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L’épreuve de la liberté – représentée par le choix du couple de la Genèse d’expérimenter le bien et le mal par la voie des sens – se répercute dans le genre humain tout entier. La transmission d’une génération à l’autre de cette “tache originelle”, toutefois, ne s’effectuerait pas par hérédité, comme une tare génétique en quelque sorte. Elle passerait par la médiation du contexte collectif, à la fois moral et environnemental, de la vie humaine : le MONDE

« …ils cousirent des feuilles de figuier et se firent des pagnes » (Gn 3, 7).

Le MONDE exclusif de l’homme est artificiel en ce sens qu’il n’est pas voulu comme tel par le Créateur. Il est la production d’une humanité qui poursuit son destin indépendamment de la Volonté divine.

La désobéissance à Dieu qui a créé ce MONDE n’est donc pas chose du passé. Un présumé premier couple n’en porte pas toute la responsabilité. Tous les temps de l’Histoire en sont complices.

Le MONDE s’est mis en place progressivement à partir du tout début de l’humanité préhistorique. Et il est plus que jamais actuel. Sa réalité s’amplifiera dans l’avenir jusqu’au désastre terminal de sa déviance sous le chapeau d’incontournables déterminismes : les convoitises désordonnées du plaisir, du pouvoir, de la richesse. Des quêtes qui incitent l’individu humain à développer un MOI calqué sur les apparences extérieures pour se tailler une place, coûte que coûte, dans la société. Cet égocentrisme viscéral biaise le projet créateur en détournant la croissance intérieure de la personne du JE de l’ÊTRE.

Multiplié à l’échelle collective, l’EGO fait que la légitime dimension sociale de l’humanité se trouve de plus en plus  investie par ce qu’il est convenu d’appeler “l’esprit du MONDE”. Tant et si bien que l’activité humaine conforme à la culture mondaine implique un détournement de l’énergie vitale de sa trajectoire naturelle, un recul antérieur à l’acquisition de la rationalité.

L’évolution animale

Pour comprendre cet effet pervers, considérons l’économie vitale du niveau sous-humain de la Maison de la vie[1]. Au deuxième palier, les espèces animales doivent s’adapter à un territoire limité, une niche environnementale qui leur est propre. Pour survivre, sécuriser leur espace vital et assurer leur croissance, elles doivent rivaliser entre elles et sont contraintes de se combattre à la vie et à la mort.

Leur violence, toutefois, est dirigée contre les autres espèces. Le lion dévore la biche pour se maintenir vivant mais jamais un autre lion, même s’il meurt de faim. Son héritage génétique le lui interdit.

Cet instinct de préservation de l’espèce provient de ce que la substance vivante – le dynamisme intérieur des organismes – est orientée vers l’extérieur où, face aux obstacles et contraintes de la finitude matérielle, elle tend à dépasser les structures biologiques existantes en explorant de nouveaux embranchements évolutifs. Si bien que le mouvement naturel d’extériorisation de cette énergie empêche la régression à contrecourant qu’impliquerait le retour mortifère du spécimen contre son espèce.

Détournement de vie

Or, cette loi de la substance vivante est faussée dans l’humanité par les valeurs à la remorque de l’esprit mondain. Pour satisfaire les convoitises désordonnées, il s’avère fatal que l’homme exploite l’homme et en vienne à exercer une violence meurtrière contre son espèce. Les évidences de toutes les époques de l’Histoire démontrent que le genre humain est la proie de mécanismes autodestructeurs qui produisent le mal tant physique que moral. Comme les guerres des sociétés entre elles qui imposent à des frères humains de s’entretuer pour maintenir ou étendre la  domination des États sur un territoire donné[2].

Guerres, génocides, injustices, meurtres, viols, tortures, cruautés indicibles, crimes contre l’humanité… Ce sont là des sévices d’un MONDE qui bifurque de la voie du progrès voulue par le Créateur. En attribuant à l’homme une conscience rationnelle capable de guider l’action vers le Bien ultime, Dieu l’a élevé au-dessus des rivalités et des combats des espèces pour la survie. Établie seule de son genre sur la planète entière, l’humanité peut disposer d’une surabondance de biens terrestres pouvant être partagés équitablement entre tous. Une vérité décisive sur laquelle la Genèse insiste à grands traits.

Dieu dit : “Faisons l’homme à notre image, comme notre ressemblance, et qu’ils dominent sur les poissons de la mer, les oiseaux du ciel, les bestiaux, toutes les bêtes sauvages et les bestioles qui rampent sur la terre” » (Gn 1, 26).
« Dieu les bénit et leur dit : “Soyez féconds, multipliez, emplissez la terre et soumettez-là, dominez sur les poissons de la mer, les oiseaux du ciel et tous les animaux qui rampent sur la terre » (v. 28).

Le deuxième récit confirme cette suprématie sur la nature lorsque Dieu présente à l’homme toutes les espèces animales « pour voir comment celui-ci les appellerait : chacun devait porter le nom que l’homme lui aurait donné ». L’homme de la Genèse parvint à nommer « toutes les bêtes sauvages mais pour un homme, il ne trouva pas l’aide qui lui fût assortie » (Gn 2, 19-20).

Domination intérieure

L’homme originel est établi en maître et seigneur sur la planète entière et n’est pas soumis aux conditionnements du monde animal. Au contraire, il est ordonné à les dominer non seulement à l’extérieur mais à l’intérieur de lui-même.

Car du fait que son côté physique ait été modelé comme les animaux « avec la glaise du sol » – c’est-à-dire en définitive, par le médium de l’évolution biologique –, l’être humain doit refréner par la raison les inclinations instinctuelles provenant du monde inférieur. Dans l’état d’innocence, il y serait parvenu facilement avec le soutien de la grâce divine.

Vulnérabilité du corps

Mais qu’en est-il pour la domination du monde extérieur ? Si l’on considère encore une fois le contexte historique de l’apparition des premiers humains sur la Terre, on a peine à imaginer qu’ils auraient pu dominer la férocité des bêtes et les soubresauts violents de la nature terrestre. Selon la description biblique, ils étaient nus et sans défenses.

Considérons la fragilité du corps humain en regard des menaces extérieures. Il n’a aucune protection, ni fourrure ni carapace pour faire face aux inévitables intempéries et survivre aux fluctuations climatiques extrêmes. De plus, les prédateurs de toutes sortes sont dotés de puissants organes d’agression pouvant anéantir toute velléité défensive d’un organisme qui n’a ni griffes ni crocs, un bipède par surcroit qui ne peut rivaliser de vitesse avec les quadrupèdes les plus agressifs.

Domination extérieure

On pourra objecter qu’à l’origine, selon la Bible, le premier couple vivait dans le paradis terrestre où toutes les espèces se nourrissaient d’herbe (cf. Gn 1, 29-31). Mais ici, on doit se souvenir que l’Éden représente un contexte de vie aménagé spécialement par le Créateur dans l’intériorité humaine et non dans le monde extérieur.

Or, la Bible ne dit pas que Dieu aurait créé deux mondes objectifs, l’un végétarien avant la chute, l’autre carnivore après. Il n’a créé qu’une seule réalité que nous puissions connaître. Les lois édictées par le Créateur qui déterminent l’existence de l’univers avant l’apparition de l’espèce humaine ne sont pas devenues subitement caduques et réinitialisées sous une autre forme à la suite de la chute.

Mais alors, comment imaginer le pouvoir de domination du monde terrestre accordé à l’homme dans la condition d’innocence ? On peut comprendre que ce pouvoir provenait d’une faculté intérieure dépendante de la Présence divine. Si la relation avec la divinité n’avait pas été perturbée par la chute, l’humanité aurait pu exercer ce pouvoir pour faire face aux adversités de toute nature inhérentes au monde terrestre. L’évolution humaine se serait alors poursuivie spirituellement plutôt que de prendre la tangente de la protection contre les revers et dangers dus à la matérialité par le seul moyen d’outils et autres inventions de l’ingénierie humaine[3].

Pour évoquer un tel pouvoir intérieur, on peut citer le cas des saints qui ont su dominer le monde sous-humain par la seule force de leur volonté. Par exemple, François d’Assise prêchant au redoutable loup de Gubbio ou Martin de Pores apprivoisant les vermines pour les mener hors du couvent. En développant en eux la Présence divine, ces humains ont pu réinitialiser, sans peut-être même s’en rendre compte, un pouvoir latent de contrôle non-violent sur la nature.

L’hagiographie chrétienne fait encore état de saints et de saintes qui ont expérimenté une perception lumineuse et profondément significative de la nature qu’ils associaient au paradis terrestre. L’induction de certaines drogues peut aussi produire des effets comparables à l’expérience édénique des saints.

Dans ces exemples, le monde objectif demeure le même. Qu’il soit perçu par le saint ou le drogué, il n’est pas subitement transformé par leurs facultés sensorielles. Ce qui prouve que les lois de gouvernance de l’univers visible n’ont pas été modifiées par le péché originel.

La construction humaine

Mais alors, qu’est-ce qui a changé ? Une évidence : l’intériorité, la subjectivité ! L’état moral est décisif en regard de la perception. Bien que les humains puissent voir la réalité extérieure par le même organe, ce que l’œil perçoit est interprété conformément aux dispositions intérieures du sujet.

L’on peut concevoir toute l’ampleur de la divergence de perception subjective lorsqu’il s’agit de choisir la base fondamentale sur laquelle se construit la personne humaine. Dès le tout début de notre espèce, révèle la Genèse, l’humanité a été confrontée à un dilemme, une épreuve dont elle n’est pas sortie indemne, hélas ! Devait-elle se développer en prenant appui sur la Présence divine à la source de la conscience intérieure ou s’auto-construire sur la base du monde extérieur de la matière terrestre auquel les sens donnent accès ?

En se laissant séduire par la beauté et la bonté des biens que révélaient les sens[4], les premiers humains ont choisi l’extérieur, donnant ainsi au MONDE son acte de naissance. Et désormais, l’humanité s’affairera à se construire une Tour de Babel dans l’espoir d’accéder au paradis perdu et combler le vide intérieur consécutif à ce choix.

Le choix de l’indépendance

Cette option était interdite parce qu’elle entraîne l’aliénation de la conscience humaine. De sorte que l’être humain est enclin à chercher à tout connaître du monde extérieur mais ne se connaît pas lui-même, ayant perdu le contact avec la Source de l’Être. Il parvient certes à s’approprier le monde matériel à des fins égocentriques mais au prix de l’ignorance de SOI et de la perte du sens de la VIE.

La Genèse confirme d’ailleurs que c’est bien la subjectivité qui est en cause dans la chute, non le monde extérieur. Le serpent s’adressant au couple en fait foi.

Pas du tout ! Vous ne mourrez pas ! Mais Dieu sait que le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront  et vous serez comme des dieux qui connaissent le bien et le mal » (Gn 3, 4).

Le tentateur laisse entendre que Dieu trompe le couple parce qu’il ne veut pas de rivaux. C’est pourquoi le Créateur ne peut leur permettre d’accéder à un degré supérieur de conscience.

Et pourtant, susurre le serpent, elle est bien là devant vous cette réalité divine, mais vous ne pouvez pas en profiter parce que vos yeux ne sont pas pleinement ouverts sur le côté extérieur de la réalité. Ils s’ouvriront si vous n’êtes pas dupes de la menace de mort que vous entendez à l’intérieur. Bien au contraire, si vous décidez audacieusement de sortir de vous-mêmes pour faire votre propre chemin à l’extérieur, c’est le Ciel qui vous attend. Vous serez alors autonomes et pourrez expérimenter le bien et le mal sans vous faire imposer quoi que ce soit.

La femme vit que l’arbre était bon à manger et séduisant à voir, et qu’il était, cet arbre, désirable pour acquérir le discernement. Elle prit de son fruit et mangea. Elle en donna aussi à son mari, qui était avec elle, et il en mangea. Alors leurs yeux à tous deux s’ouvrirent et ils connurent qu’ils étaient nus… » (Gn 3, 5-7).

Leurs yeux se sont effectivement ouverts mais sur une toute autre réalité que celle promise par le serpent. Antérieurement, « tous deux étaient nus et ils n’avaient pas de honte l’un devant l’autre » (Gn 2, 25). Leur désobéissance a pour effet immédiat d’introduire une fausse note dans l’harmonie de la création : la honte de la conscience en regard de la condition charnelle de l’humanité.

« …ils cousirent des feuilles de figuier et se firent des pagnes » (Gn 3, 7). Ainsi, après que leurs yeux se soient ouverts, leur toute première réaction a été de cacher ce qu’ils ont vu. Mais faut-il pour autant imputer à la sexualité le premier péché de l’humanité ?

À suivre

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Notes

[1] Voir les illustrations graphiques du 2oe article intitulé La tentation à https://www.ac3m.org/?p=10973.

[2] La Genèse illustre cette perversion originelle du dynamisme vital par le mythe du meurtre d’Abel faisant immédiatement suite au péché originel.

[3] Je ne soutiens pas ici que le développement technologique de l’habitat terrestre n’aurait pas existé. Mais tout en demeurant le fer de lance du progrès, il aurait desservi prioritairement l’évolution d’une humanité introvertie.

[4] « La femme vit que l’arbre était bon à manger et séduisant à voir… » (Gn 3, 6).

La suite : Les conséquences de la faute (1)

2 réponses à 23- La Genèse revisitée – Évolution biaisée

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