J’ai compris que  le grand Projet eucharistique du «fils du charpentier» de Nazareth était plus vaste que ma petite personne. Il déplafonnait  incommensurablement mon esprit limité par la condition charnelle. En fait, l’univers même ne pourrait le contenir.

Photo CNS/Karen Callaway.

Quel est-il donc ce grand Oeuvre? Ne serait-ce pas de bâtir le Règne de Dieu? Ne serait-ce pas de rassembler dans l’unité tous les enfants de Dieu dispersés? Mais ces mots sont usés jusqu’à la corde, n’est-ce pas? Le temps ne serait-il pas venu de trouver d’autres paroles et inventer un langage nouveau pour le dire?

Dans l’Église, depuis que saint Paul a exprimé son idée là-dessus, on fait le lien entre l’Eucharistie et la construction d’un Corps. Un Corps réel, organisé, biologique en quelque sorte, dont les diverses organes remplissent des fonctions bien précises. Corps immortel qui se forme et grandit au-dessus de l’espace et du temps pendant que, sur la terre, les siècles se succèdent, pendant que des sociétés s’organisent et s’entrechoquent, que des civilisations prennent leur essor et déclinent, que les humains vivent et meurent.

On a qualifié cette Super Réalité de Corps mystique du Christ, non pour dire qu’elle est imaginaire mais pour évoquer son évolution mystérieuse, certes invisible mais non moins et absolument réelle. Chaque croyant représente une cellule de ce Corps, qui en comprend des milliards accumulés dans l’invisible au cours des siècles, et demeure en croissance jusqu’à ce qu’il ait atteint la taille adulte, comme l’explique l’Apôtre, «cet Homme parfait, dans la force de l’âge, qui réalise la plénitude du Christ» (cf. Ép 4, 9-16).

C’est par le baptême d’eau ou de désir qu’ils sont intégrés à ce Corps immense. Ils y sont maintenus vivants par la Vie même de Dieu, c’est-à-dire Son Esprit. Ils sont nourris par le Père qui leur donne à manger le Corps et le Sang de son Fils incarné.

Comment dire encore? Parfois, il faut prendre des moyens détournés pour parvenir à la vision de la réalité. Comme cette croyance qui circule dans les milieux ésotériques et du Nouvel Âge. On estime que ce n’est pas Dieu qui a créé l’homme mais plutôt l’inverse. Que l’homme est le créateur de Dieu.

Cette aberration n’est pas entièrement fausse. Des humains conscients de la dimension spirituelle, même lorsqu’ils se veulent agnostiques, peuvent avoir l’intuition que Quelque chose de divin se développe au travers de l’histoire de l’humanité, au travers de l’évolution biologique et humaine. À cet égard, ils ont raison de croire.

Ce Quelque chose, toutefois, ce n’est pas Dieu Lui-même mais Son Corps. Dieu n’a pas de forme. Les personnes qui vivent une expérience de mort clinique Le perçoivent comme une Lumière vivante indescriptible, un Océan d’amour.

Or, avant que le temps existe, cette Lumière vivante a entrepris de se donner une Forme. Pour ce faire, Elle a créé un univers dans lequel elle a pu s’incarner pour engendrer d’abord la première Cellule —la Tête du Corps, comme l’explique encore saint Paul. Jésus, c’est le Visage que cet Océan d’amour se donne, le Fils que le Père engendre et qui s’est donné Lui-même jusqu’à l’extrême limite de son humanité pour bâtir le Corps de Dieu, l’incommensurable Corps où Dieu est Tout en tous.

Voilà en raccourci, une petite idée, très insuffisante, de la Réalité sublime que les mots ne peuvent pas dire. Jésus nous a dit: «Prenez et mangez mon Corps… buvez mon Sang». Quand nous prenons l’Eucharistie, nous croyons avec raison que nous mangeons le Seigneur.

Mais il y a un autre aspect que nous ignorons peut-être. Ce n’est pas tant que nous mangeons, que nous sommes aussi mangés. Nous sommes mangés par Dieu, assimilés à Son Corps, incorporés à Sa Vie… Sa Vie éternelle. Nous devenons Dieu tous ensemble avec Jésus!

Voir un deuxième article sur ce sujet:  Les miracles eucharistique

 

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