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Était-ce à La Salette, à Fatima ou à Garabandal? Je n’ai pu retrou­ver le contexte d’une parole que Marie adressait à l’u­ne ou l’autre voyante lors d’une ap­parition. Je ne peux donc la citer tex­tuellement. Je devrai m’y référer en m’appuyant sur le souvenir qui m’en reste… sous toute réserve que la mémoire —chez moi particulièrement— est une fa­cul­té qui oublie.

Photo CNS, courtoisie de Jackson & Perkins.

Mais si j’ai perdu la lettre de cette parole, je ne suis pas près d’en oublier l’esprit et son sens profond. Pour la bonne raison qu’elle a été un élément décisif de mon orientation spirituelle.

C’était à un moment, peu après ma conversion, où je cherchais encore le chemin particulier par lequel je pouvais répondre à l’appel de Dieu. Tant de voies s’ouvraient devant moi. Était-ce celle de la miséricorde corporelle envers mon prochain? Celle de l’étude et de la recherche intellectuelle? Celle de l’engagement dans un ordre religieux? Celle du ministère sacerdotal? Celle du mariage?

Je m’attendais à un combat. Mais lequel? Au-delà de ces chemins qui pouvaient donner une couleur particulière à mon cheminement de foi, il y avait surtout la lutte à livrer contre le mal en moi et con­tre l’esprit du monde.

Le monde m’apparaissait alors tellement mauvais, perdu, irrécupérable. J’étais moi-même si pécheur. Et l’Église si délabrée, pitoyable même. Je voyais tout en noir. Mon espérance passait par une rude épreuve. J’étais au bord du découragement et proche de tout lâcher.

C’est alors que j’ai découvert, au cours de mes lectures, ladite parole. Elle a dénoué pour moi l’inextricable écheveau de la liberté dont je ne savais encore que faire.

Lors de l’apparition en question, Marie brossait un sombre tableau de l’état du monde. Elle prophétisait sur l’Église dont les murs s’écroulaient par pans entiers. Mais elle avertissait ses enfants de ne pas chercher à relever ce qui tombait. Elle insistait pour qu’on ne tente pas de maintenir debout ses structures brinquebalantes.

Étrangement, l’avertissement faisait un déclic. C’était la grâce dont j’avais besoin pour sortir de l’impasse. Face aux valeurs conflictuelles qui livraient bataille en moi, je pouvais désormais choisir.

Pourquoi? Parce que Marie laissait entendre qu’il était inutile, et même nuisible, de s’accrocher aux structures dépassées. L’heure n’était pas au conservatisme. Inutile de se mobiliser pour maintenir coûte que coûte les traditions extérieures de la religion et de la vie en société. Improductif aussi de se désoler en considérant avec nostalgie les gloires du passé.

Il fallait plutôt retourner complètement sa perspective et porter son regard vers l’avant. La conversion profonde ne devait pas se limiter à la réforme personnelle; iI fallait aussi convertir sa vision de la réalité.
Car quelque chose de nouveau s’en venait. Quelque chose à laquelle l’on devait se préparer par un esprit ouvert, soit le Règne social de Jésus.

Le neuf, non le vieux

Lorsque l’on veut bâtir une maison neuve sur la même base que la précédente, il faut commencer par démolir l’ancienne, n’est-ce pas? Or, de fondation à l’Église de Jésus-Christ, il n’y en aura jamais d’autre que les Apôtres. Quant à sa démolition, ce n’est pas l’oeuvre de Dieu. Les humains, en connivence avec notre ennemi à tous, s’en chargent.

Mais le fait que la maison de Dieu semble s’écrouler et que le monde s’engouffre dans une obscurité croissante ne doit pas nous faire glisser dans l’angoisse. C’est le signe que Dieu veut construire autrement une Église nouvelle —Sa demeure parmi les hommes— et créer un monde nouveau plus merveilleux encore que l’ancien  (cf. Ap 21, 3 et 5).

Dieu est tout-puissant! La nouvelle création surgira comme une fleur qui pousse sur le tas de fumier du monde présent; l’Église de demain s’épanouira comme une rose dans tous ses éclats au milieu des ruines de l’actuelle! L’heure est à la contemplation de la rose et non aux haut-le-coeur à cause du fumier.

Plutôt que de brailler et critiquer tout ce qui ne va pas en ce monde, nous sommes invités à dépasser la désolation actuelle par l’espérance et la vision de l’à-venir. Nous devons cultiver les germes de la nouvelle réalité qui surgit lentement sous le regard de Dieu et dont on peut déjà, si l’on garde les yeux grand ouverts, reconnaître les pousses, contempler les prémices.

Dans l’Apocalypse, saint Jean ose déclarer: «Que le pécheur pèche encore et que l’homme souillé se souille encore; que l’homme de bien vive encore dans le bien et que le saint se sanctifie encore» (Ap 22.11).
Ne perdons pas notre énergie et ne consacrons pas nos efforts à empêcher le pécheur de pécher. Sans le savoir, par le travail de démolition de l’Église et du monde qu’il accomplit, il rend service à Dieu, il prépare le terrain de  Son oeuvre nouvelle. Et c’est dans le sillage de son activité négative que l’on peut la voir se dessiner. Le démolisseur n’est pas nécessairement et toujours poussé par un instinct de destruction. Il poursuit certaines valeurs qui seront un jour intégrées au monde et à l’Église que Dieu veut faire advenir.

Le positif, non le négatif

Dans son discours eschatologique, Jésus a enjoint ses disciples à se redresser et à relever la tête «parce que votre délivrance est proche» (Lc 21, 28) au moment même où s’abattront sur l’humanité les pires catastrophes, conséquences de ses mauvais choix. Il tient à ce que nous soyons positifs au milieu de l’épreuve de la vie en ce bas monde. Il ne veut pas des saints tristes. Le temps du repli timoré sur notre petit malheur est terminé.

Cessons donc de nous apitoyer. Cependant que le monde agonise et se tord dans l’angoisse de la fin qui approche pour lui, vivons la joie exubérante d’être sauvés. Remercions Dieu de nous avoir choisis pour faire partie du monde nouveau qui vient. Et relevons des têtes remplies de projets, d’imagination et d’audace au service de Son oeuvre.

Notre Seigneur a d’autre part expliqué qu’«on ne met pas du vin nouveau dans de vieilles outres mais à vin nouveau, outres neuves». Eh bien! voilà. Notre orientation est toute tracée. Les devis de notre ouvrage sont déjà dessinés en positif par le Christ. Notre travail consiste à fabriquer des outres neuves que le Fils de Dieu pourra remplir du vin nouveau de son Royaume lorsqu’Il viendra dans toute la splendeur de Sa gloire.

L’action, non la réaction

Efforçons-nous donc de cultiver un regard positif sur la réalité en donnant la priorité à la perception du bon côté des choses plutôt qu’au mauvais. Sinon, notre coeur risque de s’alourdir de tristesse. Il se découragera et finira pas se complaire dans l’amertume.

Ce n’est pas cette dernière orientation que nous devons prendre pour progresser dans une vie spirituelle authentique. En suivant cette voie négative plutôt que celle de bâtisseurs du monde nouveau, nous glisserions dans les attitudes réactionnaires de ceux qui refusent d’avance tout changement. Ou encore, nous nous engagerions dans une lutte passéiste et obscurantiste pour ramener l’ordre antérieur, perçu à tort comme la condition d’une vie sociale et religieuse en accord avec la volonté de Dieu. Et plutôt que de nous ouvrir à l’Esprit Saint, nous en viendrions à radicaliser notre position. Nous nous replierions sur une vision intégriste et étriquée en nous enfermant dans les bornes étroites du fondamentalisme religieux. Nous ouvririons alors toutes grandes les portes au fanatisme. De là à voir éventuellement en Ben Laden un justicier motivé par l’amour de Dieu, il n’y a qu’un pas que certains chrétiens radicaux de notre époque pourraient bien un jour être tentés de franchir.

L’intégrisme est un piège d’autant plus subtil et pernicieux qu’il se camoufle le plus souvent sous les oripeaux d’une fausse justice et d’une sainteté factice. Celles des pharisiens rigoristes que Jésus a tant abhorrées et stigmatisées. Car ces déformations du sentiment religieux durcissent l’âme et la ferme à l’action transformante de l’Esprit.

L’Esprit Saint n’est pas statique. Il n’a pas créé l’univers à l’origine pour ensuite l’abandonner à ses propres ressources. Il est toujours dans l’acte de créer en faisant sans cesse surgir des eaux «vagues et vides» (Gn 1, 1) de ce monde des formes nouvelles. Des réalités qui passent aujourd’hui par la transformation progressive de l’humanité, dans sa dimension sociale aussi bien qu’au niveau individuel.

À l’avant-garde, non à la remorque

Au cours de son histoire millénaire, l’Église n’a pas toujours su discerner l’action de l’Esprit Saint à l’oeu­vre dans le monde. Conséquemment, les hommes au service de l’Institution du Christ n’ont pas toujours su éviter le piège de la résistance au changement. Ce «réactionnarisme» s’est manifesté par un parti pris con­tre toute évolution, fut-elle légitime, de l’ordre social.

Ce qui a eu pour résultat d’amener des générations de chrétiens à combattre farouchement en leur temps des valeurs que les générations suivantes ont ensuite bénies et glorifiées. On a un exemple patent d’un tel revirement opportun avec les valeurs de la Révolution française: égalité, fraternité, liberté. Des idéaux que l’on retrouve aujourd’hui pratiquement chaque jour dans la bouche nos leaders religieux actuels.

Mais à l’époque de la Révolution, ces mots et les réalités qu’ils désignent étaient radicalement condamnés par les tenants du statu quo. Ils les associaient même à l’action du démon parce qu’ils constituaient un refus de l’autorité royale soi-disant d’institution divine et une révolte contre l’ordre social imposé par la classe aristocratique, fut-elle corrompue.

Aujourd’hui, quel chrétien voudrait soutenir un système politique fondé sur l’autorité de droit divin d’un roi? Quel chrétien voudrait encore mourir pour maintenir en place le régime monarchique et lutter jusqu’au sang, comme tant de bons chrétiens de l’époque, pour empêcher l’institution d’une république? Plusieurs ont cru mourir pour le Christ alors qu’ils résistaient en fait aux changements que l’Esprit suscitait au travers même des impies et ennemis de l’Église.

Le chrétien d’aujourd’hui bénit ce que le chrétien mal inspiré d’hier a brûlé avec tant de véhémence. De sorte que dans l’Église de notre époque, l’on ne jure plus que par la démocratie… sans pourtant approuver les terribles excès sanguinaires que le combat de la révolution contre l’ordre établi a entraînés.

Ceci dit pour démontrer que le chrétien ne devrait pas se positionner à la remorque de l’histoire en s’engageant dans des combats d’arrière garde. Et plutôt que de réagir par la négative aux transformations qui surviennent inévitablement, il devrait développer assez de vision pour discerner et promouvoir les valeurs qui sculpteront positivement le devenir humain. Valeurs qui ne sont trop souvent soutenues que par les ennemis mêmes de la foi alors qu’elles devraient être mises de l’avant par des croyants qui ont pour mission d’être des phares dans la nuit de notre monde.

Mais en son temps, Jésus constatait déjà que les fils de lumière ne sont pas aussi futés que les fils des ténèbres. Est-ce une fatalité? Ça pourrait peut-ê­tre changer si…

Note:
* Cet article est paru dans Le NIC, 17 février 2002.

2 réponses à La rose, non le fumier*

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