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La réaction de l’Assemblée des évêques catholiques du Québec (AÉCQ) au Programme d’éthique et de culture religieuse du gouvernement en scandalise plusieurs. La bénédiction qu’elle a accordée au cours imposé au primaire et au secondaire à partir de septembre se heurte au sens de la foi (le «sensus fidei») de fidèles catholiques (pas forcément traditionalistes). On n’en revient tout simplement pas que nos pasteurs hissent si vite le drapeau blanc sans livrer bataille face aux assauts larvés du militantisme athée qui compte bien parvenir subrepticement, patiemment, étape par étape, à chasser Dieu pour de bon de notre vie sociale.

Photo Sophie Bouchard

La position que l’AÉCQ a rendue pu­blique à la mi-mars ne devrait pour­­tant pas surprendre. Car elle est tout à fait cohérente par rapport à la ligne de pensée qui domine notre association d’évêques depuis que la «révolution tranquille» l’a fait rentrer dans son trou, comme on dit. On a si vertement houspillé l’Église d’ici pour avoir pris toute la place dans l’histoire collective de notre peuple que maintenant, nos leaders catholiques repentants se “garochent” à plat ventre devant l’idole idéologique de l’État, qui mène tout droit le peuple québécois à l’extinction de sa foi en Dieu dans un premier temps, et à sa disparition de la carte à long terme.

Dans la lettre adressée à la ministre Courchesne parallèlement à sa déclaration publique, l’AÉCQ encense les «avantages appréciables» du projet gouvernemental. Entre autres, on donne du goupillon au fait qu’il respecte le «droit à l’égalité comme valeur fondamentale d’une société démocratique». L’on juge qu’il «de­vrait favoriser le développement d’une meilleure compréhension mu­tuelle entre les tenants de différentes convictions». L’on croit qu’il aidera les enfants, à acquérir «une pensée autonome, critique et créatrice». L’on se réjouit que soient précisées au primaire «les dimensions expérientielle, historique, doctrinale, morale, rituelle, littéraire, artistique, sociale et politique» du «phénomène religieux».

Discours piégés

Beaucoup de mots pour escamoter bien des maux appréhendés chez la jeune génération! La rhétorique est de même mouture que les arguments piégés de l’athéisme militant.

Sous le couvert de la neutralité de l’État et d’un multiculturalisme plus anticipé que réel, les idéologues gouvernementaux montrent allègrement la porte de sortie au volet religieux de notre identité sociétale… Au nom de la démocratie et sous le fallacieux prétexte du respect dû aux autres religions! Mais le respect des autres serait-il conditionné par la négation de soi?

Il ne reste qu’à imaginer le discours creux dont on gavera les esprits de nos chers petits dès le primaire. Les parents soucieux du bien-être psychologique et moral de leurs enfants auront toutes les misères du monde à évacuer le délétère relativisme de la «culture religieuse» appréhendée. En prétendant passer les données de foi au filtre de la raison pour les accomoder aux valeurs démocratiques, les éducateurs ne parviendront qu’à créer une plus grande confusion dans l’esprit des enfants. Mais l’on voudra que les jeunes soient moins mêlés et meilleurs juges que leurs géniteurs.

Que penser, par exemple, de ce magnifique paradigme du programme gouvernemental —l’enfer est pavé de bonnes intentions, a averti Thérèse d’Avila— qui vise à présenter aux élèves du primaire et du secondaire de l’information dite objective sur les diverses religions pour permettre aux futurs adultes de faire des choix éclairés? Le libre choix en matière de morale et de religion comme en matière d’avortement. Fort à parier que cette réduction des religions à des phénomènes sociologiques fera avorter toute velléité religieuse des citoyens de demain.

On se raconte des fables et on y croit. Rien à voir avec les sérieuses exigences morales, psychologiques et spirituelles de toute démarche religieuse.

Mais quoi? On demanderait à des es­prits non encore formés, réceptifs comme de la pâte à modeler, d’être plus sages et plus intelligents que leurs éducateurs? Clairsemés en effet sont les adultes qui atteignent un degré de lucidité décisif qui mène à l’engagement de tout l’être et non seulement au niveau des idées. Ce qui s’appelle la conversion.

Et comment demeurer neutre face aux grandes questions qui hantent l’humanité et auxquelles les diverses religions donnent des réponses d’inégale valeur? Les chrétiens témoignent que le sens véritable de l’existence passe par la foi —implicite ou explicite— au Christ, vainqueur du péché et de la mort, l’unique Sauveur de l’humanité. Peut-on rester neutre quand on se fait du souci pour le salut éternel de ses frères humains? Face à l’absolu de la vérité chrétienne, la pseudo neutralité, c’est l’autre nom de l’athéisme.

Réaction mollasse

Dans sa déclaration et dans sa lettre à la ministre, l’AÉCQ ne manque pas de relever, bien que mollement, plusieurs graves écueils du programme obligatoire. Ce qui me semble particulièrement troublant, toutefois, c’est que l’Assemblée n’estime pas ces «limites et difficultés» assez importantes pour contester son implantation. On l’accepte plutôt comme un fait établi qu’on ne remet pas du tout en question et dont «la difficulté la plus préoccupante porte sur la formation du personnel enseignant», «les ressources humai­nes» et «le matériel didactique requis» pour «une implantation générale dès l’automne 2008».

Ici, on met la priorité sur l’aménagement matériel du programme pédagogique plutôt que sur la formation des jeunes. On est même consentant à ce que les enfants servent de cobayes pendant trois à cinq ans pour permettre de juger a posteriori les effets d’un programme qu’on admet «potentiellement contraignant pour la li­ber­té de conscience». L’AÉCQ estime en effet que «seule l’expérience concrète qui sera faite du programme ÉCR permettra de juger si ses avantages l’emportent sur les limites et quels effets positifs ou négatifs il pourra avoir sur les jeunes».

Doit-on rappeler à nos évêques que les jeunes sont des personnes concrètes, réel­les, dotées d’une âme immortelle et particulièrement fragiles et malléables à un âge où la personnalité n’est pas encore formée? A-t-on le droit de se servir des enfants pour expérimenter et déterminer, comme dans un laboratoire, ce qui marche et ne marche pas au plan moral? D’autant plus qu’en matière de religion, c’est le salut éternel qui est en jeu.

Mais l’AÉCQ ne suggère pas du tout de repousser l’implantation du programme et ne donne pas non plus son aval au moratoire d’un an réclamé par l’opposition officielle du gouvernement libéral. Les évêques plaident plutôt «pour une implantation progressive de ce programme, tout au moins au primaire», ne serait-ce que pour laisser plus de temps pour mieux informer les citoyens et calmer les «parents rébarbatifs, sinon carrément opposés» au programme.

L’expression méprisante de «parents rébarbatifs, sinon carrément opposés» fait  allusion au mouvement d’opposition (CLÉ) qui prend de l’ampleur dans l’Église québécoise, au grand dam de nos évêques, semble-t-il. Ce mouvement n’incite pas à la révolution ou à la révolte. Il préconise simplement le droit à l’exemption prévu dans la Loi sur l’instruction publique (art 222). Un recours que l’AÉCQ désapprouve. Elle estime que «le programme en lui-même ne nous semble pas prêter flanc à une telle contestation».

Église prophétique?

Et voilà comment l’AÉCQ coupe l’herbe sous les pieds de ceux qui s’engagent pour donner du cœur et des mains à la foi chrétienne dans notre société. Dans d’autres contextes, nos évêques n’ont de cesse de redire toute l’importance de l’engagement des catholiques dans le monde. Ils enseignent à bon droit aux laïcs de se faire ferment dans la pâte pour transformer la société de l’intérieur.

Mais lorsque ces derniers décident d’agir ouvertement, ils risquent la désapprobation de notre Assemblée de pasteurs. Elle prêche la solidarité mais elle est la première à se désolidariser et à prendre publiquement ses distances de ceux qui s’engagent, fut-ce candidement, au service du Christ et de son Église.

Dans les homélies, l’Église met en valeur sa mission prophétique dans le monde. Mais quelle est sa pratique en dehors des discours? On peut conclure que notre Église locale a raté encore une fois une belle occasion d’être prophète et de proclamer, du haut de sa tribune, la vérité de l’Évangile, même au milieu d’un monde qui n’en veut rien savoir. Elle a plutôt opté pour le discours des faux prophètes qui flatte les puissants et conforte le mouvement de la foule entraînée par le courrant général vers la dissolution.

Très chère Assemblée des évêques catholiques du Québec, vous risquez de trahir votre peuple en vous rangeant au côté des zélés fossoyeurs de la foi catholique chez nous. Comme nous tous, votre association a grand besoin de se convertir, ne le diriez-vous pas?

Mais ce que je dis-là ne s’applique pas nécessairement à chacun de vous en particulier. Vous êtes tous de bons évêques que nous aimons parce que nous voyons en vous le Christ. C’est votre voix collective, noyautée par quelque esprit mondain, qui fait défaut et trahit votre propre engagement. Et en raison de la solidarité épis­copale, vous n’osez pas exprimer votre pensée profonde.

Il y a pourtant parmi vous une exception. De notre pauvre petit ghetto de fidèles insignifiants et sans culture, on a observé chez vous une dissidence. Pour une fois, paradoxalement, cette dissidence est tout à fait orthodoxe à nos yeux. Il n’est pas surprenant que les prises de positions non conformes du dissident aient été saluées dans le monde par des quolibets. Des insultes que votre vénérable assemblée a sûrement voulu s’éviter.

Mais c’est le cardinal qui a raison. C’est lui, le vrai prophète.

* Article paru dans Le NIC, 13 avril 2008.

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