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Après la désobéissance du couple originel, Dieu se dit en lui-même : « Voilà que l’homme est devenu comme l’un de nous pour connaître le bien et le mal ! Qu’il n’étende pas maintenant la main, ne cueille aussi de l’arbre de vie, n’en mange et ne vive pour toujours ! » (Gn 3, 22). Mystérieuse réflexion, s’il en est !

L’homme-dieu

Voilà que l’homme est devenu… Le verbe devenir est révélateur. L’humanité n’est pas statique. Elle n’est pas toute donnée au départ. Elle DEVIENT… humaine ! Dès le au commencement (1, 1), elle est lancée sur la route du devenir. Elle marche vers une destination dont le Créateur seul définit le parcours.

La création de l’humanité n’est pas instantanée. Elle s’étale dans l’espace terrestre et embrasse tous les temps. Elle est actuellement à l’œuvre dans les personnes dociles aux impulsions transformatrices de l’Esprit créateur et se poursuivra tant qu’elle n’aura pas parachevé sa course à la fin des temps, c’est-à-dire en conclusion de l’Histoire. Ainsi, en devenant de plus en plus humain[1], l’homme est configuré à l’image et à la ressemblance de Dieu.

…comme l’un de nous pour connaître le bien et le mal… L’homme est un hybride de matière et d’esprit. Paradoxalement, l’extraversion a fait avancer d’un cran son évolution bipolaire. Mais à quel prix ? L’aiguillage de la conscience – de la VIE intérieure à la MATIÈRE extérieure – a déchiré le tissu opaque de la réalité visible. Par cette blessure s’est insinué le monde des esprits dans le flou de l’espace céleste. Ces êtres immatériels – les dieux ou anges –  “connaissent” le bien et le mal de manière si radicale qu’ils sont, sous des myriades d’angles et de facettes, le bien ou le mal personnifié.

Je dis bien ou ! Car dans le monde invisible, il n’y a ni amalgame ni compromis possibles. Deux camps irréductibles s’entrechoquent. Et voilà que l’humanité extravertie s’est constituée zone tampon – un “no man’s land” –  du conflit qui sévit sur la face cachée de l’univers ! L’être humain est devenu ainsi l’enjeu du combat des esprits, le champ de bataille d’une guerre à finir.

…Qu’il n’étende pas maintenant la main… La main, c’est l’outil par lequel l’homme s’approprie le MONDE. En exerçant un contrôle sur l’OBJET, la main domine et façonne la réalité extérieure pour qu’elle desserve les intérêts de l’habitat humain. La main est créatrice. Non seulement peut-elle transformer le monde mais elle est le médium par lequel l’homme se construit lui-même. Mais comment la main pourrait-elle d’elle-même achever son ouvrage tant qu’elle ignore les traits de l’homme à venir ? La main a besoin du Créateur pour guider le ciseau qui sculpte la statue humaine.

…ne cueille aussi de l’arbre de vie, n’en mange… Dans l’Éden, l’arbre de vie n’était pas interdit. Tant que l’être humain demeurait abouché à son Créateur, il pouvait consommer son fruit à satiété, c’est-à-dire jusqu’à vivre pour toujours. Mais depuis qu’il s’est détourné de son Auteur, l’arbre de vie est devenu inaccessible. Pourquoi ?

C’est que la main a troqué le SUJET pour l’OBJET, l’ÊTRE pour l’AVOIR, l’intériorité pour l’extériorité. L’homme a certes gagné la MATIÈRE, mais du coup, il en a perdu la VIE. La vraie punition est là : c’est la conséquence du choix de l’homme de se projeter au dehors de son enveloppe corporelle ! Désormais, il ne pourra plus se régaler de VIE et sera tourmenté par une faim inassouvie de VIVRE. Car le MONDE objectif ne pourra jamais produire la plénitude du bonheur que la Source intérieure de la VIE peut seule donner.

…et ne vive pour toujours ! On peut se demander pourquoi le Créateur veut ici empêcher l’humanité de vivre pour toujours ? N’est-ce pas contradictoire par rapport à de nombreux passages de l’Écriture promettant la vie éternelle ?

Dieu ne veut pas d’une immortalité dans la foulée de l’orgueilleuse démesure humaine. Il réprouve tout projet de même mouture que celui des Babéliens, ambitionnant d’élever une Tour  jusqu’aux cieux afin de s’approprier le pouvoir des dieux (cf. Gn 11, 1-9).

Que les choses soient bien claires ! Le Créateur se moque des constructions érigées comme un défi à la Volonté divine, qu’elles soient de l’ordre physique, rationnel ou spirituel. Aucune ne parviendra à court-circuiter le plan de création. Le projet divin vise certes l’immortalité mais le corps immortel est réservé pour la fin. Il n’aurait pas pu être acquis à la force du poignet de l’homme, ni au commencement des temps ni demain grâce aux sciences. Car entre le début et la fin de l’Histoire, l’humanité doit subir une évolution structurale sous la guidance de l’Esprit divin – une croissance ontologique – pour accéder à la Conscience universelle (ou unifiée) du Corps christique[2].

Le renvoi

 Et Yahvé Dieu le renvoya du jardin d’Éden pour cultiver le sol d’où il avait été tiré. Il bannit l’homme et il posta devant le jardin d’Éden les chérubins et la flamme du glaive fulgurant pour garder le chemin de l’arbre de vie » (3, 23-24).

La porte de l’ORIGINE est désormais fermée. La quête nostalgique de l’innocence perdue ne mènera nulle part. Par ses seules forces, l’être humain ne pourra jamais retrouver le chemin de l’Éden intérieur. Dieu l’en garde parce que sa structure charnelle ne résisterait pas au feu de l’habitat angélique. Donc, pas de nirvana entériné par le Créateur ! Pas de régression illusoire avant le MONDE, avant l’existence, avant l’ÊTRE ! Pas de béatitude dans le néant !

L’homme n’a plus d’autre choix que de se projeter en avant. Son destin ne pourra se résoudre que vers le devenir. Là où il a mission de cultiver le sol pour évoluer en pétrissant la matière dont il est tiré ; là où le temps finit par arranger toutes choses en les propulsant vers l’achèvement parfait et final de l’Acte créateur.

Deux voies

Dans ce monde terrestre où l’homme est comme jeté pour un temps d’épreuves, deux routes s’ouvrent désormais : le chemin ardu vers la perfection par la poursuite du bien et celui du laisser-aller sur la pente du mal. Ces deux voies marquent la nature même de l’espèce de sorte que durant toute la trajectoire historique, les humains de tous les temps sont individuellement confrontés au choix du chemin à parcourir. Toute leur vie, ils pourront osciller entre le bien et le mal, leur destination finale ne se fixant qu’à la fin de l’existence.

L’expulsion d’Éden n’implique donc pas que la création de l’humanité ait été un échec. Certains commentateurs ont interprété l’exil du premier couple sur la Terre comme un effet de la colère d’un dieu abandonnant sa créature de pointe à toutes les misères du monde en représailles contre le péché originel. Mais une lecture attentive de la Genèse montre plutôt que le Créateur n’a pas cessé pour autant d’aimer l’humanité ni l’humanité d’aimer son Dieu. Le lien qui unit l’Un à l’autre n’a pas été rompu. Seulement, de joyeux qu’il était à l’ORIGINE, il en a été attristé de manière à donner naissance à des formes nouvelles de l’AMOUR : la miséricorde divine envers le pécheur et le repentir du pécheur envers Dieu.

L’amour, toujours l’amour !

Après l’extraversion, la Genèse illustre la grande sollicitude du Créateur pour l’humanité. Avant d’expulser le couple du jardin, « Yahvé Dieu fit à l’homme et à sa femme des tuniques de peau et les en vêtit » (3, 21). Ce détail anthromorphique veut indiquer que le vêtement fait partie de la nature humaine puisque c’est Dieu qui l’a d’abord fabriqué et en a vêtu les premiers humains. Ce qui démontre le souci du Père éternel de protéger son enfant fragile et vulnérable des adversités inhérentes à la matérialité du monde.

Ce lien d’AMOUR est encore manifesté par une Ève repentante qui enfante des fils de par Yahvé. Quand à Adam, le Créateur  « le fit à la ressemblance de Dieu », rappelle le scribe après le récit du meurtre d’Abel. Parvenu à l’âge adulte (soit à 130 ans, précise-t-il pour accréditer le mythe), Adam « engendra un fils à sa ressemblance, comme son image » (5, 1-3), transmettant ainsi génétiquement la ressemblance de Dieu à sa descendance.

Son petit-fils Énosh « fut le premier à invoquer le nom de Yahvé » (4, 26). Dans la lignée de Seth, « Hénok marcha avec Dieu, puis il disparut, car Dieu l’enleva » (5, 24). Noé aussi « marchait avec Dieu » (6, 9), ce qui lui valut avec sa famille de survivre au déluge. Et que dire d’Abraham et de la série des Patriarches qui trouvèrent grâce devant Dieu et dont l’AMOUR est récompensé par une généreuse prospérité et une nombreuse postérité ?

Les deux frères

Parallèlement au bien transmis génétiquement en s’affinant de génération en génération, la Genèse évoque aussi la progression du mal à partir du début historique de l’humanité. Non pas à partir de la faute commise par le couple en Éden[3]. Car ce n’est pas l’extraversion de la conscience en elle-même qui est directement la cause du mal moral. Comme nous l’avons vu, l’auteur du récit biblique présente les personnages d’Adam et Ève sous un angle en somme positif, celui de la réconciliation et du service de Dieu.

C’est par leur descendance immédiate qu’est initiée la voie du mal. Le meurtre d’Abel par Caïn en est la première manifestation. Par ce mythe des frères rivaux, la Genèse fait l’autopsie du péché « passible de mort » (2, 17).

L’offrande du cadet

Abel était « pasteur de petit bétail » (4, 2). Il offrait « des premiers nés de son troupeau, et même de leur graisse » (4, 4), raconte le scribe. Il souligne ainsi la générosité du don qui sacrifie non seulement les prémices de la VIE mais la partie la plus concentrée en énergie vitale, et donc, la plus précieuse : la graisse. En immolant la vie animale, c’est l’Auteur de sa propre vie, – cette vie biologique haussée au niveau de la liberté humaine – qu’il célébrait.

Abel rend un culte à la VIE, à l’ÊTRE, à la beauté, à l’intériorité du RÉEL. On l’imagine à paître son troupeau sur le flanc des montagnes. Il contemple la création façonnée par les mains du Créateur comme un TOUT dans lequel il est amoureusement plongé. Abel plait à Dieu parce qu’il rend grâce à la VIE.

L’offrande de l’ainé

Caïn, quant à lui, offrait « des produits du sol ». Ce que Dieu n’agréait pas. Car ses offrandes QUANTITATIVES ne le rendaient pas plus vivant, donc, pas heureux. La raison d’être des biens terrestres est de maintenir la VIE dans l’axe horizontal de l’espace et du temps. Ils ne permettent pas le dépassement QUALITATIF dans l’axe vertical pour accéder à une VIE[4] plus haute. C’est sur cet axe de croissance que son frère cadet était établi. Il en était jaloux parce qu’il vivait plus intensément que lui.

Yahvé dit à Caïn : “Pourquoi es-tu irrité et pourquoi ton visage est-il abattu ? Si tu es bien disposé, ne relèveras-tu pas la tête ? Mais si tu n’es pas bien disposé, le péché n’est-il pas à la porte, une bête tapie qui te convoite, pourras-tu la dominer ?” » (4, 6-7).

Caïn est déprimé parce qu’il est en quête de biens terrestres dans l’axe horizontal de la matérialité. Ce qui revient à dire qu’il est replié sur le passé de la création. Car les biens qu’il peut acquérir ne sont pas une fin en soi puisque rien de ce qui existe hors de lui-même est un produit final de l’Agir créateur. Tout a été créé par Dieu en vue de son existence propre, en vue de rendre possible la création humaine. Caïn est le dernier maillon d’une chaîne qu’il est appelé à prolonger et non à exploiter. Son repli sur l’évolution PASSÉE de l’univers constitue une entrave à sa croissance vitale au PRÉSENT et donc, une disposition contraire à l’intention du Créateur. Dieu le voudrait debout et fier sous son regard, en marche vers un parfait accomplissement sur le chemin de la VIE.

Mais Caïn s’y refuse. Il choisit la route du terrestre. La stagnation plutôt que l’évolution ! C’est la voie de la tentation et du péché. La tentation de profiter du passé de la création pour jouir de ce qui est acquis plutôt que de s’ouvrir à ce qui n’existe pas encore en marchant vers l’inconnu du projet divin.

Or, quel est ce passé de l’homme ? La tentation issue du passé immédiat de la création humaine provient du deuxième étage de la Maison de la vie. Elle surgit du niveau animal, la racine charnelle de l’être humain. Pourras-tu dominer cette bête tapie qui est en toi et te convoite, demande le Créateur à Caïn ?

C’est ainsi qu’une fois consommé, le péché ravalera la dignité rationnelle de l’être humain à une économie vitale dépassée, celle des sens qui déterminent le comportement du règne animal. Voilà l’aboutissement du parcours de la chute originelle : de l’esprit à la matière, du rationnel au sensoriel.

Caïn ne résiste pas à l’appel des sens. Il s’adresse alors à son frère : « Allons dehors… » (4, 8). L’invitation vise à faire sortir Abel de sa contemplation intérieure. Viens me rejoindre dans le monde extérieur où je suis devenu riche en sensations fortes cependant que tu rumines ta vie en mouton, pourrions-nous paraphraser. « …et, comme ils étaient en pleine campagne, Caïn se jeta sur son frère Abel et le tua » (4, 8).

Le mauvais héritage

Yahvé dit à Caïn : “Où est ton frère Abel ?” Il répondit : “Je ne sais pas. Suis-je le gardien de mon frère ? Yahvé reprit : “Qu’as-tu fait ? Écoute le sang de ton frère crier vers moi du sol ! Maintenant, sois maudit et chassé du sol fertile qui a ouvert la bouche pour recevoir de ta main le sang de ton frère. Si tu cultives le sol, il ne te donnera plus son produit : tu seras un errant parcourant la terre” »  (4, 9-12). 

C’est à partir de ce crime que la Genèse décrit l’escalade du mal dans l’humanité. Le péché a déchiré les liens reliant Caïn à la nature terrestre. Il s’en trouve déboussolé, déraciné et ne sait pas où le mènent ses pas.

Caïn « devint constructeur de ville » (4, 17), avertit la Genèse. Comparativement à la vie pastorale, la vie en ville, c’est l’artifice par excellence. Caïn devint ainsi l’initiateur d’un contexte contre nature, exclusif à l’humanité. Celui d’une société conditionnée par les convoitises désordonnées du pouvoir, de l’argent et du plaisir, que les évangiles appellent le MONDE.

Dans la lignée de Caïn se trouvent les ancêtres de tout ce qui fait l’incontournable société mondaine : des artistes, des ouvriers, des agriculteurs, des forgerons. En un mot tout ce qu’il faut pour faire un monde sans compas, qui erre sans but à vau l’eau. La descendance directe de Caïn se termine avec Lamek. Il entonne pour ses deux femmes un chant barbare qui illustre la croissance extrême de la violence dans la lignée caïnite.

Lamek dit à ses femmes :
Ada et Cilla, entendez ma voix,
femmes de Lamek, écoutez ma parole :
J’ai tué un homme pour une blessure,
un enfant pour une meurtrissure.
C’est que Caïn est vengé sept fois,
mais Lamek, septante-sept fois »
(4, 23-24).

De Caïn à Lamek, la justice vengeresse passe de 7 à 77 fois. Le mal moral est devenu si profond qu’il faudra un cataclysme universel, le déluge, pour éradiquer sa nocivité et permettre un nouveau départ, une renaissance de l’humanité sous les nuances de l’arc-en-ciel.

À suivre : Le déluge   


[1] Humain dans le sens de bienveillant, sensible, compatissant, miséricordieux. Dans L’évolution de l’Alpha à l’Oméga (https://www.ac3m.org/?page_id=6174), la démarche évolutive du genre humain dans l’Histoire est caractérisée par une humanisation graduelle. Pour ce point de vue, plus l’homme est humain, plus il devient divin.

[2] Le sens de cette affirmation est illustré sous une forme graphique au 24e article à https://www.ac3m.org/?p=11248. L’humanité doit d’abord évoluer jusqu’au plafond du troisième étage, le monde de la conscience réfléchie, avant de s’établir au quatrième étage de la Maison de la vie. Le déplafonnement requis pour accomplir ce bond prodigieux a déjà été effectué par la Croix (mort et résurrection) de Jésus, qui est devenue ainsi le passage obligé vers le monde de la conscience unifiée, appelé aussi Corps mystique du Christ ou Corps de Dieu

[3] Dans la présente recherche, je fais une distinction conséquente, en toute cohérence avec la Genèse, entre l’homme et la femme du jardin d’Éden et les premiers humains de notre espèce biologique. Dans le récit biblique, les noms d’Adam et Ève n’apparaissent qu’après l’expulsion d’Éden pour marquer le début historique de l’humanité. Tandis que les termes génériques d’homme et de femme  sont utilisés par l’auteur du mythe biblique pour identifier le couple du Jardin. Il laisse ainsi entendre que c’est l’humanité en général dont il est question. Une humanité de tous les temps, peut-on induire, qui commet collectivement la “faute originelle” en développant prioritairement une conscience tournée vers la MATIÈRE extérieure au détriment d’une conscience axée sur la Source intérieure de la VIE.

[4] Voir les graphiques du 24e article.

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