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L’article précédent a fait ressortir l’inversion des règnes biologiques développés par la substance vivante sur la planète Terre. Le livre de la Genèse illustre ce déploiement vital en attribuant au règne végétal la fonction de cadre indispensable au développement du règne animal. Un milieu environnemental d’autant plus nécessaire que le Créateur désigne la végétation comme nourriture exclusive des animaux et des humains.

«Dieu dit : “Je vous donne toutes les herbes et tous les arbres qui ont des fruits portant semence : ce sera votre nourriture.

«Dieu dit : “Je vous donne toutes les herbes et tous les arbres qui ont des fruits portant semence : ce sera votre nourriture.»

Dieu dit : “Je vous donne toutes les herbes portant semence, qui sont sur toute la surface de la terre, et tous les arbres qui ont des fruits portant semence : ce sera votre nourriture. À toutes les bêtes sauvages, à tous les oiseaux du ciel, à tout ce qui rampe sur la terre et qui est animé de vie, je donne pour nourriture toute la verdure des plantes”, et il en fut ainsi. Dieu vit tout ce qu’il avait fait : cela était très bon. Il y eut un soir et il y eut un matin : sixième jour » (Gn 1, 29-31).

Ce végétalisme imposé d’En-haut est surprenant. Que faut-il comprendre ? Devrions-nous croire que Dieu n’ait créé que des végétaliens ou même des “véganes”[1] ? D’après l’auteur, il semble que c’était la condition initiale de la création ! Car à la fin du deuxième récit, dans le discours faisant suite à la chute, le Créateur confirme ce végétalisme originel.

Maudit soit le sol à cause de toi ! À force de peine tu en tireras subsistance tous les jours de ta vie. Il produira pour toi épines et chardons et tu mangeras l’herbe des champs. À la sueur de ton visage, tu mangeras ton pain » (Gn 3, 17-18).

Donc, selon ces versets interprétés littéralement, les premiers humains cultivaient la terre, se nourrissaient de « l’herbe des champs » et boulangeaient du « pain ». Dans les chapitres suivants, il n’est plus question de nourriture. Il faut poursuivre la lecture jusqu’à l’épisode de Noé pour découvrir une nouvelle donnée à cet égard. Après le déluge, un nouvel ordre mondial est instauré. Le Créateur bénit Noé et ses fils pour un nouveau départ, une renaissance de l’humanité, désormais autorisée à consommer la chair animale.

Soyez féconds, multipliez, emplissez la terre. Soyez la crainte et l’effroi de tous les animaux de la terre et de tous les animaux du ciel, comme de tout ce dont la terre fourmille et de tous les poissons de la mer : ils sont livrés entre vos mains. Tout ce qui se meut et possède la vie vous servira de nourriture, je vous donne tout cela au même titre que la verdure des plantes » (Gn 9, 1-3).

Entre herbe et chair

Étrange, ce végétalisme qui évolue en carnivorisme !  Certaines espèces, entrées végétaliennes dans l’Arche, en seraient ressorties carnivores ? Pour les tendances actuelles, c’est le monde à l’envers, n’est-ce pas ? Ou faut-il encore une fois mettre une telle invraisemblance sur le dos du rédacteur ?

Aujourd’hui, nous savons pertinemment que les espèces animales se nourrissent copieusement les unes des autres depuis les premiers organismes unicellulaires à la base de la chaîne alimentaire de la biosphère. D’autre part, les diverses espèces sont dotées d’organes et d’une forme physique adaptés au type de nourriture dont ils se repaissent. L’appareil digestif du lion ne peut assimiler que les protéines animales. Celui du cheval ne digère que « la verdure des plantes ». Le tigre ne serait pas un tigre s’il ne possédait pas des griffes acérées et des crocs puissants pour dévorer ses proies. Le long cou de la girafe lui serait nuisible si elle devait se nourrir des herbes du sol plutôt que des jeunes pousses au faîte des arbres. Il suit de ces considérations que des espèces végétaliennes n’auraient pas pu devenir zoophages du jour au lendemain, étant dépourvues au départ des caractères biologiques par lesquels les carnivores sont définis.

Quant au genre humain,  peut-on supposer qu’il aurait été végétarien en ses débuts historiques ? Chez les hominidés, Lucy[2] (australopithèque afarensis) était d’une espèce à la fois bipède et arboricole, donc possiblement végétarienne. Son existence remonte toutefois à 3,2 millions d’années, antérieurement à Homo erectus (1,8 million), l’ancêtre immédiat d’Homo sapiens, qui fabriquait des outils et maîtrisait le feu. Non seulement était-il carnivore[3], mais certains fossiles sont marquées par des traces de cannibalisme tandis que d’autres démontrent une prise en charge sociale des handicapés.

Une compilation de récits

Clairement, notre relecture du récit biblique doit bannir toute forme d’interprétation littérale et toute velléité concordiste[4]. Le végétalisme de la Genèse n’a rien à voir avec une description objective des débuts de la vie sur la planète Terre. Ce constat ne devrait toutefois pas faire douter de l’inspiration divine de la Bible. Qu’il nous incite plutôt à chercher, avec un esprit libre de préjugés, ce que l’Esprit Saint veut communiquer au lecteur d’aujourd’hui !

Explorons d’abord du côté de l’exégèse. Selon cette science, le contenu de la Genèse a été compilé à partir de récits rédigés indépendamment ou transmis oralement entre le 8e et le 2e siècle av. J.-C. Ces diverses sources rédactionnelles ont été marquées par les contextes sociologiques du périple historique du peuple hébreu. Ainsi, des exégètes détectent entre 5 et 11 strates de rédaction pour ce livre.

Ne pourrait-on pas alors supposer que la mention du végétalisme originel serait due à un compilateur qui, en colligeant des récits traditionnels, aurait ainsi astucieusement assuré une cohérence et un suivi au livre dans son ensemble ? L’ajout viserait alors à faire le pont entre le premier et le deuxième récit de la création et à articuler les ères pré et post diluviennes.

Cette hypothèse, en dévoilant l’intention du rédacteur, délesterait le texte de sa gangue culturelle pour permettre l’accès au message spirituel que l’Esprit Saint veut communiquer aux humains de tous les temps. Aussi bien ceux qui ont vécu dans les lointains replis de l’Histoire que ceux d’aujourd’hui et de demain !

Caïn et Abel

L’histoire de Caïn et Abel confirme par la négative la thèse de l’ajout tardif  à un récit plus ancien. En ce sens que cet épisode n’est pas cohérent avec le végétalisme, un peu comme s’il avait échappé à l’ajustement contextuel du compilateur. Car dans ce récit, c’est le végétalien qui est le mauvais garçon tandis que le carnivore est valorisé.

Or, Abel devint pasteur de petit bétail et Caïn cultivait le sol. Le temps passa et il advint que Caïn présenta des produits du sol en offrande à Yahvé et qu’Abel, de son côté, offrit des premiers-nés de son troupeau et même de leur graisse. Or Yahvé agréa Abel et son offrande. Mais il n’agréa pas Caïn et son offrande » (Gn 4, 2-4).

Une offrande au Créateur n’a de sens que si elle représente un sacrifice, la privation d’un bien en vue d’établir une communication avec la Divinité. Caïn, le cultivateur, se prive de ce dont il se nourrit par son travail en offrant « les produits du sol ». Or, son offrande est repoussée.

Abel quant à lui « devint pasteur de petit bétail ». Dans un contexte végétalien, l’élevage d’un troupeau ne fait pas de sens puisque la domestication de bêtes vise principalement la consommation de leur chair. Abel offre donc lui aussi ce qu’il a de plus précieux, soit « des premiers-nés de son troupeau » qui assurent la continuité de cette source alimentaire. Il offre « même de leur graisse », est-il précisé. C’est-à-dire que pour plaire à Dieu, il renonce à la partie la plus énergétique de l’animal, une denrée que le corps humain peut stocker en prévision des pénuries. Face à la thèse végétarienne du compilateur, Abel est donc carnivore avant terme, avant l’autorisation post-diluvienne de manger la chair des animaux. Et pourtant, en dépit de cette infraction, c’est son offrande qui est agréée.

Un monde extrême

Ce récit détient pourtant une place très importante dans le discours de facture morale que le scribe élabore. Car le meurtre d’Abel enclenche la production d’une espèce humaine extrémiste. Entre Adam et Noé, le monde est noir ou blanc, sans zones grises. Adam engendre deux lignées humaines, l’une totalement bonne, l’autre totalement mauvaise, de sorte que le bien et le mal sont transmis par les gènes, biologiquement.

Seth, en remplacement d’Abel, engendre Énosh, « le premier à invoquer le nom de Yahvé » (Gn 4, 26). Parmi ses descendants, on trouve Hénok, qui « marcha avec Dieu, puis disparut car Dieu l’enleva » (Gn 5, 24). Noé termine cette lignée bénie. Il « était un homme juste, intègre parmi ses contemporains » qui « avait trouvé grâce aux yeux de Yahvé » (Gn 6, 8-9).

Il en va tout autrement pour la descendance de Caïn. La violence initiale du premier meurtrier s’amplifie d’une génération à l’autre au point que le dernier descendant caïnite décuple la sauvagerie de son ancêtre : « J’ai tué un homme pour une blessure, un enfant pour une meurtrissure. C’est que Caïn est vengé sept fois, mais Lamek septante-sept fois » (Gn 4, 23-24).

Une autre particularité des deux lignées concerne le nombre de générations. La bonne descendance compte 9 générations de Patriarches – un chiffre qui symbolise l’harmonie, la plénitude, la perfection. Cette lignée est d’une longévité extraordinaire. Noé vécut 950 ans. L’homme le plus âgé que la Terre fait partie de cette liste. « Toute la durée de la vie de Mathusalem fut de neuf cent soixante-neuf ans [969], puis il mourut » (Gn 5, 27). Pour la culture vétérotestamentaire, un grand âge constitue la récompense du juste, la résultante d’une soumission sans faille à la Volonté divine.

Tandis qu’il n’est fait aucune mention de la durée de vie des personnages de la mauvaise lignée. De plus, elle ne compte que 6 générations, « un chiffre d’homme » (Ap 13, 18) qui, répété 3 fois (666) devient le chiffre de la Bête et symbolise aussi la plénitude mais dans le mal.

Le déluge

C’est cette dernière population, héréditairement mauvaise, qui sera engloutie par le déluge. Mais grâce à l’obéissance de Noé, il émergera du cataclysme une transformation de toute chair. Sous le signe de l’arc-en-ciel, les êtres vivants proliféreront désormais dans un monde libéré des extrémismes génétiquement déterminés.

Et Dieu dit : “Voici le signe de l’alliance que j’institue entre moi et vous et tous les êtres vivants qui sont avec vous, pour les générations à venir : je mets mon arc dans la nuée et il deviendra un signe de l’alliance entre moi et la terre. Lorsque j’assemblerai les nuées sur la terre et que l’arc apparaîtra dans la nuée, je me souviendrai de l’alliance qu’il y a entre moi et vous et tous les êtres vivants, en somme toute chair, et les eaux ne deviendront plus un déluge pour détruire toute chair. Quand l’arc sera dans la nuée, je le verrai et me souviendrai de l’alliance éternelle qu’il y a entre Dieu et tous les êtres vivants, en somme toute chair qui est sur la terre” » (Gn 9, 12-16).

Cet admirable passage fait pressentir la grande sollicitude d’un Dieu qui prend l’initiative de la réconciliation avec sa création et s’engage dans une « alliance éternelle » avec l’humanité en dépit de la fragilité de « toute chair ». Les axes extrêmes de la vie morale sont désormais atténués, de sorte que le projet du Créateur pourra se poursuivre dans la nouvelle lumière des couleurs nuancées de l’arc-en-ciel.

Le mythe

L’épisode du déluge, bien entendu, ne relate pas un fait historique, n’en déplaise aux fondamentalistes qui cherchent encore l’arche de Noé sur le mont Ararat en Turquie. Trop d’invraisemblances interdisent l’interprétation littérale du récit. Comment concilier les connaissances actuelles et une inondation affectant la planète entière et recouvrant « toutes les plus hautes montagnes qui sont sous tout le ciel » ? Un tel cataclysme aurait laissé des traces géologiques sur toute l’étendue des continents, ce qui n’est évidemment pas le cas. Même une pluie incessante pendant quarante jours et quarante nuits ne permettrait pas d’engloutir les 8 848 mètres du Mont Everest sous « quinze coudées » d’eau (cf. Gn 8, 19-20). Et un improbable bateau en « bois résineux » de 300 coudées par 50 (approximativement 450 pieds par 75) ne suffirait pas à contenir « sept paires de tous les animaux purs » et un couple « des animaux qui ne sont pas purs » (Gn 7, 2), du moucheron au mammouth, avec suffisamment de nourriture végétarienne pour survivre pendant une année entière (cf. Gn 8, 1-13).

Se pourrait-il donc que cette histoire véhicule le vague souvenir d’une catastrophe de la préhistoire ? Toujours est-il qu’un déluge est rapporté par plusieurs cultures très antérieures à la Genèse, depuis l’Inde jusqu’aux Amériques, dont le peuplement remonte à une migration humaine entre le 12e et le 15e millénaire av. J.-C. Quant à la version biblique, elle suit pas à pas, et jusque dans le choix du vocabulaire, le mythe sumérien[5] trouvé sur une tablette d’écriture cunéiforme, datée de 1700 ans av. J.-C., soit plusieurs siècles avant l’Exode du peuple hébreu d’Égypte (vers 1200 av. J.C.). Cet artéfact permet donc d’estimer que le récit biblique a pu être rédigé durant la période de déportation des Juifs à Babylone (-586).

Le sens biblique

L’origine mythique du déluge, ainsi que d’autres histoires de même facture de la Genèse, ne fait aucun doute. Ce qui ne veut pas dire que ces récits soient dépourvus de sens mais que leur signification requiert un décryptage[6]. Car le mythe projette, sous une forme allégorique de faits et de personnages imaginaires ou légendaires, des réponses à des questionnements d’ordre philosophique, métaphysique, social.

Imbu de cette optique, j’en arrive enfin au végétalisme biblique. Pour décoder sa signification, on doit se mettre dans la peau du rédacteur afin de saisir l’intention cachée sous l’accessoire du mythe. Car on ne peut mettre en doute l’inspiration divine qui motive sa démarche d’écriture. Il veut rendre compte de l’intuition que l’Esprit Saint infuse directement dans son intelligence. Il s’agit d’une vision dite “intellectuelle”[7] qui n’est pas articulée en mots. La principale difficulté de sa mission d’écrivain consiste donc à trouver le langage approprié pour communiquer une connaissance divinement inspirée, provenant d’un Au-delà de l’intelligence rationnelle de l’être humain.

Or, le rédacteur ne dispose pas des moyens scientifiques d’aujourd’hui pour adapter son discours à la vérité objective et historique. Il n’a à sa portée que les conceptions de son temps, façonnées par les légendes, les fables, les paraboles et les mythes. Pour exposer l’inspiration inarticulée de l’Esprit, il n’a donc pas d’autre choix que d’utiliser les éléments culturels qui circulent dans son milieu social mais en les transformant de manière à ce qu’ils puissent porter la révélation divine.

On a justement un bel exemple du genre de transformation qu’il a fait subir au récit du déluge pour convoyer son message. La version sumérienne se déroule dans le contexte polythéiste de la gouvernance du monde par les dieux. Le scribe corrige cette conception antique en introduisant une nouveauté, celle d’un Dieu unique, Créateur de l’univers. Dans le récit sumérien, le déluge est amené par « la colère des grands dieux » parce que « le vacarme » des hommes de plus en plus nombreux « perturbait le repos des dieux ». Dans la Genèse, c’est « la méchanceté de l’homme » qui est en cause à la suite du constat par Yahvé que le cœur des humains « ne formait que de mauvais desseins à longueur de journée » (Gn 6, 5).

La bonté de la création

C’est précisément en de telles transformations d’un matériau brut (le récit sumérien) à une pensée nouvelle (le récit biblique) que réside le message de l’Esprit. Pour ce qui concerne le végétalisme, j’avance qu’il relève d’une comparable démarche d’adaptation. Le commentaire arrive un peu comme un cheveu sur la soupe en conclusion des édits de la semaine créatrice. Sept fois, Dieu avait déclaré bon, et même « très bon », tout ce qu’Il avait fait. Mais alors, surgit une question cruciale ! Si Dieu n’a créé que du bon, d’où vient le mal ? Qui est responsable de la souffrance, de la mort et de l’injustice qui sévissent dans le monde ?

Le scribe doit absolument faire valoir que Dieu ne peut pas être la cause du mal sous toutes ses formes. Il est toutefois conscient que l’observateur de la nature pourrait penser qu’il découle de l’instinct animal. Les espèces ne s’entredévorent-elles pas entre elles pour survivre ? Ne doivent-elles pas obligatoirement exercer une domination violente les unes sur les autres et ne sont-elles pas contraintes de “verser le sang” de leur proie dans lequel réside le don sacré de la vie ? Qui ne déplore pas le sort injuste et cruel de la biche broyée sous les crocs du prédateur ?

Mais dans la foulée de ces observations, le mal moral risque d’être interprété comme une inévitable projection des lois de la nature dans la société. Si c’était le cas, il s’ensuivrait que l’humanité ne serait pas responsable des conflits, des rivalités, des guerres, des maux de toutes sortes qui affligent le monde humain. C’est pourquoi le scribe démonte à l’avance un tel argument en soutenant qu’à l’origine, la création subsistait sans violence puisque toutes les espèces animales, incluant l’espèce humaine, se nourrissaient de « l’herbe des champs ».

Création continue

On peut désormais comprendre que le végétalisme biblique constitue une amorce de solution au problème du mal dans la création. À ce titre, il sert adéquatement d’introduction au deuxième récit, consacré plus spécifiquement à la cause du mal dans l’humanité.

Et c’est ici que cette révélation prendra pour nous sa signification authentique. Particulièrement si nous la recevons dans le cadre philosophique de la création continue[8]. Puisque la création n’est pas encore achevée et que le projet du Créateur est actuellement en cours de réalisation au travers de l’évolution de l’humanité, le monde paisible et sans violence symbolisé par la nourriture végétale ne devrait pas être interprété comme une condition initiale mais plutôt comme une réalité en cours de réalisation. La paix sur la Terre ne demeure-t-elle pas une espérance en l’avènement d’un monde meilleur encore à venir ?

Ici, le végétalisme originel se révèle figure prophétique. Car la vision de l’Esprit que le scribe a voulu communiquer au travers de cette image est de même facture que celle exposée par Isaïe quelques siècles avant lui. Il se trouve que le prophète (autour de -760) évoque le projet pleinement achevé du Créateur – soit le monde futur, l’humanité épanouie de demain – sous le symbole des rapports pacifiques entre les espèces carnivores et végétariennes. Et ce qui aura engendré une telle harmonie universelle, c’est « la connaissance de Yahvé », prévue non pas au départ mais en conclusion de l’Histoire. Cette connaissance remplira alors « le pays », précise le prophète, soit l’habitat terrestre de l’humanité, « comme les eaux couvrent le fond de la mer ». Les eaux d’un nouveau “déluge” ouvrant le passage à une Vie nouvelle.

Le loup habitera avec l’agneau,
la panthère se couchera avec le chevreau,
le veau, le lionceau et la bête grasse iront ensemble,
conduits par un petit garçon.
La vache et l’ourse paîtront,
ensemble se coucheront leurs petits.
Le lion comme le bœuf mangeront de la paille
Le nourrisson jouera sur le repaire de l’aspic,
sur le trou de la vipère le jeune enfant mettra la main.
On ne fera plus de mal ni de violence sur toute ma montagne sainte,
car le pays sera rempli de la connaissance de Yahvé,
comme les eaux couvrent le fond de la mer » (Is 11, 6-9).

_________________________________

Notes:

[1] Des distinctions ici s’imposent. Le régime végétarien exclut la viande mais peut inclure les produits laitiers, les œufs et le miel. Le végétalien exclut ces produits d’origine animale. Le “végane” est caractérisé par sa militance pour la protection des animaux et exclut la consommation des sous-produits de l’exploitation d’animaux, comme le cuir, la soie, la laine, la cire d’abeille, les médicaments testés sur des animaux, les cosmétiques contenant des substances animales, etc.

[2] Lucy est le surnom donné à des restes fossiles trouvés en Éthiopie en 1974 par une équipe internationale de chercheurs. Le squelette presque complet a été surnommé ainsi par les scientifiques qui écoutaient la chanson des Beatles Lucy in the Sky with Diamonds le soir sous la tente, en répertoriant les ossements qu’ils avaient découverts.

[3] Selon l’anthropobiologie, la consommation de protéines animales a joué un rôle essentiel dans le développement des circonvolutions du cerveau humain.

[4] « Le concordisme est un système d’exégèse consistant à interpréter les textes sacrés d’une religion de façon à ce qu’ils ne soient pas contradictoires avec les connaissances scientifiques d’une époque. Il s’oppose au discordisme et ambitionne de faire coïncider les résultats scientifiques avec les données des textes religieux, ceux-ci étant soit lus de manière quasiment littérale, soit réinterprétés pour correspondre aux théories scientifiques ». À vue superficielle, cette définition du concordisme trouvée dans Wikipedia semblerait s’appliquer à la présente recherche. Mais si les théories scientifiques y sont invoquées en parallèle au texte biblique, ce n’est pas pour une concordance mais plutôt pour une confrontation afin que, du choc de la discordance, ressorte le discernement entre la part du texte attribuable à l’erreur humaine et l’inerrance de l’Écriture divinement inspirée.

[5] Sumer est une région de l’extrême sud de la Mésopotamie antique (actuel Irak) dans laquelle sont situées les villes de Ninive et Babylone. Voici le mythe sumérien, tel que décrit dans Wikipédia (NDR : Je souligne les termes du récit repris dans le récit biblique et les références entre crochets) :

« George Smith du British Museum, découvrit et déchiffra la tablette 11 de l’épopée babylonienne de Gilgamesh en 1862. Depuis cette date, nous savons que le récit biblique du Déluge n’est pas une création hébraïque, mais bien sumérienne. Vers -1700, dans l’Épopée d’Atrahasis ou « Poème de Supersage » (…), apparaît (…) l’épisode d’un homme nommé Ziusudra (…) dit « Le Supersage » à Babylone et à Ninive (…).

« Cet homme fit le récit à Gilgamesh de la colère des grands dieux, qui avaient voulu dépeupler la Terre parce que les hommes, de plus en plus nombreux, faisaient un vacarme qui perturbait le repos des dieux ; les instigateurs en étaient Anu, Ninurta, Ennugi (en) et Enlil le dieu suprême. Cependant, le dieu Ea des eaux souterraines, protecteur des humains, les trahit en prévenant en songe son ami Atrahasis, en lui enjoignant de construire une arche étanchée au bitume et d’embarquer avec lui des spécimens de chaque être vivant.

« Dès que l’écoutille [Gn 8, 6]  fut fermée, Nergal arracha les étais des vannes célestes, et Ninurta fit déborder les barrages d’en-haut. Adad étendit dans le ciel son silence-de-mort, réduisant en ténèbres tout ce qui avait été lumineux. Les dieux Anunnaki enflammèrent la Terre tout entière, et les flots couvrirent le sommet des montagnes. Pendant six jours et sept nuits, bourrasques, pluies battantes, tonnerre, éclairs et ouragans brisèrent la Terre comme une jarre. Les dieux s’abritèrent au ciel d’Anu. Le septième jour, la mer se calma et s’immobilisa, et l’arche accosta au mont Nishir [Ararat, Gn 8, 4].

« Atrahasis prit une colombe et la lâcha ; la colombe revint. Plus tard, une hirondelle fit de même. Enfin, il lâcha un corbeau qui ne revint pas, car les eaux s’étaient retirées. Alors Atrahasis dispersa les êtres-vivants qui se trouvaient dans l’arche, et fit un sacrifice : disposant le repas sur le faîte de la montagne, il plaça de chaque côté sept vases-rituels à boire et, en retrait, versa dans le brûle-parfum cymbo, cèdre et myrte. Les dieux, humant la bonne odeur [“Yahvé respira l’agréable odeur” Gn 8, 21], se rassemblèrent autour du sacrificateur.

« Lorsqu’il constata que des êtres avaient survécu, Enlil retrouva son calme, se rappelant que les hommes avaient été créés pour servir les dieux et qu’ils leur étaient nécessaires. Il accorda l’immortalité à Atrahasis, mais fit en sorte que les hommes troublent moins la quiétude des dieux, en diminuant la durée de vie des humains [cf. Gn 6, 3] en introduisant les maladies, la stérilité, etc. »

[6] Pour un décodage plus élaboré du déluge, voir les 42e et 43e entretiens, intitulés respectivement L’ère cérébral et L’ère cordial dans L’évolution de l’Alpha à l’Oméga, ouvrage disponible en format papier et numérique à https://www.ac3m.org/?page_id=6174.

[7]  Pour la théologie mystique, les visions “intellectuelles” sont les plus fiables et sont infusés dans l’esprit du voyant directement par l’Intelligence divine. Elles se distinguent des visions “imaginaires” ou “corporelles”, notamment en ce qu’elles ne peuvent être induites ou influencées par le démon.

[8] Pour une présentation de la création continue, revoir le 2e article de La Genèse revisitée, intitulé « Au commencement » à https://www.ac3m.org/?p=8978.

À suivre : Introduction au 2e récit de la création

 

Une réponse à 15- La Genèse revisitée – Le végétalisme biblique

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